Le Musée des arts décoratifs de Paris présente depuis le début du mois de juillet Christian Dior, couturier du rêve, une exposition grandiose qui célèbre les 70 ans de la création de la maison. Le célèbre couturier a révolutionné la mode en rendant hommage au corps de la femme. Et son influence se fait toujours sentir.

L'exposition Christian Dior, couturier du rêve, qui présente plus de 300 robes de haute couture conçues entre 1947 et aujourd'hui, met en valeur le génie de ce couturier qui a révolutionné la mode après la Seconde Guerre avec son New Look, une allure élégante où triomphe la féminité.

Christian Dior, qui a bâti un véritable empire, est mort en pleine gloire en 1957. Avec cette exposition, les visiteurs découvrent son univers et celui de ses successeurs : Yves Saint Laurent, Marc Bohan, Gianfranco Ferré, John Galliano, Raf Simons et Maria Grazia Chiuri, première femme qui a pris les rênes de la maison en 2016. Entrevue avec Florence Müller, commissaire de l'exposition.

Comment le New Look de Christian Dior a-t-il révolutionné la mode et modifié l'image de la femme en 1947 ?

Le mot « révolution » a été employé très tôt pour décrire ce qui se passait, même si Christian Dior se défendait d'avoir voulu faire une révolution.

Elle est basée sur un mouvement nostalgique. L'intention de Christian Dior était de faire disparaître le style de la guerre et de proposer quelque chose de nouveau. Il voulait effacer les mauvais souvenirs. La silhouette de la guerre était très masculine, avec des épaules exagérées et rectangulaires et il a pris l'exact opposé.

Il a voulu ramener le triomphe de la féminité, celui des courbes, des lignes souples et a mis l'accent sur ce qui caractérise la féminité : des épaules douces, la poitrine, le creux de la taille, les hanches.

Son concept de féminité est basé sur l'idée que la femme est belle comme une fleur et cela s'exprime par un buste menu et une jupe qui s'élargit comme la corolle d'une fleur.

« Rendre les femmes belles pour les rendre heureuses », tel était son désir ?

Oui, c'est une phrase qu'il a dite. Donner aux femmes le sentiment d'une beauté qui est liée à une forme de séduction. Dans ce monde de l'après-guerre, on reconstruit le corps de la femme à travers le vêtement. [...] En faisant cela, il fait ce que d'autres ont réalisé dans des domaines comme l'architecture, le mobilier ou l'auto, car l'esprit de l'après-guerre était de reconstruire le monde. [...] D'ailleurs, Christian Dior avait appelé son bureau de création « le bureau des rêves ». On n'a jamais eu dans l'histoire de la mode un choc aussi radical et surtout aussi radicalement adopté en quelques mois.

Et pourtant, il y a eu de vives critiques sur le New Look ?

Il y a eu des manifestations, notamment aux États-Unis, car certaines personnes le voyaient comme l'apologie du luxe dans une période d'après-guerre où les populations étaient très pauvres. On voit qu'avec le New Look, le désir de la beauté et de la mode était plus fort que la réalité. Les robes étaient inatteignables pour la majorité des femmes, mais en réalité, elles ont trouvé les moyens de réaliser le New Look de Dior en taillant dans des toiles de parachute, des rideaux ou des nappes ces grandes jupes en corolle qu'elles voulaient porter !

Cette vision du luxe était finalement l'incarnation de l'art de vivre à la française ?

Totalement. Cette volonté était de ramener sur le devant de la scène ce qui constituait l'art de vivre à la française au XVIIIe et XIXe siècles. La France avait souffert pendant la guerre et il y avait le besoin de revenir à une forme de fierté qu'était la culture française qui avait rayonné dans le monde. C'est une des sources principales d'inspiration de Christian Dior, et c'est un thème fort de l'exposition, tout ce qui tourne autour de Versailles, de la galerie des Glaces, du petit Trianon. C'est une façon de dire au reste du monde que la France est constituée de choses brillantes, même si elle a vécu dans l'horreur et la honte de l'Occupation.

On voit dans l'exposition que les créations de Christian Dior sont intemporelles !

J'avais à coeur de donner la sensation que toutes ces créations pouvaient être portées aujourd'hui. Et je pense qu'on le ressent. Je me dis qu'une robe créée par Christian Dior pourrait être de Maria Grazia Chiuri [directrice artistique actuelle] et inversement. D'ailleurs, la maison Dior réédite certains modèles qui sont de l'époque de M. Dior. Il y a même dans le département haute couture des commandes de clientes qui demandent des robes de l'époque de M. Dior, d'Yves Saint Laurent ou de Gianfranco Ferré.

Il a bâti un empire en quelques années ?

Oui. C'est le premier couturier à avoir construit à partir de son nom un empire qui était présent sur tous les continents. Ce qu'il a accompli dans les années 50, c'est ce qu'on voit aujourd'hui se réaliser avec les marques présentes dans le monde entier, mais à l'époque, c'est un schéma qu'il a inventé.

