Avec la saison des assemblées annuelles qui s'amorce, la rémunération excessive des dirigeants ainsi que les carences au sein des conseils d'administration seront plus que jamais la cible des actionnaires activistes.

Les investisseurs responsables n'ont pas été épargnés par la crise financière. Mais l'indignation qu'elle soulève dans le public leur fournit de nouvelles munitions pour continuer leur combat contre les pratiques immorales des entreprises.

 

De la même façon que les scandales comptables à la Enron, au début des années 2000, ont amené un resserrement des règles du jeu, notamment avec l'adoption de la loi Sarbanes Oxley, les abus qui ont mené à la crise du crédit pourraient bien entraîner des changements profonds dans la gouvernance des sociétés.

C'est du moins l'intention des actionnaires militants, qui cibleront la rémunération excessive des patrons et les carences au sein des conseils d'administration durant les prochaines assemblées annuelles. La saison commence cette semaine avec celles de la Banque Royale, de la Banque CIBC et de la Banque Nationale, entre autres.

Rémunération excessive

«Avec la crise financière, c'est le moment de faire table rase et de repartir sur des bases saines. Stratégiquement, le moment est propice pour faire changer les choses du côté de la rémunération», affirme Olivier Gamache, président du Groupe Investissement responsable, firme spécialisée dans la gestion des droits de vote.

Pour prévenir de nouveaux abus, la famille de fonds communs Meritas proposera donc que la rémunération des dirigeants des banques et d'autres grandes entreprises soit soumise à un vote consultatif des actionnaires.

«L'enjeu de la rémunération des dirigeants a toujours été présent. Mais cette année, encore plus. Il y a un ras-le-bol de ceux qui ont fait perdre de l'argent à tout le monde sauf à eux», lance Louise Charrette, membre du conseil d'administration du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (Médac).

Par exemple, les patrons de la Banque CIBC ont empoché près de 24 millions de dollars, une augmentation de salaire de près de 10%, même si la banque a perdu deux milliards de dollars en 2008 et que ses actions ont fondu de moitié.

Le Médac réclame aussi un vote consultatif visant à faire approuver la politique qui permet d'établir la rémunération des grands patrons des banques. «On se place en aval des salaires», précise Mme Charrette.

Une idée qui plaît à Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance privée et publique. «Les actionnaires devraient pouvoir se prononcer sur les coûts des programmes de rémunérations des dirigeants, établir les critères qui permettront d'obtenir une bonification. Parfois, on met la barre bien bas. Ce sont des points gratis», déplore-t-il.

Dans les deux cas, les propositions demandent un vote consultatif, qui permettrait aux actionnaires de donner une caution morale à la rémunération, sans avoir le pouvoir de la bloquer.

Il s'agit d'une approche plus souple qu'un vote pur et simple, mais tout de même efficace, estime M. Gamache. «Il serait difficile pour les dirigeants d'aller quand même de l'avant en sachant qu'ils ont les actionnaires à dos», dit-il.

Le vote consultatif sur la rémunération est déjà bien ancré au Royaume-Uni et en Australie depuis 2002. Il est devenu exécutoire aux Pays-Bas, au Danemark et en Suède, indique le Groupe Investissement responsable dans sa revue annuelle des grands enjeux responsables, qui sera diffusée officiellement mardi prochain.

Toujours dans l'optique de mieux encadrer le salaire des patrons, le Médac proposera aussi que le comité de rémunération devienne aussi indépendant que l'est devenu le comité de vérification. Déjà, la TD et la CIBC ont accepté.

De son côté, la Banque Nationale a accepté la proposition du Médac qui réclame plus de femmes au conseil. L'an dernier, le Médac demandait que les femmes occupent la moitié des sièges d'ici cinq ans. Cette année, il a assoupli sa position, réclamant que la moitié des nouveaux postes soient offerts à des femmes.

La même proposition sera soumise aux autres banques, ainsi qu'à Power Corp, à Bombardier et à Manuvie.

«C'est préoccupant de voir que le pourcentage de femmes dans les conseils d'administration stagne à 13% depuis 20 ans. Il faut faire quelque chose», croit M. Nadeau.

Zones d'ombre

Mais en tournant tous les projecteurs vers la rémunération et les conseils, les actionnaires risquent de laisser dans l'ombre les enjeux environnementaux et sociaux ainsi que les droits de l'homme.

Peut-être certains actionnaires désabusés laisseront-ils même tomber le combat éthique. D'ailleurs, la semaine dernière, à l'assemblée de BCE, aucune proposition n'a pu obtenir plus de 12%. «Je suis un peu déçu parce que les actionnaires et les détenteurs d'obligations ont été traînés dans un long feuilleton. J'aurais pensé que cela raviverait l'intérêt des investisseurs», avoue M. Gamache.

À son avis, ce n'est pas parce qu'il y a une perte de confiance dans les marchés financiers qu'il doit y avoir une perte de confiance dans la «démocratie actionnariale».