Faire le party est pour certains un exutoire : un moment de grâce parfois peu gracieux lors duquel on se dévisse la tête histoire d'oublier un peu qui et où nous sommes. Pour Madame Louise Masson, reine de l'étiquette et virtuose du savoir-vivre, la fête est plutôt un art, avec tout ce que cela comporte de codes et de conventions à respecter. Un écho courtois du XVIIIe siècle, rebondissant dans un XXIe siècle déjanté.

Comment définiriez-vous la décadence, ici, aujourd'hui ?

La décadence, de nos jours, c'est malheureusement ne pas s'imposer de règles. C'est refuser toute discipline alors que la discipline est un squelette sans lequel tout s'écroule. Tous ne maîtrisent pas l'art de la fête, tous ne savent pas où s'arrêter. Moi, petite, j'ai vu un homme être malade de bière. Ça m'a vaccinée à vie !



Quels sont les préceptes de votre enseignement pour réussir la fête, tout en restant digne ?

Vous savez, perdre le nord lors d'un party peut dramatiquement ternir notre réputation. L'humiliation est tout à fait évitable. Je suggère de boire stratégiquement. Avant une soirée qui s'annonce arrosée, ingurgitez une cuillère à table d'huile d'olive. Ainsi, l'alcool flottera sans pénétrer tout le système. On garde ainsi le plaisir d'une douce ivresse tout en évitant de devenir saoul mort.



Pourrions-nous dire, dans une certaine perspective, que la bienséance permet la décadence ?

L'étiquette est justement ce qui permet la liberté. Ceux qui ignorent les bases du civisme ne peuvent pas être décadents puisqu'ils sont ignorants. Pour être décadent, il faut être embarrassé de quelque chose qui existe. Que ce soit des règles ou des codes. C'est ainsi que l'on peut véritablement désobéir. 



Mais au-delà du simple désir de désobéir, que peuvent cacher nos comportements parfois barbares ?

Je dois vous dire que j'ai vu au Québec les pires partys de Noël de toute ma vie. Ça n'a aucun sens ! On se saoule, on danse sur les tables. Les femmes arrivent presque déshabillées. Une proximité démesurée s'installe entre des collègues qui en viennent parfois à se toucher là où certains ne le voudraient pas et là où d'autres, au contraire, justement, le voudraient trop. Lâcher son fou, c'est bien, mais on le fait beaucoup, ici. À quel prix et à quel point ! En fait, tout est relâché. 



Serions-nous des mésadaptés de la fête ?

Nous avons une tendance maladive à l'égocentrisme et à l'individualisme. Ceci teinte nos rapports aux autres. Observez, autour d'une table par exemple : nous devenons incapables de nous parler. Nous ne savons plus quoi nous dire et comment communiquer. Alors on dit des conneries. Puis on s'enivre pour se désinhiber et pour tenter, en vain, d'entrer en contact avec l'autre. 



Dans un contexte festif, est-il possible que la décadence, le plaisir et la classe se côtoient ?

Quand on y songe, faire la fête, avoir l'esprit à la fête ou encore donner une fête qui soit réussie, c'est savoir créer de la joie pour tout le monde et que personne, sous aucun prétexte, ne soit laissé pour compte.



Finalement, existerait-il une oasis où absolument tout serait permis et où le mot décadence n'aurait pas sa raison d'être ?

Oui ! Il existe un lieu et c'est la chambre à coucher. Là, il n'y a pas de déchéance ou de décadence possible puisque cet endroit est complètement privé. On peut donc y agir en totale liberté. Mais attention ! Quand deux personnes s'y retrouvent finalement, c'est qu'elles ont su être respectables en société et l'une envers l'autre. Je dois quand même spécifier que la propreté de la chambre et l'hygiène du corps doivent participer à cette rencontre...