La santé reprend des couleurs Le secteur privé décriait la réforme du système de santé du président Obama, depuis des mois. Pourtant, son adoption a redonné du pep aux actions des sociétés pharmaceutiques. Maintenant que l'incertitude se dissipe, les investisseurs réalisent que 32 millions d'Américains auront droit à une assurance dont ils étaient dépourvus...

Comme un patient qui attend dans l'angoisse son diagnostic, les investisseurs se rongeaient les sangs, depuis un an, à cause du projet de réforme du système de santé aux États-Unis. Pourtant, les marchés ont poussé un soupir de soulagement lorsque le président Barack Obama a promulgué la loi, cette semaine.Le secteur des soins de santé a mené la Bourse américaine, avec un gain de 0,6%, lundi dernier. Les grosses pointures comme Pfizer ont avancé de 1,4%. Et le poids lourd canadien Biovail Corp a suivi la parade avec une avancée de 1%.

«Tant que le projet de loi n'était pas ficelé, toutes sortes de rumeurs courraient sur les sociétés pharmaceutiques. Les investisseurs avaient peur de la réforme», raconte Jean-René Adam, gestionnaire de portefeuille d'actions nord-américaines chez Hexavest.

Finalement, la réforme a causé plus de peur que de mal... La loi ratissera moins large et plusieurs mesures s'appliqueront seulement dans quelques années.

«C'est une réforme qui est loin d'avoir l'envergure des premiers débats. Au bout du compte, les compagnies vont certainement tirer leur épingle du jeu», estime Valérie Cecchini, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille pour les Investissements Standard Life.

Bien sûr, les coûts de la réforme s'élèvent à 940 milliards sur 10 ans. «Mais l'effet sera réparti sur l'ensemble de la société. C'est tout le monde qui devra payer un peu plus cher», indique Nadim Rizk, vice-président et gestionnaire de portefeuille d'actions étrangères chez Fiera Capital.

Qui paiera la note? Les contribuables les mieux nantis, les assureurs, les fournisseurs d'équipement médicaux, les sociétés pharmaceutiques, sans oublier les hôpitaux.

Par contre, ces entreprises bénéficieront de la réforme puisqu'elles desserviront 32 millions d'Américains qui étaient dépourvus d'assurance.

Les effets secondaires

Ce sont les assureurs qui écoperont le plus, prévoit Mme Cecchini. «C'est là où le gouvernement s'est immiscé le plus dans le modèle d'affaires. Leur rentabilité sera plafonnée», dit-elle.

Le gouvernement imposera aussi de nouvelles exigences aux hôpitaux. Mais au final, la réforme leur sera légèrement favorable, considère Mme Cecchini. En ce moment, les hôpitaux soignent des patients qui n'ont pas les moyens de payer. Lorsque tous les Américains seront assurés, les pertes pour mauvaises créances dans les hôpitaux vont diminuer.

La réforme aura peu d'effets secondaires sur les sociétés pharmaceutiques, même si elles doivent financer le dixième de la facture, soit environ 100 milliards US. «Sur 10 ans, cela va leur coûter moins de 5% de leurs bénéfices, dans le pire des scénarios», calcule M. Adam.

Mais cela ne tient pas compte du fait qu'il y aura désormais 32 millions d'assurés de plus. «Ces gens-là, vont consommer plus de médicaments. Sur 10 ans, cela apportera environ des revenus de 40 milliards aux sociétés pharmaceutiques», estime M. Adam.

Cela ramène donc le coût de la réforme à seulement 60 milliards US, pour les pharmaceutiques, ce qui réduit l'effet sur les bénéfices à environ 2%.

Mais en ce moment, les actions des sociétés pharmaceutiques sont tellement peu dispendieuses, que même en soustrayant 2 à 5% aux bénéfices, les titres demeurent encore très attrayants, considère le gestionnaire.

«C'est un super bon moment pour investir dans les pharmaceutiques», dit M. Adam. Les actions se négocient à environ 12 fois les bénéfices par action prévus en 2010, ce qui fait que les titres sont à rabais d'environ 35% par rapport à l'ensemble des titres de l'indice américain S&P 500. «C'est une escompte extraordinaire!» affirme M. Adam.

Pharma : 10 ans de galère

Les investisseurs ont déserté le secteur pharmaceutique après une décennie de frustrations.

Depuis 10 ans, le secteur mondial des soins de santé a progressé de seulement 0,8% par année (rendement de l'indice MSCI annuel composé, en monnaie locale). C'est quand même mieux que l'ensemble des Bourses de la planète qui ont reculé de 2,8% par an (MSCI Monde).

Les pharmas ont mis du temps à purger leurs excès boursiers des années 90... Prenons le fabricant d'équipement médical Medtronic. La société a connu une belle croissance depuis 10 ans : ses revenus ont triplé et ses profits avant impôt ont doublé, indique M. Rizk.

Mais à la Bourse, son action a fait patate : le titre a baissé de 55 $US en 2000 à 45 $US aujourd'hui. Son ratio cours/bénéfice est revenu sur terre. En 2000, les investisseurs étaient prêts à payer jusqu'à 60 fois les profits. Maintenant, l'action se transige à un multiple de 14 fois les profits.

Et puis, les pharmas ont reçu plusieurs tuiles, durant les années 2000. L'industrie a été secouée par des poursuites, notamment pour le Vioxx que Merck a dû retirer des tablettes, en 2004, après avoir réalisé que son anti-inflammatoire pouvait créer des problèmes cardiaques.

Aussi, une série de brevets sont arrivés à échéance. Par exemple, le brevet du Zolof (dépression, anxiété) qui représentait des ventes de 3,3 milliards $US pour Pfizer, est tombée en 2006. L'année suivante, la société a perdu le brevet du Norvasc (haute pression) qui lui amenait des ventes de 4,7 milliards $US, rappelle M. Adam.

Et en 2011, le brevet du Lipitor, le médicament le plus vendu au monde, arrivera à terme. Les ventes de 13 milliards US représentaient plus du quart du chiffre d'affaires de Pfizer, avant la fusion avec sa rivale Wyeth... qui lui permettra justement de diversifier les revenus.

Mais le vent commence à tourner. La vague d'échéance de brevet se terminera d'ici deux ans. Et les sociétés ont des médicaments prometteurs dans leur pipeline, estiment les gestionnaires.

«La thèse n'a pas changée, pour les soins de santé. Les moteurs sont l'innovation, le vieillissement de la population, l'urbanisation qui rend les gens plus sédentaires et accentue les problèmes d'obésité», énumère M. Rizk.

La grande différence : en 2000, tout allait bien, mais l'environnement ne pouvait que se détériorer. Maintenant, c'est l'inverse : le climat est morose, mais les titres sont redevenus bon marché.