Les «bars à sourire», ces boutiques où on se fait «blanchir» les dents dans une ambiance design comme on se ferait une coloration, se multiplient, provoquant le mécontentement des dentistes qui invoquent la banalisation d'un acte loin d'être anodin, selon eux, au plan de la santé.

L'Ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD) a lancé une attaque d'envergure contre le phénomène qui prend de l'ampleur, barrant la une de sa revue d'un avertissement rectangulaire encadré de noir, style paquets de cigarettes: «Les bars à sourire peuvent nuire à la santé».

«J'assume» ce ton incisif contre des commerces (plusieurs centaines en France) parfois «peu scrupuleux», explique à l'AFP le secrétaire général de l'Ordre Alain Moutarde.

«Nous sommes là pour défendre la santé publique et dénoncer ceux qui ne respectent pas la loi», explique-t-il en référence à la récente directive européenne qui impose de strictes limites dans la concentration du produit utilisé pour «éclaircir» les dents.

L'agent chimique blanchissant, du peroxyde d'hydrogène, autrement dit de l'eau oxygénée, ne «présente aucun risque» à condition qu'il soit utilisé à des concentrations minimes, inférieures à 0,1%, selon le texte adopté en septembre par Bruxelles. Au-delà d'une concentration de 0,1% (et jusqu'à 6%), l'utilisation doit être encadrée par les dentistes.

Huissiers

À la demande de l'Ordre des dentistes, nombre de bars à sourire ont reçu la visite d'huissiers pour relever noms et compositions des produits utilisés. La Direction générale de la concurrence et des fraudes (DGCCRF) a été alertée et a procédé à plusieurs contrôles.

Le cofondateur de la principale chaîne française «Point sourire» (une vingtaine de boutiques), Yann Toledo se défend bec et ongles: «J'ai eu cinq à sept contrôles de la DGCCRF ou d'huissiers sur ordre de l'ONCD. Je n'ai pas eu une seule fermeture».

Dans l'ambiance épurée d'une de ces boutiques dans le quartier du Marais, à Paris, un panneau bien en évidence garantit aux clients un strict respect des doses maximums tolérées dans l'UE.

Isolé dans une cabine, le client reçoit un gel sur les dents et doit «sourire» pendant 15 à 20 minutes devant une lampe à lumière bleue qui active le processus de blanchiment.

Prix de base: 29,9 euros (45 dollars). Mais à ce tarif, l'effet blancheur dure au mieux quinze jours, avoue le responsable. «La directive européenne n'a rien changé pour nous, nous avons toujours respecté le seuil des 0,1%», assure-t-il.

«On a essayé de contacter l'ordre national des dentistes pour leur expliquer que c'est un phénomène qui existe depuis 10 ou 15 ans aux États-Unis, qu'en Belgique des dentistes ont créé une chaîne de bars à sourire», plaide M. Toledo.

Mais les dentistes sont restés sourds à ces avances. «La profession n'est pas en retrait. Elle veut simplement tirer la sonnette d'alarme pour souligner que les gens dans le bar à sourire n'ont aucune qualification», explique le secrétaire général de l'Association dentaire française (ADF), Joël Trouillet.

Au principal syndicat dentaire, la Confédération nationale des syndicats dentaires (Cnsd), on doute du respect de la norme européenne par les boutiques du sourires.

«Si vous voulez des résultats vous devez forcément avoir des concentrations supérieures aux normes autorisées par la directive européenne», affirme Catherine Mojaïsky, secrétaire générale de la Cnsd.

«S'ils respectent la norme européenne, le résultat sera très faible», confirme Jacques Wemaere, chirurgien dentiste près de Bordeaux.

Mais ce jeune dentiste de 31 ans affiche une attitude plus ouverte que ses aînés sur le phénomène: «Moi je n'ai pas du tout peur des bars à sourire, je dirais même que c'est une chance pour la profession».