Un fabricant de sièges de camions en Abitibi.

Une jeune designer industrielle de 25 ans, artiste dans l'âme.

Rencontre improbable, mais avérée.

Originaire de Rouyn-Noranda, Alexe G. Séguin-Carrier n'aurait jamais cru se dénicher un boulot dans sa ville natale. Mais elle était à peine diplômée de l'École de design industriel de l'Université de Montréal qu'en mai 2009, Amobi l'engageait.

Premier anniversaire, premier bilan.

Amobi, filiale d'Accès Industriel, fabrique depuis une vingtaine d'années des sièges ergonomiques pour postes de conduite de camions, autocars et véhicules industriels. Ils se caractérisent par leurs nombreux ajustements avec cellules pneumatiques gonflables.

Amobi cherche maintenant à se tailler un autre marché avec son nouveau siège pour autobus urbain Tech 3001. Le client privilégié est évidemment la STM, par l'entremise du fabricant Novabus.

«C'est un marché qui élève nos critères de fabrication parce qu'on travaille avec de grands donneurs d'ordres québécois qui ont des exigences de qualité», décrit le directeur d'Amobi, Alain Beauséjour.

Les sièges doivent durer aussi longtemps que l'autobus, 16 ans bien sonnés, en maintenant les coûts d'entretien au minimum.

Un exemple? Dans votre voiture, vous n'ajusterez la distance de votre siège au volant qu'une douzaine de fois par année... peut-être. C'est la fréquence quotidienne dans un autobus qui roule 24 heures sur 24, aux mains de nombreux chauffeurs. Les glissières à crans d'arrêt de votre voiture s'useraient à l'usage. Sur le Tech 3001, Amobi utilise des coulisses non crantées, dont la position est ajustée et bloquée par un dispositif pneumatique.

L'ergonomie est tout aussi soignée. Un professeur et ergonome de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Charles Côté, en a assis les bases. Le dossier du Tech 3001 comporte six cellules pneumatiques ajustables pour le support lombaire, et deux autres pour les supports latéraux. L'assise se règle en hauteur, en longueur et en angle. Le confort du chauffeur en dépend, qui influe sur son degré de fatigue, lequel affecte sa vigilance... et peut-être son affabilité. En un mot: critique.

Bref, c'est dans ce contexte fébrile qu'Alexe s'est pointée chez Amobi, il y a tout juste un an. Un important travail attendait la designer: simplifier et uniformiser les pièces du Tech 3001, qui sont dorénavant fabriquées en sous-traitance et assemblées à Rouyn-Noranda.

Tâche aride pour une designer industrielle à tempérament plus créatif que technique, qui avait suivi au cégep la voie artistique. «Ma force, c'était davantage les maquettes et les dessins, confie-t-elle. J'adapte ma méthode, ici.»

Alain Beauséjour l'exprime affectueusement en d'autres mots: «Elle adore gosser!»

Encore un exemple? Pour faciliter la fabrication, elle remplace certains assemblages soudés par des pièces pliées. Elle les esquisse avant d'en faire un modèle en papier, question de bien saisir leur géométrie. «Je fais beaucoup d'origami», ironise-t-elle.

Elle a également redessiné la housse qui couvre les nouvelles mousses, maintenant moulées plutôt que taillées et collées. Mais ce n'est pas dans la sélection des couleurs du textile qu'elle va s'éclater: comme Henry Ford en son temps, la STM laisse le choix de la teinte du siège, mais dans la mesure où il se porte sur le noir.

Alexe Séguin-Carrier conserve sa tablette à esquisses à portée de main, «pour qu'on ne l'oublie pas». Elle servira bientôt: la designer doit s'attaquer sous peu à la conception d'un appuie-bras fabriqué maison, qui remplacera ceux qui sont achetés de fournisseurs.

«C'est une joie tous les jours d'avoir une designer dans mon équipe, assure Alain Beauséjour. C'est une condition essentielle pour devenir un fabricant de calibre nord-américain.»

Nord-américain peut-être, mais les sièges d'Amobi, indique-t-il, ne conviendraient pas au marché européen. Risquons une explication: «Nous avons de gros conducteurs?»

«Dit de façon crue, c'est exactement ça», répond-il.

Les sièges européens montrent en outre une esthétique plus raffinée, reconnaît-il. «C'est un rattrapage qu'on va faire.»

Alexe est là pour ça.