Ça déménage à la Bourse depuis deux mois ! Les investisseurs ont fait le grand ménage : ils ont jeté à la corbeille leurs scénarios de fin du monde économique, et rangé dans leurs classeurs leurs craintes d'effondrement du système financier. Au Canada, le S&P/TXS composé est remonté au dessus des 10 000 points mercredi dernier. L'indice phare de la Bourse de Toronto a repris 35% depuis son creux du début de mars. Bien qu'on en parle un peu moins, le marché obligataire est aussi en effervescence. Le crédit dégèle. Les sociétés recommencent à émettre des obligations. Et les investisseurs montrent le bout de leur nez.

C'est le printemps sur le marché du crédit. Du marché de l'emploi jusqu'à la production manufacturière, les nouvelles encourageantes foisonnent, permettant d'espérer que le pire du ralentissement économique est passé.

 

Le crédit, qui était coincé dans les glaces, recommence à couler. Les investisseurs, qui s'étaient terrés dans les obligations fédérales totalement sûres en 2008, se risquent du côté des obligations de sociétés.

«L'appétit pour le risque se manifeste un peu. Les investisseurs commencent à se dire qu'une obligation fédérale à 2%, ça n'enrichit pas son homme!» blague Benoît Durocher, vice-président exécutif et chef stratège économique d'Addenda Capital.

Depuis un certain temps, le marché s'est rouvert aux nouvelles émissions, constate aussi Paul-André Pinsonnault, économiste principal pour les titres à revenus fixes, à la Financière Banque Nationale.

Les sociétés américaines ont émis pour 459 milliards d'obligations de bonne qualité (investment grade) depuis le début de l'année, une hausse de 33% par rapport à l'an dernier, selon l'agence Bloomberg.

«Même qu'aux États-Unis, certains émetteurs d'obligations de pacotille (junk bonds) qui n'auraient pas pu venir au marché il y a quelque temps, ont réussi à faire des émissions», ajoute M. Pinsonnault.

Au Canada aussi, le marché obligataire verdit. Et le crédit rentre dans l'ordre. À preuve: «La Banque du Canada rachetait des prêts hypothécaires appartenant aux banques pour augmenter leurs liquidités. Eh bien! il y a quelques semaines, elle a dit qu'elle n'aurait probablement plus besoin de le faire», souligne Robert Gorman, stratège de portefeuille en chef de TD Waterhouse.

Les écarts de crédit s'évaporent

Avec le retour du soleil, la «prime de risque» s'évapore. Il s'agit du rendement supplémentaire que les investisseurs exigent pour des titres un peu plus risqués. «Au Canada, les écarts de rendement se sont amenuisés, tant pour les obligations de sociétés que les obligations des provinces», signale M. Pinsonnault.

À la fin de 2008, les investisseurs exigeaient une prime de 474 points de base pour les obligations de sociétés financières canadiennes, qui offraient un rendement de 7,04%, par rapport à 2,30% pour les obligations du Canada.

En quatre mois, cet écart a fondu à 365 points. Les obligations des financières (échéance 5-10 ans) offrent aux investisseurs qui les achètent aujourd'hui un rendement de 6,04%, contre 2,39% pour celles du Canada.

La diminution des écarts de crédit a fait grimper la valeur des obligations. Rappelons que lorsque les taux d'intérêt baissent, le prix des obligations s'élève. Et vice versa.

Ainsi, depuis le début de 2009, les obligations des sociétés financières ont enregistré une performance de 9,4% (intérêt et gain en capital), tandis que les obligations du Canada ont fait perdre 0,38% aux investisseurs.

C'est classique. Lorsqu'on commence à avoir des signes que l'économie reprend, les risques de défaillance de crédit s'estompent, les écarts de crédit se referment, et les obligations de sociétés obtiennent de meilleurs rendements relatifs.

Il faut dire que les obligations de sociétés étaient mûres pour une revanche, après une année 2008 désastreuse. Elles avaient perdu la face (-2,8%) par rapport aux obligations du Canada ("14,9%), avec la sous-performance relative la plus dure depuis au moins un quart de siècle.

Encore du chemin à faire

Les investisseurs ont récolté une bonne partie des fruits qu'ils pouvaient tirer des obligations de sociétés. Mais l'arbre n'est pas vide.

«Il y a encore place à l'amélioration. On suggère aux investisseurs d'avoir une surpondération dans les obligations de sociétés et de provinces, ça vaut la peine malgré le fait que les écarts de crédit se sont refermés beaucoup. D'un point de vue historique, ils demeurent assez larges», estime M. Pinsonnault.

Avant la crise du crédit, une banque solide aurait réussi à émettre des obligations avec un taux à peine 50 points supérieur à celui du Canada (versus 235 points aujourd'hui).

Mais de 1997 à 2007, le marché du crédit était complaisant, rappelle M. Durocher. Les investisseurs avaient oublié le risque. «Ils se contentaient de peu. Ils se contentait d'une prime de risque assez faible.»

Il ne faut pas tenir pour acquis que le pendule revienne au même point qu'à l'époque du crédit facile.