Mozart n'avait aucun talent particulier. Il était simplement très travaillant, notamment grâce à son père qui exigeait de lui un régime de piano extrêmement exigeant.

Telle est la thèse d'Anders Ericsson, un psychologue de l'Université d'État de Floride qui divise le monde de la recherche sur les surdoués depuis une décennie. Sa théorie que l'excellence ne dépend que de l'effort, pas des aptitudes intellectuelles, vient de séduire la presse grand public. Un journaliste du New York Times, Daniel Coyle, et un autre de la revue Fortune, Geoff Colvin, viennent de publier deux livres basés sur les thèses d'Ericsson, respectivement The Talent Code et Talent is Overrated.

 

Les critiques n'ont pas tardé à fuser. «Je pense que l'analyse des données est trop limitée», explique Ellen Winner, une psychologue de l'Université de Boston qui a publié une critique de cette théorie dans un livre édité par M. Ericsson. «Personne ne nie que l'intelligence ne suffit pas, qu'il faut aussi travailler. Mais dire que le travail suffit, c'est absurde. Ça montre qu'on n'a jamais rencontré un surdoué et qu'on n'a jamais essayé d'enseigner le piano cinq heures par jour à un enfant normal.»

L'explication de Mme Winner et des autres critiques de M. Ericsson est simple: les surdoués travaillent davantage que les autres parce qu'ils ont facilement des succès. «Travailler cinq heures de temps au piano n'est possible que si on a de la facilité et donc du plaisir, dit Mme Winner. Statistiquement, une association n'est pas nécessairement causale: si la douance et le travail sont associés, ça peut aussi bien signifier que la douance pousse à travailler. Personnellement, je trouve que c'est beaucoup plus probable.»

M. Ericsson n'en démord pas. «Ellen et moi sommes d'accord qu'un travail acharné est essentiel pour le succès international. Mais je n'ai jamais vu de preuve que les aptitudes intellectuelles facilitent ce type de travail. À part la taille et la masse dans plusieurs sports, je ne connais aucun trait génétique qui limite l'atteinte des plus hauts niveaux d'un domaine.»

Mme Winner a indiqué à La Presse que des équipes sont en train d'analyser plus finement les données de M. Ericsson, pour montrer que le lien entre le travail et le succès n'est pas proportionnel - et donc qu'il est douteux.

D'autres influences, notamment familiales, entrent en jeu pour comprendre la douance. «Pour atteindre les sommets d'une discipline, particulièrement quand il s'agit de créativité et de compétences sociales, il faut ou bien être né dans une famille exceptionnellement intellectuelle, ou alors dans un milieu très difficile», estime un autre critique de M. Ericsson, Mihaly Csikszentmihalyi, psychologue à l'Université Claremont en Californie. «Même si on est surdoué, si on n'a pas des parents qui nous poussent à aller au bout de nos capacités, ou alors un milieu dont on veut s'échapper à tout pris, on ne fera généralement pas les efforts nécessaires pour atteindre le sommet.»