Il vient de réaliser la plus importante acquisition de sa carrière. Il a été actif comme jamais depuis un an sur les marchés boursiers. Mais Warren Buffett entendra davantage parler du scandale de Goldman Sachs et de la réforme de Wall Street ce week-end lors de son assemblée annuelle, un «Woodstock» du capitalisme qui attirera 40 000 personnes dans sa ville natale d'Omaha. Bilan d'une année mouvementée pour l'investisseur le plus célèbre au monde.

Septembre 2008. Au pire de la crise financière, alors que Lehman Brothers vient de tomber et que d'autres géants de Wall Street tremblent, Warren Buffett allonge cinq milliards$US à Goldman Sachs.

Au moment de son annonce, l'investissement est salué partout aux États-Unis. À Washington, où les politiciens exploitent son côté symbolique. À Wall Street, où les banquiers se réjouissent de l'appui de l'investisseur le plus célèbre au monde. Au siège social de Berkshire Hathaway à Omaha, où on se félicite d'avoir mis la main sur des actions privilégiées avec dividende de 10% et des options d'achat pour acquérir jusqu'à 10% de Goldman une fois la crise passée.

Un an et demi plus tard, les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu: Goldman Sachs est accusé de fraude par la SEC, des poursuites criminelles pourraient suivre, son titre a plongé de 22% depuis deux semaines, et l'investissement de Warren Buffett a soudain l'air moins génial.

Ce week-end à Omaha, le scandale de Goldman Sachs sera sur toutes les lèvres alors que 40 000 actionnaires de Berkshire Hathaway se réunissent pour la grand-messe du capitalisme. «Je m'attends à de nombreuses questions sur Goldman et je donnerai des réponses approfondies et complètes», a déclaré Warren Buffett au Wall Street Journal cette semaine.

Les déboires de Goldman Sachs n'ont toutefois pas ébranlé le lien de confiance entre Warren Buffett et ses disciples. D'abord, l'Oracle d'Omaha n'était pas au courant des présumés agissements frauduleux de Goldman Sachs. Ensuite, il a vu bien pire. «Rappelons-nous l'affaire Salomon Brothers», dit François Rochon, président de Giverny Capital, qui assistera à l'assemblée des actionnaires aujourd'hui à Omaha. En 1991, Warren Buffett siégeait au conseil d'administration de Salomon Brothers quand la firme a été éclaboussée par un scandale de fraudes de bons du Trésor. «Buffett avait collaboré à l'enquête et il avait même présidé le conseil d'administration durant la crise, dit François Rochon. Dans l'affaire Goldman Sachs, son degré d'implication est beaucoup moindre.»

S'il répondra probablement aux questions sur Goldman Sachs avec son aplomb habituel, Warren Buffett aurait préféré laisser toute la place à un autre de ses investissements: le rachat de la compagnie de chemins de fer Burlington Northern Santa Fe (BNSF), complété en février dernier. La transaction de 36 milliards$US est la plus importante de l'histoire de Berkshire Hathaway. Le conglomérat, qui détenait déjà une participation de 22,6% de BNSF, a acquis le reste des actions. Une décision audacieuse. «J'adore ce genre de pari», a dit Warren Buffett, qui fêtera ses 80 ans en août prochain.

«BNSF est la plus grosse acquisition de sa vie, dit Luc Girard, directeur du groupe de conseils en portefeuille chez Valeurs mobilières Desjardins. C'est aussi une excellente acquisition parce que les compagnies de train ont de bons résultats du début à la fin d'un cycle économique.»

Durant la crise boursière, Warren Buffett n'a pas seulement investi dans les institutions financières et les chemins de fer. En novembre, Berkshire Hathaway a doublé sa mise dans le détaillant Wal-Mart, qu'il détient maintenant à 1,0%. Il a augmenté la valeur de sa participation dans Wal-Mart de 900 millions$US en 2009. «Quand il y a des moments de grande turbulence, c'est le moment pour les investisseurs audacieux de prendre certains paris, dit Carlos Leitao, économiste en chef de la Banque Laurentienne. Durant une crise, il faut garder le cap et ne pas se laisser décourager ou impressionner par les changements brusques des marchés.»

Berkshire Hathaway a aussi vendu certains de ses placements qui ont profité du rebond boursier depuis mars 2009. Il a notamment réduit sa participation dans ConocoPhilipps (de 5,7% à 2,3% de l'actionnariat), Johnson&Johnson (de 1,1% à 1,0%) et Procter&Gamble (de 3,1% à 2,9%) et l'agence de cotation Moody's.

Ses prises de profits lui ont permis de renflouer sa tirelire. Au 31 décembre dernier, Berkshire Hathaway disposait d'une réserve de 30,5 milliards$US en argent comptant pour investir, comparativement à 24,5 milliards$US en juin dernier. Le conglomérat avait une réserve de 44,4 milliards$US à la fin de l'année 2007, avant l'éclatement de la crise financière. «Il veut garder une encaisse minimale. Si ce n'était pas de cette règle, il aurait probablement investi tout son argent au cours de la crise», dit le gestionnaire de portefeuille François Rochon.

Que réserve Warren Buffett aux marchés boursiers? «Il va continuer à acheter des titres de valeurs, surtout les blue chips américains qu'il apprécie et qui vont continuer de bien performance en Bourse», pense l'économiste Carlos Leitao.

Une action à bas prix

Pas besoin d'être riche pour profiter des talents d'investisseurs de Warren Buffett? Depuis le 20 janvier, l'action B de Berkshire Hathaway s'échange à un cours abordable à toutes les Bourses. En raison de la structure de la transaction de Burlington Northern Santa Fe, Berkshire Hathaway a dû fractionner son action B à 50 contre 1. Hier, l'action B a clôturé la séance à 77,00$US à la Bourse de New York. L'action A est un peu plus dispendieuse: elle a terminée la séance d'hier à 115 325,01$US.

Contre la réforme de Wall Street?

Warren Buffett est-il contre la réforme de Wall Street de Barack Obama? Dans l'ensemble, bien sûr que non. Mais l'Oracle d'Omaha a tenté sans succès de faire inscrire une exemption pour ses produits dérivés par le biais du sénateur de son état du Nebraska, Ben Nelson. Résultat: le sénateur Nelson a été le seul démocrate à voter contre la réforme de l'administration Obama la semaine dernière. Selon le Huffington Post, Berkshire Hathaway détient 63 milliards en produits dérivés et s'expose à des pertes potentielles de 8 milliards si la réforme de Wall Street est adoptée sans l'exemption demandée par le sénateur Nelson. Histoire politico-financière à suivre...

L'année boursière 2009 vite oubliée

Les actionnaires de Berkshire Hathaway voudront oublier l'année 2009, qui a généré un rendement anémique de 2,7% en Bourse pour le titre de Berkshire Hathaway comparativement à 23,5% pour l'indice S&P 500. «C'est principalement à cause de ses investissements dans les banques», dit l'économiste Carlos Leitao. Il s'agit du plus grand différentiel entre le titre de Berkshire Hathaway et le cours du S&P 500 depuis dix ans. Berkshire Hathaway a battu l'indice S&P 50 015 fois au cours des 22 dernières années et semble avoir retrouvé ses bonnes habitudes en 2010. Depuis le 1er janvier dernier, le titre de Berkshire Hathaway s'est apprécié de 16,3% contre une hausse de 6,4% pour l'indice S&P 500. Sur cinq ans, Berkshire Hathaway bat amplement le S&P 500 (36,7% contre 2,6%).