C’est étonnant quand un politicien dit qu’il faut se méfier des politiciens comme s’il ne nageait pas lui aussi dans ce bocal.

C’est ce qu’a fait le porte-parole de Québec solidaire en matière d’immigration, Guillaume Cliche-Rivard, dans une longue lettre publiée sur les réseaux sociaux⁠1. Il a ensuite proposé un débat télévisé avec le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon sur l’immigration. Un face-à-face, sans la ministre ou l’opposition officielle. Comme si le principal adversaire de QS n’était pas le gouvernement, mais plutôt le seul autre parti indépendantiste. Certes, le PQ mène dans les sondages. Mais à 32 mois des prochaines élections, cette avance reste très théorique.

Le titre de sa missive : « La vérité sur l’immigration et la crise du logement ». M. Cliche-Rivard y déplore la récupération politique de l’immigration. Il réclame que les cibles soient plutôt déterminées par « la science ». En fait, la science n’a pas de réponse objective à offrir, par exemple, sur la valeur à accorder au français. Sur ces sujets, aucun parti ne détient la « vérité ».

Cela donne un avant-goût des prochains mois. L’hiver sera marqué par les débats sur l’avenir d’Hydro-Québec, sur l’industrie de la construction et sur la gestion des projets en transport collectif, ainsi que sur le report de l’équilibre budgétaire pour investir dans les services publics. Mais il sera aussi beaucoup question de logement – ce sera notamment le thème du Conseil national du PQ en avril. Et l’immigration fera inévitablement partie des discussions.

La lettre de M. Cliche-Rivard contient un passage qu’on n’aurait pas lu chez QS il y a quelques années. Selon lui, le Québec « dépasse sa capacité d’accueil » avec l’immigration temporaire.

« Il est évident que d’accueillir un demi-million de personnes a un impact sur la crise du logement », reconnaît M. Cliche-Rivard. Il accuse toutefois des politiciens – le PQ et la CAQ, devine-t-on – de mentir en prétendant que l’immigration serait la cause principale de cette crise. Je cherche en vain une telle déclaration. Au contraire, tous les partis conviennent que la situation est complexe.

L’offre est insuffisante à cause des taux d’intérêt élevés, de la réglementation lourdaude et de la pénurie de main-d’œuvre – qu’on pourrait atténuer en reconnaissant davantage la formation des nouveaux arrivants.

En parallèle, la demande augmente à cause de la croissance démographique, qui provient de l’immigration.

À cela s’ajoute le débat plus politique sur la spéculation. QS soutient – avec raison, à mon avis – que le modèle à but non lucratif devrait être priorisé.

En somme, c’est une relation à variables multiples, et l’immigration en fait partie. Je me souviens d’une interview avec un économiste spécialisé en logement menée il y a cinq ans. Il me confiait ceci : « L’immigration accentue la pression sur le marché, mais c’est délicat de le dire… »

M. Cliche-Rivard critique avec raison une proposition du PQ, celle de limiter à 35 000 le nombre d’immigrants permanents.

La majorité de ces gens sont déjà sur le territoire ou vont rejoindre un proche. Ils n’ont donc pas besoin d’un nouveau logement. Et de toute façon, ils finiront par devenir citoyens. On ne ferait que prolonger les délais, l’engorgement bureaucratique et la séparation des familles.

Comme le PQ et le PLQ, QS voudrait que la planification de l’immigration intègre le volet temporaire. C’est logique : cette catégorie est désormais presque neuf fois plus nombreuse.

QS a des idées constructives. Parmi elles : inciter les cégeps et universités à trouver des logements pour leurs étudiants étrangers. Ou encore utiliser les pleins pouvoirs de l’Accord Canada-Québec pour exercer un contrôle sur les immigrants temporaires – la moitié d’entre eux relèvent de programmes fédéraux.

De 2021 à 2023, les immigrants temporaires sont passés de 300 000 à près de 530 000. Beaucoup d’entre eux soignent les aînés, travaillent dans les usines et font la cueillette dans les champs. De qui voudrait-on se priver ?

Le PQ prend « toujours bien soin de ne jamais répondre à ces questions difficiles », déplore M. Cliche-Rivard. Mais il n’est pas plus bavard.

Même chose pour les demandeurs d’asile. Il reconnaît que le Québec reçoit plus que sa part – environ 45 % du total canadien. « François Legault est incapable de corriger la situation », accuse-t-il. Que faire alors ? Il propose d’agir de « manière concertée, bienveillante et volontaire ». Selon QS, le gouvernement caquiste semble ainsi à la fois trop mou et trop ferme.

Les observateurs comme moi ont le luxe de se contenter de souligner les problèmes et de défendre des principes. Et en effet, les raccourcis intolérants doivent être dénoncés. Mais ce n’est que le point de départ.

La vertu ne constitue pas un programme de gouvernement. On ne s’en sort pas : à la fin, il faut des politiciens pour trouver des solutions. Et si les réponses étaient faciles, ça se saurait.

1. Lisez la lettre de Guillaume Cliche-Rivard