Les firmes de génie mènent le bal quand vient le temps d'attribuer les contrats au ministère des Transports du Québec (MTQ), affirme l'ex-entrepreneur Lino Zambito. Selon lui, les entreprises ont rarement truqué les appels d'offres, mais il reconnaît avoir versé 150 000$ à un associé de l'ex-ministre du Travail David Whissell pour l'obtention d'un contrat.

Interrogé sur l'attribution des contrats du MTQ, Lino Zambito a reconnu que peu d'entre eux avaient été «organisés» par les entrepreneurs. Ainsi, seulement 4 des 54 appels d'offres auxquels son entreprise Infrabec a pris part de 1999 à 2011 auraient été truqués.

La compétition entre les entrepreneurs n'était pas libre pour autant, a-t-il pris soin d'ajouter. Ce sont plutôt les firmes de génie-conseil qui contrôlaient le jeu. Lino Zambito affirme que dans plusieurs régions, les ingénieurs entretiennent des liens étroits avec certains entrepreneurs. Ceux-ci tireraient avantage de cette proximité au moment des appels d'offres, puisqu'ils reçoivent des informations leur permettant de réduire les prix sans essuyer de perte financière.

L'ex-entrepreneur a souligné que les firmes de génie faisaient la conception et la surveillance de 90% des chantiers du MTQ. Le Ministère prend seulement la responsabilité des plus petits chantiers. Les ingénieurs étaient donc bien placés pour mener le bal.

Questionné sur l'existence de ristournes dans les contrats du MTQ, Lino Zambito a indiqué que les firmes de génie devaient verser des contributions aux partis pour recevoir des mandats en retour. «À ma connaissance, les bureaux d'ingénieurs avaient des commandes politiques où il y avait des montants qui devaient être versés aux différents partis. Les bureaux d'ingénieurs se retournaient souvent vers les entrepreneurs pour leur permettre d'aller chercher leur financement», a-t-il dit. L'ex-entrepreneur n'a toutefois pas évoqué de pourcentage que le parti au pouvoir aurait ainsi touché, contrairement à ce qui aurait cours dans les villes de Montréal et de Laval.

Appels d'offres «organisés»

Lino Zambito a précisé lors de son témoignage qu'il ne faisait pas partie des relations privilégiées d'une firme de génie. Il devait donc se résoudre à «organiser» des appels d'offres au MTQ, à l'instar de ce qu'il faisait à Montréal.

Plusieurs appels d'offres du projet du rond-point l'Acadie ont ainsi été arrangés, a-t-il dit. C'est notamment l'attribution de l'un de ces contrats que le chef de la mafia montréalaise, Vito Rizzuto, aurait arbitré entre Lino Zambito et Tony Accurso.

Pour obtenir un contrat de 14,9 millions lié à la construction d'un échangeur routier à Mirabel, en 2004, M. Zambito affirme avoir versé une somme importante à l'entrepreneur Claude Chagnon, associé de David Whissell au sein de la firme de construction ABC Rive-Nord. «L'associé de M. Whissell m'avait demandé un montant de 150 000$», a-t-il déclaré.

Pour obtenir cette somme, ABC Rive-Nord aurait facturé à Infrabec l'achat de matériel - du remblai - qui n'a jamais été livré sur le chantier.

Nous avons été incapables de joindre Claude Chagnon. David Whissell a pour sa part qualifié de farfelues les allégations de Zambito. Le président d'ABC Rive-Nord affirme n'avoir jamais rencontré Lino Zambito dans ses propres bureaux, comme le prétend le témoin de la Commission. «C'est de l'invention, et je ne sais pas pourquoi il fait ça. Je n'ai rien à me reprocher», dit-il.

Lino Zambito affirme avoir organisé au moins un autre contrat, au début des années 2000. Lors d'un appel d'offres lancé pour la réfection de ponceaux sur l'autoroute 640, l'ex-entrepreneur affirme s'être d'abord entendu avec un concurrent. «J'avais eu une rencontre avec Construction CJRB et [la firme de génie] Triax. Il avait été convenu qu'Infrabec prenne le contrat et nous l'avons donné en sous-traitance en totalité à Construction CJRB. C'est eux qui ont exécuté le contrat.»

Ce témoignage a de quoi surprendre, puisque CJRB ne pouvait pas remporter l'appel d'offres. En effet, contrairement à Infrabec, elle ne détenait pas la certification ISO 2001 requise pour les travaux. C'est tout de même cette entreprise, sans la certification nécessaire, qui a mené le chantier à la suite de cette entente.

Lino Zambito affirme que cette entente prévoyait le versement d'une somme de 150 000$ à la firme Triax. L'argent aurait été remis à l'un des dirigeants de l'entreprise, André de Maisonneuve. Celui-ci a été arrêté en avril dernier lors de l'opération Gravier, menée par l'Unité permanente anticorruption (UPAC).