Politique, religieux, culturel... La charge symbolique du hijab dépasse souvent, à tort et à travers, les intentions de celles qui s'en couvrent. Une expo se penche sur celles qui se cachent derrière le voile.

Consciente du nuage gris de préjugés planant au-dessus des têtes voilées, l'anthropologue Andréanne Pâquet a voulu démystifier un bout de tissu qui fait bien des remous et soulève des passions. L'exposition Ce qui nous voile est le fruit d'une rencontre avec une cinquantaine de femmes musulmanes, immortalisées avec leur foulard, leurs habits de tous les jours et, surtout, leur plus radieux sourire.

«Le voile, je le porte depuis que j'ai 13 ans. Au départ, je l'ai adopté parce que les autres femmes de ma famille le portaient. C'était aussi pour faire partie de la gang, pour ressembler aux autres. À l'adolescence, j'ai commencé à me demander si j'avais vraiment le goût de porter le voile pour le reste de ma vie. À ce moment, j'ai réalisé que ça faisait partie de moi, que j'adhérais à certaines valeurs, comme la pudeur, la modestie. J'ai décidé de le garder... pour un temps. Mais dans 10 ans, je ne sais pas ce qui va arriver», affirme Dalila Awada, jeune étudiante en sociologie à l'UQAM d'origine libanaise, qui pose avec sa mère sur l'un 20 des portraits réalisés par le photographe Éric Piché.

Dalila, le jour du vernissage de Ce qui nous voile, à la Compagnie F, portait de façon fort coquette un foulard aux couleurs vives qui s'agençait avantageusement avec sa tenue conforme à la mode du moment. Dans la salle, les sujets de l'exposition parlaient de toutes sortes de choses, mais surtout de la perception sociale du voile au Québec, en 2012.

«Dans les médias, on associe le voile à des femmes apeurées, asociales, vêtues de noir, des clichés qui proviennent de banques d'images. Il y a une grande distorsion entre cette image presque exotique de la femme qui porte le voile et la réalité montréalaise», croit Andréanne Pâquet.

L'anthropologue, par son travail à la Fondation de la tolérance, a donné des ateliers de sensibilisation contre les préjugés et la discrimination dans les écoles secondaires du Québec. Cette expérience l'a mise au fait de la progression de l'islamophobie.

«J'ai voulu briser cette image et montrer la diversité des femmes musulmanes, faire la preuve que chaque parcours est différent, que chaque femme est unique», raconte Andréanne Pâquet, qui s'est servie de Facebook pour entrer en contact avec ces femmes - en majorité des étudiantes au baccalauréat ou à la maîtrise - qui allaient être les visages de son projet pour briser les préjugés.

Lapidées de préjugés

Les quelque 50 «modèles» photographiées de pied en cap par Éric Piché - notamment lors d'événement pendant le mois du ramadan - illustrent la diversité identitaire d'un groupe trop facilement réduit à l'expression «femmes voilées».

«On amalgame tous les musulmans sous un même chapeau. Mais il y a aussi de la diversité et même de la dissension dans la communauté. Il faut cesser de les voir comme un bloc monolithique», énonce Andréanne Pâquet.

Ce qui nous voile, en plus de présenter le visage humain du voile par une vingtaine de portraits, est aussi un petit cours de «voile pour les nuls», où l'on peut notamment apprendre à distinguer «hijab», «niqab» et «burqa».

Le dénominateur commun de toutes celles qui adoptent le voile? «La modestie», affirme Andréanne Pâquet, qui reconnaît que le voile est le symbole des obligations envers Dieu de celle qui le porte.

«Nous sommes des femmes religieuses, avec des valeurs», fait valoir Hélène Major, une Québécoise convertie à l'islam qui a quitté Québec pour vivre à Montréal, en raison de la discrimination qu'elle subissait dans sa ville natale. «Voilée, les hommes ne nous abordent pas de la même manière, ils ne vont pas faire les mêmes blagues», dit-elle.

Son amie Barbara Centorani, qui porte le voile depuis 20 ans, est un peu tannée d'entendre dire que le foulard porte un «message politique fort».

«Ce n'est pas de la provocation, il n'y a pas de message. C'est de la pudeur, de la modestie, une façon de vivre. On espère juste que les gens nous voient comme des personnes normales», avance Mme Centorani, qui est d'avis que la Commission Bouchard-Taylor a contribué à mettre de l'huile sur le feu en donnant libre cours aux attaques publiques à l'endroit de celles qui portent le voile.

«On dirait que les gens sont moins gênés de nous apostropher», dit celle qui se fait un devoir de répliquer pour toutes celles qui ne peuvent pas se défendre, à cause de la langue.

Pourquoi tant de ressentiment passionnel à l'endroit de ce symbole culturel? Andréanne Pâquet évalue qu'ici au Québec, le voile rappelle quelque chose de rigoureux, d'orthodoxe, d'extrémiste, un legs transmis par le catholicisme. «On pense que le voile est le symbole d'une vie pleine de privations. Mais c'est faux: les femmes qui le portent ont des maris, une vie sexuelle, chantent, dansent et sont sur Facebook jusqu'à 2h du matin!»

Ce qui nous voile, jusqu'au 3 mai à la Compagnie F, 6323, Saint-Hubert. Info: www.compagnie-f.org