Les Canadiens iront aux urnes lundi. Les conservateurs seront-ils majoritaires ou minoritaires? Le NPD dépassera-t-il le parti libéral? Qui formera l'opposition officielle? Peut-on envisager un gouvernement de coalition? Quoique passionnantes pour les stratèges politiques, ces questions ne font guère sourciller les stratèges financiers... qui ont plutôt les yeux tournés vers les campagnes électorales ailleurs dans le monde.

Les gestionnaires de portefeuille auront les yeux rivés sur leur petit écran pour suivre en direct le résultat des élections. Et pour cause. L'issue du scrutin peut avoir un impact majeur sur les actions des sociétés de ressources naturelles.

Pas les élections au Canada! Plutôt les élections présidentielles au Pérou, dont le premier tour s'est déroulé au début d'avril.

La percée de l'ancien militaire Ollanta Humala, aux idées très à gauche, a plombé la Bourse de Lima de 14% en moins d'un mois. Mais les conséquences de l'élection péruvienne dépassent les frontières.

«Le Pérou est le deuxième producteur de cuivre au monde, le premier producteur d'argent, sixième producteur d'or. Même si le pays est très petit dans l'univers du placement, cela peut y avoir un impact majeur pour les entreprises étrangères qui ont des projets d'investissement de plusieurs milliards», dit Jean-Pierre Couture, économiste et spécialiste des marchés émergents chez Hexavest.

Depuis quelques mois, les investisseurs qui avaient sous-estimé les risques politiques dans les pays émergents, ont eu droit à plusieurs rappels des dangers qui les guettent: nationalisation, expropriation, hausse des impôts, des taxes, des redevances. Coeurs sensibles s'abstenir.

Peu de remous au Canada

Ici, au Canada, les élections font rarement broncher les marchés financiers.

Certains changements de pouvoir ont déjà suscité une nervosité passagère. On peut penser à l'élection des Libéraux de Jean Chrétien qui avaient fait campagne en disant qu'ils ne reconduiraient pas l'accord de libre-échange et qu'ils élimineraient la TPS. «Cela avait rendu les marchés nerveux dans les jours qui avaient suivi, parce que les marchés étaient très favorables au libre-échange et à la TPS», rappelle Pierre Fournier, analyste géopolitique à la Financière Banque Nationale. Mais le stress est vite retombé quand les marchés ont compris que rien de cela ne se ferait.

Si la récente montée du NPD se confirme, les marchés pourraient vivre une légère période de flottement et d'incertitude la semaine prochaine.

«Il faut prendre ça avec un grain de sel, mais certains sondages prévoient une centaine de sièges pour le NPD et peut-être 60 à 70 sièges pour les Libéraux. Cela inquiéterait probablement les investisseurs étrangers, à tord ou à raison», dit M. Fournier.

Mais le résultat le plus probable reste la réélection d'un gouvernement conservateur minoritaire, tempère Pierre Lapointe, stratège macroglobal chez Brockhouse Cooper. «Le mieux que le NPD peut espérer serait de former l'opposition officielle», croit-il. Ce statut ne lui permettrait pas de dicter les politiques économiques.

Les idées du NPD

Néanmoins, les idées des néo-démocrates pourraient mettre sous pression certaines industries, à commencer par le pétrole.

La plateforme du NPD prévoit un système de plafonnement et d'échanges de droits d'émission de gaz à effet de serre. De plus, le NPD est beaucoup moins enthousiaste face au développement des sables bitumineux que les conservateurs, indique M. Fournier.

Aussi, le chef du NPD Jack Layton a promis de plafonner le taux d'intérêt sur les cartes de crédit. Cela pose un risque seulement «modéré» pour les banques, car ce genre de mesures est plus facile à dire qu'à mettre en place, estime M. Lapointe. «Reste que l'apparente hostilité du NPD face aux institutions financières lève un drapeau rouge pour les investisseurs», indique-t-il.

Pour le reste, les marchés financiers n'ont pas trop en s'en faire, selon M. Lapointe.

Faut-il craindre plus de taxes et d'impôts pour les entreprises? Le NPD s'est engagé à réduire le fardeau des petites sociétés et à maintenir le taux d'imposition des corporations canadiennes en dessous du taux aux États-Unis, note M. Lapointe.

Verra-t-on davantage de protectionnisme face aux investisseurs étrangers? «Ça ne peut pas être bien différent de la situation actuelle. Souvenez-vous que c'est un gouvernement conservateur qui a bloqué la prise de contrôle de Potash Corp. l'an dernier», souligne M. Lapointe.

Enfin, certains pourraient craindre d'un gouvernement plus à gauche provoque une détérioration des finances publiques canadiennes. «En 1993, l'Ontario a présenté le pire déficit de son histoire (4,2% de son PIB, 30% de ses revenus) sous un règne néo-démocrate», rappelle M. Lapointe. Mais du même jet, il ajoute que les néo-démocrates ont déjà bien fait dans d'autres provinces.

De toute façon, la politique fiscale est une histoire de long terme, affirme M. Lapointe. Pour l'instant, le Canada est en bonne position. Et les élections de lundi ne devraient pas avoir un impact important sur les obligations la semaine prochaine.