«Je passe mes nuits à pleurer et à prier pour que je sois délivrer (sic) au plus vite», écrit à sa femme Lionel, interné en 1950 pour psychonévrose et hypocondrie. Comme lui, des centaines de patients internés entre 1873 et 1950 à l'hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu ont pris la plume. Ils lancent des cris de détresse qu'on peut lire dans le recueil Textes de l'internement (XYZ éditeur).

Ces malades mentaux, qu'ils soient apprenti boucher, médecins, avocats, ménagères ou religieuses, écrivent comme ils peuvent leur désarroi d'être enfermés et décrivent du coup la vie à l'hôpital. Souvent laissées lettre morte, ces missives touchantes ou revendicatrices reprennent vie aujourd'hui grâce au travail de recherche colossal de Michèle Nevert, professeur au département d'études littéraires de l'UQAM, et de son équipe.

 

Pendant 10 ans, ces chercheurs ont scruté 15 000 dossiers d'archives de l'hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, actuel hôpital Louis-Hippolyte Lafontaine. Ils ont sélectionné 150 textes (soit 2000 pages) particulièrement significatifs. Ces documents ont une valeur historique unique puisque la plupart des hôpitaux québécois ont détruit leurs archives, faute d'espace.

«Je me suis toujours intéressée aux rapports entre la littérature et la folie, le langage des malades mentaux et les jeux de langage. À défaut de pouvoir transformer le monde, les malades mentaux transforment la représentation de celui-ci en manipulant le langage, en jouant avec les structures, dit Michèle Nevert. Les écrits de ces (auteurs) anonymes, même enfermés, reflètent aussi la société dans laquelle ils vivent.»

Les textes colligés, parfois intelligents, parfois maladroits, témoignent d'enfermements abusifs, de cris, de mauvais traitements, d'une nourriture infecte («mal vitaminées» (sic)), de l'exiguïté des lieux («33 malades couchés dans une même salle»), mais surtout de solitude. Et jamais on ne parle d'hôpital, fait remarquer Mme Nevert. Les malades parlent plutôt de taudis, de prison, de camp de concentration, de tombeau vivant. Tous fous? Pas sûr. Mais assurément malheureux.

Textes de l'internement. Manuscrits asilaires de Saint-Jean-de-Dieu (vol. 1). Textes colligés par Michèle Nevert. XYZ éditeur, collection Documents, 192 pages, 24$. Un deuxième volume (regroupant des textes plus créatifs) devrait être publié en 2011.