Quand on voit l'accomplissement de ces 10 années, de 1947 à 1957, c'est délirant. Le prestige de la maison Dior était tellement gigantesque que lorsqu'il est mort, la question d'arrêter la maison ne s'est pas posée. Yves Saint Laurent était un petit génie qui travaillait déjà dans la maison, mais il était très jeune, il avait 21 ans, et les dirigeants ont pris le risque de confier les clés de la maison à ce jeune homme, car il avait été désigné par Christian Dior lui-même.

Quel est l'héritage de Christian Dior aujourd'hui ?

Garder cette quête de beauté, de sophistication, de luxe, de broderies et de l'exprimer dans quelque chose de quotidien.

Il y a les robes de bal en tulle brodé de Maria Grazia Chiuri, qui rappellent celles de Christian Dior, sauf qu'elles sont plus légères. Il y a moins d'épaisseur de tulle et elles peuvent se porter très facilement dans la journée avec des chaussures plates ou des baskets. C'est une vision très actuelle de quelque chose qui appartient à l'ADN de la maison : le rêve, le bal, la fête, le désir d'être belle comme le souhaitait Christian Dior, mais dans un art de vivre actuel, plus simple.

Les successeurs de Christian Dior doivent-ils respecter le style et l'esprit de la maison ?

Ce n'est pas une obligation, mais on voit que tous ces créateurs ont commencé par se référer au geste fondateur de la maison. La place de la maison Dior est tellement exceptionnelle dans l'histoire de la mode qu'ils ne pouvaient pas passer à côté. [...] Ils ont construit la continuité dans la réinvention. Maintenir le fil conducteur de la maison tout en exprimant l'époque à travers leur sensibilité.

Florence Müller est commissaire de l'exposition avec Olivier Gabet, directeur des musées des Arts décoratifs.

QUI ÉTAIT CHRISTIAN DIOR?

Christian Dior est né en 1905 à Granville, en Normandie, dans une famille d'industriels aisés. La famille s'installe à Paris cinq ans plus tard, mais l'enfance du couturier est marquée par cette maison de Granville qui domine la mer. Il puisera son inspiration dans les jardins et fleurs de cette villa devenue le musée Christian Dior.

Avant de devenir couturier, Christian Dior a tenu une galerie d'art de 1928 à 1934, où il exposait des peintres comme Salvador Dalí, Pablo Picasso, Alberto Giacometti. Dans les années 30, il vend des croquis de robes puis entre comme modéliste chez le couturier Robert Piguet et ensuite comme styliste chez Lucien Lelong. Il rencontre l'industriel Marcel Boussac qui financera le lancement de sa maison de couture.

Le 12 février 1947, Christian Dior présente sa première collection avec des silhouettes inédites, il a inventé le New Look. C'est Carmel Snow, rédactrice en chef du magazine américain Harper's Bazaar, qui s'est exclamée : « Mon cher Christian, vos robes ont un tel new look ! » Le succès est instantané et international. Il meurt en 1957 d'une crise cardiaque en vacances en Italie.

ARTISTE ET BUSINESSMAN

La commissaire Florence Müller souligne avoir découvert différentes facettes de l'homme en préparant l'exposition. « Le plus étonnant, c'est que c'était un personnage très timide et modeste, il vivait entouré de ses amis dans une intimité très protégée, explique-t-elle. Et en même temps, il a eu une vie qui l'a propulsé sur le devant de la scène où il a été obligé de jouer un rôle très proéminant qu'il a accompli. »

« J'ai découvert qu'il était à la fois très artiste et très businessman, ce qui est rare dans cet univers. C'est une des clés de sa réussite aussi fulgurante et unique dans l'histoire de la mode », estime la commissaire.

« En quelques années, la maison Dior est devenue le synonyme de " haute couture " dans le monde. »

- Florence Müller, commissaire de l'exposition

« Il a compris qu'il ne suffisait pas d'être un artiste, un excellent dessinateur de robe, mais qu'il fallait aussi avoir une gestion rigoureuse de sa maison. Il entretenait une correspondance très soutenue avec son directeur Jacques Rouet et on voit qu'il s'intéressait au moindre détail de gestion de la maison », poursuit Mme Müller.

L'EXPOSITION EN BREF

Pour raconter l'épopée de la maison Dior sur près de 3000 m2, on présente, dans une scénographie spectaculaire conçue par Nathalie Crinière, 300 robes, plus de 700 accessoires, chapeaux, bijoux, sacs et flacons de parfum, des documents d'archives inédits, des oeuvres d'art et des photographies de mode.

Les visiteurs y découvrent les multiples sources d'inspiration de Christian Dior dans des ambiances très différentes, passant par les ateliers Dior, le Trianon, les voyages et les fleurs puisqu'il était un grand passionné des jardins.

L'exposition consacre des salles à tous les successeurs de la maison Christian Dior : Yves Saint Laurent, Marc Bohan, Gianfranco Ferré, John Galliano, Raf Simons et Maria Grazia Chiuri. Elle se termine dans le décor somptueux de la nef où sont présentées les robes du soir portées par les plus grandes stars du monde au fil des ans, dont la princesse Grace de Monaco, Marilyn Monroe, Ava Gardner, Elizabeth Taylor, Nicole Kidman, Jennifer Lawrence, Emma Watson, Charlize Theron et Rihanna.

Christian Dior, couturier du rêve, présentée jusqu'au 7 janvier 2018 au Musée des arts décoratifs, à Paris