Fini les grands magasins qui offrent des petits cadeaux pour encourager les consommateurs à demander une carte de crédit. Fini les émetteurs qui fournissent des cartes à des jeunes de moins de 18 ans sans l'autorisation de leurs parents. Fini aussi les prêteurs de dernier recours qui accordent du crédit à des consommateurs criblés de dettes.

Québec s'attaque au surendettement des consommateurs avec le projet de loi 24 déposé, hier, à l'Assemblée nationale. Il s'agit de la troisième et dernière phase du plan de modernisation de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) qui avait été lancé en 2006.

En 2007, Québec avait balisé les contrats réalisés sur l'internet. L'an dernier, il s'était attaqué à l'industrie des télécommunications qui était devenue une source de plaintes majeure de la part des consommateurs. Cette fois, ce sont les institutions financières qui sont dans sa ligne de mire.

«Le projet de loi pose des jalons dans notre lutte contre le surendettement, un problème dont les effets économiques et sociaux sont majeurs», a déclaré le ministre de la Justice Jean-Marc Fournier.

Cure de jouvence

La LPC avait besoin d'une cure de jouvence: ses 115 articles qui portent sur le crédit datent des années 70. Au cours des trois dernières décennies, de nombreux instruments de crédit sont apparus. En outre, l'endettement des familles s'est considérablement accru.

Le projet de loi 24 adaptera la LPC à cette nouvelle réalité. L'une des mesures les plus spectaculaires est le rehaussement graduel du paiement minimum sur les cartes de crédit, de 2% jusqu'à 5%.

Au Québec, de 15% à 20% des détenteurs de cartes ne font que le paiement minimum sur leur carte de crédit. Ils traînent des dettes d'environ 10 000$. À un taux d'intérêt de 18%, il leur faudra plus de 50 ans pour s'en débarrasser. «C'est épouvantable!», s'exclame Louis Borgeat, président de l'Office de la protection du consommateur (OPC).

Le relèvement du paiement minimum va changer le paysage de l'endettement, estime Charles Tanguay, porte-parole de l'Union des consommateurs. «On croit qu'ils auraient même pu aller un peu plus loin, à 6, 7 ou 8%», dit-il.

Mais il est conscient que la marche sera haute pour certains consommateurs. «Ça peut être difficile pour certains ménages. Mais personne n'a intérêt à rester embourber dans les paiements minimums. Ça va leur rendre service d'accélérer le remboursement», a-t-il ajouté.

Capacité de remboursement

Autre mesure phare du projet de loi 24: désormais, les prêteurs devront vérifier la capacité de remboursement du client avant de leur accorder du nouveau crédit. En général, les grandes banques le font déjà. La mesure vise plutôt les prêteurs de dernier recours qui offrent une «deuxième chance au crédit» et qui font des vérifications minimales ou inexistantes, indique M Borgeat.

«Le principe du prêteur responsable est une des belles avancées. Ça intègre dans notre loi des principes qui existent déjà en Europe», a dit Stéphanie Poulin, directrice du service juridique d'Option consommateurs, qui est très satisfaite de l'ensemble du projet de loi déposé.

Guerre de juridictions

Mais la réaction des institutions financières, cibles principales du projet de loi, a été beaucoup plus froide. L'Association des banquiers canadiens (ABC) a pris acte du projet de loi. Mais elle se refuse à tout commentaire, pour l'instant.

«Nous prendrons le temps nécessaire pour examiner à fond ce volumineux document et en discuter avec nos membres, sous réserve que les banques sont régies par la Loi sur les banques et la réglementation fédérale plutôt que par la Loi sur la protection du consommateur», a fait savoir Jacques Hébert, directeur l'ABC au Québec, dans une déclaration écrite.

Cela laisse entendre que les grandes banques canadiennes pourraient faire fi des nouveaux articles de la LPC. Ce ne serait pas la première fois qu'elles refusent de se plier à la LPC.

Idem pour les transporteurs aériens. Air Canada refuse d'afficher des prix «tout inclus», sans frais cachés, comme le stipule un nouvel article de la LPC qui est entré en vigueur le 30 juin dernier.

«Il y aura une confrontation juridique, comme dans l'affaire Marcotte. Ça va nous amener à un litige constitutionnel», dit M. Borgeat.

Dans l'affaire Marcotte qui porte sur les frais de change imposés par les cartes de crédit, un groupe de banques à charte fédérale conteste la juridiction de la LPC. Déboutées en première instance, elles sont en appel. La cause sera entendue en septembre. Mais l'affaire Marcotte risque de se rendre jusqu'en Cour suprême.

Les consommateurs pourraient attendre encore quatre ans avant que le plus haut tribunal du pays tranche la question pour de bon. Ainsi, même si le projet de loi 24 est adopté avant Noël, et même s'il entre en vigueur en 2012 comme prévu, les consommateurs pourraient patienter plus longtemps avant que les pratiques changent sur le terrain.

Tout dépendra de l'attitude des banques.