À l'entrée, on s'essuie les pieds sur un paillasson noir, dont un des coins est perforé par quelques lettres de la traditionnelle formule Bienvenue-Welcome.

Sur la gauche, une carpette ronde, d'un rouge uniforme, est elle aussi ajourée comme un napperon de dentelles.

 

L'atelier Couper Croiser nous accueille.

Petit, l'atelier - environ 1300 pi2. Une longue table de coupe. Des étagères chargées de rouleaux de tapis.

Fondée il y a quatre ans par les designers - et deux seuls employés - François Palmer et Jean-François Rousseau, l'entreprise crée, vous l'aurez compris, des tapis décoratifs.

Animés des plus nobles intentions environnementales, les deux compères cherchaient à l'origine une idée qui détournerait une quelconque matière de sa funeste destination: le terrain d'enfouissement. Ils ont ainsi découvert que les chutes de tapis des manufacturiers prenaient directement le chemin du dépotoir.

C'est sur cette prémisse qu'ils ont conçu une carpette en pièces détachées. Les trapèzes de 36 po de longueur, en trois largeurs différentes, s'agencent à volonté pour créer des formes géométriques variées, à la manière du traditionnel casse-tête chinois.

Succès d'estime. Bel accueil dans plusieurs médias.

La découpe des tapis est faite en sous-traitance. Il faut ensuite biseauter les bordures pour que les poils ne se rabattent pas sur le côté. Cette production, très manuelle, impose des prix élevés... et, par conséquent, un marché haut de gamme.

Un problème a rapidement surgi: comment agencer des retailles aux couleurs hétéroclites et satisfaire en même temps cette difficile clientèle?

Les designers ont dû sacrifier quelques principes et commander directement au manufacturier des bandes aux teintes appropriées.

Ces tapis Ajusté - c'est leur nom - sont maintenant offerts en ensembles de quatre, six ou huit pièces, et dans l'une des cinq palettes tricolores.

Paillassons et carpettes

Les deux designers y ont ajouté une deuxième gamme, il y a un an et demi. Ils cherchaient un article de petit format et à petit prix pour une foire commerciale. Ils ont eu l'idée de découper des motifs dans du tapis à paillasson. Des nuages pointillés. Une règle graduée. Des silhouettes de semelles.

Autre succès.

Tout naturellement, le principe vient de s'étendre aux carpettes d'intérieur. Les deux designers ont dessiné des carpettes rondes ou rectangulaires, poinçonnées de carrés, de cercles, d'hexagones ou de croissants, frangées de languettes, ajourées comme des rosaces tracées au Spirograph...

«C'est très graphique», observe Jean-François Rousseau. La preuve: les dessins ne sont pas réalisés sur un logiciel de dessin technique comme AutoCAD, mais sur le logiciel graphique Illustrator.

Les carpettes sont taillées en sous-traitance, sur des tables numériques à deux axes, selon deux techniques. La découpe au jet d'eau à haute pression est plus précise, mais les carpettes doivent ensuite être nettoyées. Légèrement moins précise mais plus propre, la découpe au couteau a maintenant la faveur des deux associés.

Le travail ne s'arrête pas là. Dans leur atelier, les designers biseautent ensuite au rasoir les bordures de la moindre ouverture. Pour les motifs les plus complexes, chaque carpette peut demander près d'une heure de travail!

Les deux designers fabriquent même dans leur atelier des courroies munies de boucles de plastique, pour que l'acheteur puisse rouler sa carpette et faciliter son transport.

Une part importante du chiffre d'affaires provient maintenant de la conception, pour l'aménagement de bureau, de tapis sur mesure, dans des motifs qu'ils agencent comme une marqueterie.

C'est du travail d'équipe. Une équipe tissée serré. «On vient rajeunir une industrie...» commence Jean-François Rousseau, «qui est poussiéreuse», complète François Palmer.

Pour l'instant, les bénéfices sont à l'image de l'atelier: étriqués. «On est capables d'en vivre, c'est déjà beaucoup», lance Jean-François Rousseau.

«La clé, dit-il, c'est d'être connu.»

Cette clé est sur le paillasson.