Chaque matin, les préposés aux guichets répètent à haute voix les mots d'accueil et d'excuses rituels jusqu'à l'intonation parfaite, puis se postent devant un ordinateur pour mesurer leur sourire, moyen utilisé dans des gares au Japon pour mieux satisfaire les passagers rois.

La compagnie ferroviaire Keihin Kyuko (Keikyu), qui exploite un réseau régional de chemin de fer dans la conurbation de Tokyo, a installé, dans 15 stations, un dispositif pour juger si son personnel est assez souriant sans être hilare et aider à décrisper les mines renfrognées.

 

Ce «souriromètre», un ordinateur doté d'un logiciel spécial et surmonté d'une caméra, est l'oeuvre du spécialiste nippon des capteurs en tout genre, Omron.

Au Japon, les clients, habitués à être choyés, sont intraitables sur la qualité du service.

Dans les commerces, ils ne comprendraient pas de subir les sautes d'humeur des employés, lesquels se savent payés pour contenter la clientèle ainsi que pour valoriser l'image de la société dont ils portent l'uniforme.

En général, les usagers des chemins de fer ont de quoi être satisfaits: le distributeur de billets 10 fois plus rapide que le vendeur, le portillon «80 passagers par minute» infaillible, le commis sur le quai immédiatement disponible, les annonces sur-le-champ à la moindre anomalie, le train immanquablement à l'heure, le contrôleur en faction à la sortie prêt à répondre à toutes les questions et... le sourire de la guichetière.

Le système Smile-scan d'Omron est là pour ça. Il situe dans l'instant un visage dans l'image et évalue en temps réel si la personne sourit, puis lui accole une note de 0 à 100.

Des conseils, sous forme de sous-titres, lui sont donnés automatiquement pour parfaire la risette.

Il est possible d'enregistrer la vidéo et d'imprimer des photos, «de sorte que chacun puisse conserver un cliché dans son casier et s'entraîne à être plus accueillant», indique Taichi Takahashi, porte-parole de Keikyu.

La progression de chacun peut également être conservée.

Une option permet enfin de mettre en concurrence deux salariés sur le même écran, pour que le plus coincé imite le plus gracieux. Cela n'est pas perçu comme une sanction humiliante, mais comme un mode ludique d'émulation.

Les hôtesses des guichets en faction devant les portillons, dans les gares de Keikyu, se prêtent d'ailleurs à ces exercices sans la moindre réticence - cela fait partie de leur travail.

«J'ai été un peu surprise quand cet équipement est arrivé, mais enthousiaste. J'ai immédiatement eu envie de l'essayer», témoigne une employée à la gare Keikyu de l'aéroport de Haneda, Kanako Inoue, son radieux minois se reflétant sur l'écran, auréolé d'un beau 97/100.

«C'est utile, je crois, mais je n'ai pas encore suffisamment expérimenté le système pour en juger précisément», poursuit-elle, tout sourire.

«Nous allons voir au fil du temps les effets réels et également étudier avec Omron comment bien ajuster les paramètres, pour que les points attribués par la machine correspondent bien aux critères qui font qu'une mimique est ou non plaisante à regarder», enchaîne son supérieur hiérarchique, Yukihiro Yamada.

«Cela dit, le plus important reste de juger par soi-même et de s'adapter naturellement au client que l'on a en face de soi. Quel que soit le visage affable qu'on lui tend, s'il est pressé, il veut vite une réponse à sa question, alors...», nuance, lucide, Mme Inoue.

«C'est quand même plus facile pour les belles filles, non?» questionne M. Yamada, faisant la moue devant le verdict de la machine.