Chaque session parlementaire, les élues du Parti québécois organisent un «souper de filles» pour discuter des dossiers qui touchent plus particulièrement les femmes. À la dernière rencontre, il y a quelques semaines, elles ont discuté de la traite des personnes et de la délicate question du voile. La ministre de la Condition féminine, Agnès Maltais, ne se rappelle pas à quelle époque ces soupers ont été créés, mais elle se souvient très bien à quel point ils dérangeaient Lucien Bouchard lorsqu'il était premier ministre. «Ça faisait tellement jaser au Conseil des ministres, il y avait des jaloux, alors on a décidé d'inviter M. Bouchard à un de nos soupers pour qu'il voie ce que c'était. C'est le souper où on a le moins parlé», ajoute-t-elle en riant.

Incapables de pénétrer les lieux d'influence masculins, ce qu'on appelle l'old boys' club, les femmes ont riposté au fil des ans en créant leurs propres cercles où elles peuvent échanger avec d'autres femmes. Agnès Maltais observe aujourd'hui l'impact de ces réseaux «parallèles». «Il y a 15 ans, les femmes arrivaient au parlement seules, sans réseau. Aujourd'hui, elles sont plus organisées, elles ont leurs contacts. Les réseaux sont importants pour faire avancer un dossier. Il s'en est réglé, des choses, dans les toilettes des hommes du parlement...»

Fondatrice de l'Institut de la diversité et vice-présidente recherche et innovation à l'Université Ryerson, Wendy Cukier étudie la représentation de la diversité dans les lieux de pouvoir. Elle constate que les femmes commencent seulement à utiliser leur influence de la même manière que les hommes. «De plus en plus, elles recrutent, soutiennent d'autres femmes et font du coaching auprès d'elles afin qu'elles grimpent à leur tour dans la hiérarchie», note-t-elle.

«Les réseaux de solidarité féminine sont importants, observe quant à elle Helène Lee-Gosselin, titulaire de la chaire Claire-Bonenfant - Femmes, savoirs et sociétés à l'Université Laval. Plusieurs études ont démontré que, dans un groupe, les gens du même sexe seront moins inhibés, vont parler davantage que dans des groupes mixtes. Mais on ne doit pas perdre de vue qu'il faut aussi intégrer les véritables réseaux d'influence, ceux des hommes, si on veut avoir accès à l'information.»

«Il en faut, des espaces unigenres», estime pour sa part Pascale Navarro, auteure de l'essai Les femmes en politique changent-elles le monde? «Elles ont besoin de se retrouver, tout comme les hommes ont besoin de se retrouver dans le vestiaire au hockey, il n'y a rien de négatif là-dedans. Cela dit, l'objectif, c'est bien sûr la mixité.»

Différences homme-femme

Une fois en position de pouvoir, les femmes exercent-elles leur influence de la même façon que les hommes? Les avis sont divisés sur la question. «Nous, les femmes, nous essayons d'influencer tout en étant rationnelles, en nous appuyant sur des faits alors que les hommes sont parfois plus démagogues», estime la première ministre du Québec, Pauline Marois. Selon Françoise David, présidente et porte-parole de Québec solidaire, «il y a des différences et de grandes ressemblances». «Il y a quelque chose d'un peu viril dans ces milieux façonnés par les hommes depuis des siècles, mais j'observe de plus en plus d'hommes qui rêvent d'un autre modèle.»

Selon Hélène Lee-Gosselin, il faut toutefois se méfier des clichés. «On observe plus de similitudes entre les femmes et les hommes gestionnaires qu'entre les femmes gestionnaires et les autres femmes. Souvent, elles se conforment aux stéréotypes associés aux postes qu'elles occupent.»

«C'est la socialisation des hommes et des femmes qui est différente, renchérit Pascale Navarro, mais au bout du compte, le but est le même: rallier des points de vue et créer des consensus. J'ajouterais que les femmes vont essayer de rallier les opinions autour de valeurs auxquelles elles croient. Ce n'est pas pour rien qu'on parle toujours d'éthique quand on parle des femmes.»

Pour exercer une influence, encore faut-il occuper les postes qui en confèrent. Or dans ce domaine, on le sait, les femmes ont encore du chemin à faire. En politique comme dans les grandes entreprises, on constate la même absence des femmes, comme l'a démontré récemment l'étude Diversité en tête réalisée par Wendy Cukier et son équipe de l'Université Ryerson, en collaboration avec l'Université McGill. L'étude a montré qu'à Montréal, seul le tiers des postes de haute direction était occupé par les femmes alors que sur l'ensemble des entreprises dont le siège social se trouve dans la métropole, le tiers ne compte aucune femme à la haute direction ou au conseil d'administration. À l'échelle mondiale, ce n'est guère mieux. Au Forum économique mondial de Davos, par exemple, les femmes ne représentaient que 20% des délégués (et cela comprenait les modératrices). Comment expliquer ce retard dans un contexte où les filles sont souvent plus nombreuses que les garçons dans les facultés universitaires? «Il y a une ségrégation à l'école en matière de thématiques choisies, note Hélène Lee-Gosselin. Les filles vont se retrouver davantage en marketing, en ressources humaines, etc. Dans les classes, elles prennent moins la parole que les garçons. De plus, il est fascinant d'observer que les étudiantes parlent de leur futur cheminement professionnel en prenant compte de la maternité, du ralentissement que connaîtra leur carrière.»

Bref, pour exercer une influence, encore faut-il en avoir la volonté. Les femmes ont-elles suffisamment d'ambition? Cette question taboue est l'objet d'un ouvrage qui paraîtra dans trois jours aux États-Unis. Écrit pas la numéro 2 de Facebook, Sheryl Sandberg, Lean In se veut un cri de ralliement, un véritable mouvement populaire pour que les femmes défoncent le plafond de verre une fois pour toutes.

Car pour que les femmes influencent la marche du monde, elles doivent absolument occuper les hauts lieux du pouvoir, qu'il soit politique, culturel ou financier.