À la Bourses américaine, le secteur du commerce de détail a bénéficié d'un vent favorable depuis plusieurs mois. Mais c'est peut-être trop hâtif, selon plusieurs analystes.

Croissance lente ou stagnation ? L'incertitude économique qui mine tant les analystes que les stratèges boursiers nord-américains est aussi un sérieux casse-tête pour les détaillants. À l'aube de la saison des Fêtes, la plupart des acteurs de ce secteur sentent encore les consommateurs très hésitants.

Cela les oblige à une vigilance accrue dans la gestion de leur inventaire et de leurs coûts d'exploitation, tout en cherchant les moyens de déjouer leurs concurrents pour attirer les dollars des consommateurs.

Du point de vue des investisseurs boursiers, cette conjoncture difficile amplifie les doutes envers le potentiel de rendement des actions de détaillants. «Après avoir mieux résisté à la récession que sa voisine américaine, l'économie canadienne subit maintenant un ralentissement qui pèse de plus en plus sur certains gros détaillants», constate Vincent Delisle, stratège boursier chez Capitaux Scotia.

«En particulier les détaillants de secteurs plus cycliques tels que l'habitation et la rénovation. C'est ce qui explique par exemple qu'un détaillant comme Rona soit passé de 18$ à 13$ l'action lors des derniers mois, avant le récent rebond d'optimisme en Bourse.».

Parmi les gestionnaires de fonds d'investissement, aussi, l'appréhension envers les principaux détaillants s'est élevée de quelques crans cet automne.

«La conjoncture incertaine nous incite à s'en tenir aux détaillants de produits et services de base, en alimentation notamment. C'est une approche nettement «défensive» par rapport aux détaillants de marchés plus cycliques comme la rénovation», résume Luc Fournier, gestionnaire de fonds d'actions canadiennes à l'Industrielle-Alliance.

Pour James Durran, principal analyste en commerce de détail à la Financière Banque Nationale, force est de constater que «les titres liés à l'alimentation en Bourse ont profité de l'incertitude économique depuis le début de l'année».

Les meneurs de ce groupe au Canada - les Loblaw (Maxi, Provigo), Empire (IGA, Sobeys) et Metro- affichent tous un gain boursier entre 17% et 20% depuis le début de l'année. C'est presque deux fois mieux que l'indice de marché S&P/TSX.

Malgré cette bonne tenue, James Durran recommande toujours les actions des principaux détaillants en alimentation «pour l'investisseur prudent qui veut se protéger contre le risque de baisses».

Quant aux détaillants des secteurs plus cycliques, l'analyste de la Financière Banque Nationale ne lance pas la serviette.

«Des titres plus cycliques comme Forzani (réseau Sports Experts) et Canadian Tire finiront par dégager des rendements attrayants. Mais l'incertitude économique joue clairement dans leur cas. Toute recommandation d'achat à leur égard s'adresse encore aux investisseurs ayant moins froid aux yeux», indique M. Durran dans une récente note à ses clients-investisseurs.

En contrepartie, est-ce que l'incertitude économique qui pèse contre les détaillants dits cycliques peut représenter une occasion d'achat en Bourse, en prévision d'une conjoncture plus favorable?

Au Canada, cette question demeure d'ordre spéculatif, de l'avis d'analystes.

D'autant que les plus récentes mesures économiques suggèrent un nouveau repli du niveau de confiance des consommateurs et de leurs intentions de dépenser.

«Les actions de détaillants cycliques comme Forzani et Canadian Tire pourraient subir une autre baisse modeste avant de recommencer à monter», avertit James Durran.

Pour l'agence de notation financière Moody's, les principaux détaillants au Canada amorcent une période de défis particuliers afin de demeurer attrayants pour les investisseurs.

«À moyen terme, il faudra voir si ces détaillants pourront continuer à accroître leur rentabilité face à la concurrence accrue, d'origine américaine notamment, ainsi que la hausse de l'endettement des consommateurs canadiens», souligne Derrek Kirk, vice-président et analyste principal chez Moody's à Toronto, dans un rapport sectoriel publié il y a une semaine.

«Comme rarement auparavant, les compétences en matière de commercialisation et de gestion seront des éléments-clé pour les détaillants canadiens qui veulent maintenir leur clientèle tout en préservant des résultats financiers attrayants.»

Pendant ce temps, aux États-Unis, à voir le regain des indices boursiers liés au commerce de détail depuis quelques mois, les investisseurs ont une perception plutôt optimiste des prochains trimestres pour les détaillants.

Cet optimisme semble avoir été conforté par les dernières mesures du sentiment de confiance des consommateurs américains.

À la Fédération nationale des détaillants des États-Unis (National Retail Federation), on estime qu'un récent regain des intentions d'achat des consommateurs pourrait mener à la meilleure saison des Fêtes depuis quatre ans.

Aussi, le relevé des ventes au détail pour septembre aux États-Unis s'est avéré meilleur qu'attendu.

Mais parmi les stratèges boursiers, on se méfie de ce regain d'optimisme des investisseurs envers les titres des détaillants aux États-Unis.

D'une part, ils notent la conjoncture économique encore bancale, en particulier la léthargie du marché de l'emploi qui demeure un facteur déterminant pour la consommation.

D'autre part, les stratèges boursiers doutent de la solidité du rebond boursier du secteur du commerce de détail aux États-Unis au cours des derniers mois.

Par conséquent, ils recommandent la sous-pondération des titres de détaillants dans les portefeuilles d'actions américaines.

«Notre modération envers ce secteur découle de la combinaison de valeurs devenues élevées en Bourse, d'une reprise du marché du travail encore faible et de notre analyse de ce secteur lors de tels cycles antérieurs», avertit le géant financier européen UBS dans la plus récente édition de son rapport mensuel sur les détaillants américains.