Il y a 30 ans, si vous aviez investi 100 000 $ pour la retraite et que vous aviez réparti la somme également entre les actions et les obligations, votre bas de laine vaudrait aujourd'hui un peu plus de 1,3 million.

En effet, entre 1983 et aujourd'hui, selon les données provenant du Groupe TMX, le rendement total annuel moyen, c'est-à-dire en réinvestissant les intérêts dans le cas des obligations ou les dividendes dans le cas des actions, a été de 8,97 % pour l'indice boursier S & P/TSX et de 9,07 % pour l'indice DEX qui regroupe toutes les obligations.

Autant dire que les deux marchés ont eu la même performance. Peu importe la répartition entre les deux classes d'actifs que vous auriez choisie, le résultat aurait été sensiblement le même.

Par contre, si à l'époque vous aviez prévu l'effet du décloisonnement de l'industrie des services financiers au Canada, vous auriez plus que triplé ces gains en misant le tout sur les banques canadiennes.

En effet, pour cette même période de 30 ans, le rendement total moyen des six grandes banques canadiennes a été de 13,5 % par année. Pour le même investissement de 100 000 $, votre cagnotte serait aujourd'hui de 4,4 millions. Oui, c'est bien l'impact de l'écart de 4,5 % entre le rendement des banques et celui des deux principales classes d'actifs.

Les banques achètent tout

Si les banques canadiennes ont eu tant de succès, c'est en bonne partie en raison du décloisonnement de l'industrie des services financiers. Au début des années 80, lorsque les sociétés de fiducie (trusts) ont connu des difficultés en raison des taux d'intérêt très élevés, les banques les ont achetées.

Ensuite, elles ont fait main basse sur l'industrie du courtage. Celle-ci avait fait l'objet d'une importante consolidation, si bien que, vers la fin des années 80, l'industrie comptait une dizaine de grandes firmes qui occupaient presque tout le marché du placement. Mais, affaiblis par le krach de 1987, ces grands courtiers ont chacun passé entre les mains d'une des six grandes banques canadiennes.

Depuis ce moment, les banques ont étendu largement l'offre de courtage, grâce, entre autres, au développement technologique. Cette activité est devenue des plus lucratives, explique Jean-Pierre Aubry, qui a fait carrière pendant 30 ans à la Banque du Canada et qui est aujourd'hui fellow associé chez CIRANO.

Par la suite, les banques se sont attaquées au secteur de la gestion de patrimoine. La stratégie a porté ses fruits, car la gestion de l'épargne a connu une forte croissance avec le phénomène des baby-boomers.

Enfin, les banques se sont également lancées dans l'assurance générale.

« Tous les piliers financiers sont tombés un à un entre les mains des banques, et cette diversification des segments d'affaires a été pour elles un formidable vecteur de performance », résume Claude Boulos, associé et gestionnaire chez Gestion de portefeuille Selexia, gestionnaire en sous-traitance pour Fiera Capital.

Baisse prononcée des taux d'intérêt

Les politiques économiques canadiennes ont également joué un rôle de premier plan dans le succès des banques. Surtout parce qu'elles ont permis une baisse significative des taux d'intérêt à long terme.

Au début des années 90, la Banque du Canada a mis en place une politique axée sur le contrôle de l'inflation, rappelle Peter Routledge, analyste du secteur financier à la Financière Banque Nationale. C'est ce qui a permis aux taux d'intérêt de baisser jusqu'à aujourd'hui.

Cette baisse des taux, en faisant diminuer les versements mensuels sur les prêts, a permis à de nombreux ménages canadiens, entre autres, d'acheter une maison. Et aussi d'utiliser plus de crédit à toutes sortes de fins. « Il y a 15 ans, la dette des ménages représentait 85 % du revenu disponible. Aujourd'hui, ce pourcentage est de 165 % », constate Peter Routledge. Ce phénomène a constitué une vraie poule aux oeufs d'or pour les banques canadiennes.

L'oeil bienveillant des autorités

Bien qu'étant de grande taille, les banques canadiennes n'ont pas connu les revers qu'ont subis les grandes banques américaines et européennes à cause de la crise financière de 2008-2009.

C'est que les autorités canadiennes y ont vu. Elles ont tout mis en oeuvre pour favoriser le développement d'un système bancaire stable et bien capitalisé. C'est le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) qui est responsable de la réglementation bancaire au Canada. Elle reçoit le soutien de la Banque du Canada. « La réglementation canadienne a toujours été appliquée avec rigueur, ce qui a empêché les grands dérapages », dit Claude Boulos.

Qu'en sera-t-il des 30 prochaines années ? Si les investisseurs qui arrivent aujourd'hui à la retraite ont eu la chance d'investir dans un secteur aussi performant que celui des banques, en sera-t-il de même pour les générations futures ? À court terme, les banques canadiennes pourraient affronter un environnement plus difficile, craint Peter Routledge. Compte tenu du fait que nous n'avons pas connu de correction du secteur immobilier à la suite de la crise financière, le ralentissement actuel de l'économie canadienne pourrait très bien faire baisser les prix des maisons au Canada.

Pour tous ceux dont la maison constitue le principal actif, et dont le prêt hypothécaire est encore élevé, une baisse du prix fera fondre la valeur nette du propriétaire. Cela touchera tous les autres postes de dépenses des ménages et pourrait être la cause principale d'une prochaine récession au Canada. Bien capitalisées, les banques ne sont pas à risque, même si l'économie canadienne traverse une période difficile, croit M. Routledge. Mais la rentabilité sera touchée pendant quelque temps.

Perspectives brillantes à long terme

Au-delà du ralentissement de l'immobilier résidentiel, les banques canadiennes demeurent, pour plusieurs raisons, un investissement très attrayant pour ceux dont l'horizon est à long terme, soutient Claude Boulos.

D'abord pour la diversification de ses segments d'affaires. « La gestion du patrimoine et les activités de courtage sont appelées à grandir pendant encore plusieurs années », dit-il.

De plus, les banques canadiennes versent une proportion de 40 à 50 % de leurs bénéfices en dividendes. « Bon an, mal an, elles le font et, la plupart du temps, elles augmentent ces dividendes. Elles continueront de le faire », dit le gestionnaire.

Enfin, l'envergure des politiques et des techniques de contrôle de risque en font des investissements à l'abri des grands dérapages, selon lui.

Et ce qui n'est pas négligeable non plus, la situation de quasi-oligopole dont les banques profitent leur permet d'exiger des frais plus élevés qu'elles ne le feraient autrement, ajoute Jean-Pierre Aubry.