Décidément, l'hibernation est terminée pour le financement d'entreprise. L'année dernière, les émissions d'actions avaient gelé comme un bloc de glace à cause de l'effondrement de la Bourse. Mais voilà que les projets restés sur les tablettes déboulent les uns après les autres. Depuis le début de 2009, les investisseurs ramassent les émissions à la pelle!

Mercredi dernier, par exemple, la Financière Manuvie, numéro un de l'assurance au Canada, a annoncé la vente d'un bloc d'actions d'une valeur de 2,5 milliards, question de raffermir son bilan.

Depuis quelques mois, bien d'autres sociétés ont profité de l'embellie boursière pour lever des capitaux: Barrick Gold (3,5 milliards de dollars US), Brookfield Infrastrutures (615 millions), Crescent Point Energy (500 millions), TransAlta (375 millions), Pengrowth Energy (300 millions), Vermillion Energy (225 millions), Air Canada (260 millions), Northgate Minerals (100 millions).

Ce n'est là qu'un échantillon des plus récentes transactions.

Violent retour de balancier

Au cours des six derniers mois, les émissions d'actions ont dépassé 24 milliards de dollars au Canada. C'est quatre fois plus que l'année dernière, alors que la valeur des émissions étaient tombée à un creux de 6,5 milliards pour six mois. Même phénomène aux États-Unis, où les émissions d'actions ont triplé, touchant 131 milliards US depuis six mois.

Des deux côtés de la frontière, la valeur des émissions atteint maintenant de nouveaux sommets historiques. «On est revenu au plus haut niveau qu'on a jamais eu», indique Pierre Lapointe, stratège adjoint à la Financière Banque Nationale.

Sur le plan économique, il s'agit d'une excellente nouvelle: «C'est un très bon signe. Les entreprises n'ont plus de problèmes à se financer. L'an dernier, même les banques ne voulaient plus se prêter entres elles», rappelle M. Lapointe.

Avec la crise du crédit, le financement s'était refermé comme une huître. D'une part, les cours boursiers étaient au plancher, ce qui décourageait les sociétés d'émettre des actions à vil prix. Et d'autre part, les coûts d'emprunt étaient très chers, signale Jean-Paul Giacometti, vice-président de la corporation de gestion de placements Claret.

Pour émettre des obligations, les entreprises devaient accorder des taux d'intérêt de largement supérieurs au taux des obligations gouvernementales, totalement sécuritaires. Le gestionnaire en avait justement profité pour faire le plein, lorsque la Banque CIBC a été forcée d'émettre des obligations de 10 ans à 10 %.

Du sang neuf en Bourse

Même le marché des premiers appels publics à l'épargne (PAPE ou IPO en anglais) reprend vie, après une longue période de dormance.

Jusqu'à début de 2009, aucune entreprise canadienne ne s'était risquée à faire ses premiers pas sur les parquets de la Bourse de Toronto, durant cinq trimestres consécutifs... du jamais vu depuis au moins 10 ans. Les marchés étaient trop instables.

Mais depuis le début de l'été, de nouveaux venus ont inscrit leur nom à la cote (voir tableau). Au début d'octobre, le réseau de magasins à 1 $ Dollarama a fait ses débuts à la Bourse de Toronto, dans le cadre d'un PAPE d'une valeur de 345 millions, en incluant l'option de sur-allocation.

«Les ingrédients qui manquaient dans le marché - une meilleure liquidité, une évaluation plus intéressante, un regain de confiance des investisseurs - ont tous contribué à créer un environnement plus positif», explique Ross Sinclair, chef national du service des PAPE chez PricewaterhouseCoopers.

À ce chapitre, il considère que l'émission de 850 millions de la part de Genworth MI Canada, en juillet dernier, a vraiment été un point tournant dans les marchés. Depuis, la demande des investisseurs est vive. «Nous voyons beaucoup d'émissions d'actions et d'obligations qui sont absorbées rapidement et constamment par les marchés», ajoute M. Sinclair.

Et ce n'est qu'un début. Les experts prévoient un grand nombre d'inscriptions en Bourse au cours des prochains mois.

Il y a quelques jours, la société de portefeuille torontoise Onex Corp a d'ailleurs révélé son intention d'inscrire en Bourse, en 2010, deux sociétés dont elle avait fait l'acquisition en 2006 et 2007, alors que les firmes d'investissement privé jouaient du coude pour acquérir tout ce qui bougeait à la Bourse.

Il s'agit de Husky Injection Molding Systems qui pourrait valoir 1,3 milliard $US, et de The Warranty Group qui vaudrait au moins 1 milliard.

Aux États-Unis, on s'attend à ce que le site de socialisation Facebook, qui voudrait plus de 10 milliards $US, fasse son entrée en Bourse d'ici 18 mois.

Un choix payant pour les investisseurs

Si l'on se fie à l'indice Bloomberg IPO, les investisseurs qui ont acheté des actions lors d'un PAPE, ont été très bien récompensés. Cet indice reflète la performance des actions durant l'année qui suit l'inscription d'une entreprise à la Bourse américaine.

Depuis le début de 2009, l'indice a bondi de 46 %, ce qui est largement supérieur à la performance de l'indice S & P500 de la Bourse américaine qui a gagné 21 %.

Depuis 15 ans, la surperformance est encore plus extraordinaire. L'investisseur qui aurait investi 100 $US en 1994 dans l'indice Bloomberg IPO aurait aujourd'hui 1980 $US, alors qu'il n'aurait que 228 $US s'il avait investi la même somme dans le S & P500 qui renferme les 500 plus grandes sociétés américaines. C'est pratiquement 10 fois plus!

«Sauf que ces titres-là sont beaucoup plus volatils», met en garde Pierre Lapointe. À la faveur de la bulle des technos, l'indice IPO a explosé de 245 % en 1999. Mais l'année suivante, il a fondu de 45 %. Et les titres qui avaient été inscrits à la Bourse en 1999 ont peut-être subi un recul encore plus sévère au cours de leur deuxième année de vie boursière.