« Tu as déjà frappé quelqu’un de toutes tes forces sans conséquence ? C’est un feeling assez génial. Je peux m’enfermer dans une cage avec un gars qui a les mêmes heures d’entraînement que moi, sinon plus, et essayer de détruire cet individu jusqu’à ce qu’un arbitre s’interpose pour lui sauver la vie. »

Charles Jourdain vient de passer une semaine à profiter « des cigares, de beaucoup de bouffe et des steaks tomahawks », après avoir fait taper son opposant dans l’arène.

Il s’amuse de cette énumération, lors des premières minutes de son appel avec La Presse. C’est comme ça qu’il se sort de la « spirale malsaine » précombat. Des petits plaisirs, une belle manière de célébrer sa deuxième victoire d’affilée dans l’octogone.

S’il s’est permis des écarts en ce qui a trait au régime dans les derniers jours, c’est parce que les sacrifices préparatoires à un combat sont colossaux. Membre de la catégorie des poids plumes, le Québécois doit faire 145 livres lors de la pesée officielle.

« La coupe de poids est très difficile. Tu es en mode de survie, à un point où tu n’as même plus envie de gagner, de conquérir. Tout ce dont tu as envie, c’est de boire juste une goutte d’eau.

« Mais ça fait partie du contrat. J’ai une mission, un devoir pour le respect de la promotion, de l’adversaire », précise-t-il.

Je ne veux aucune once de pitié de personne. Je ne veux pas d’encouragements basés sur la pitié. Ce n’est pas dans mon code de vie.

Charles Jourdain

Le 23 septembre, « Air » Jourdain (15-6-1) livrait la meilleure performance de sa carrière à l’UFC. Victoire par soumission, à l’aide d’une guillotine, au premier round. Il n’a pas laissé le choix à son adversaire, le Brésilien Ricardo Ramos (16-5).

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE CHARLES JOURDAIN

À peine 3 minutes 12 secondes étaient écoulées lorsque Charles Jourdain a passé la soumission à Ricardo Ramos, à Las Vegas.

Pourtant, à la suite de cette victoire, son visage était fermé. Impassible. Essentiellement dénué d’émotions.

Le natif de Belœil y voit une manifestation de stoïcisme, courant philosophique voulant qu’on accorde de l’importance seulement aux choses qu’on contrôle, et auquel il s’identifie fortement.

« J’ai la chance de faire quelque chose que j’aime même si c’est difficile. Quand tu ne l’atteins pas, ce n’est pas de la faute à personne. Je n’ai jamais blâmé personne pour mes erreurs. »

Le combat d’une vie

Au téléphone, ça s’entend. Le combattant de 27 ans va bien – sa voix porte le sourire en coin. Il se dit en mission : celle du sentiment d’accomplissement, tout en s’assurant de demeurer stoïque, authentique, honnête envers lui-même.

« Je suis aussi heureux que quand j’avais gagné mon premier 40 piastres en me battant dans un garage en Thaïlande. Mais le but n’a jamais été d’être heureux. Je pense que le sentiment d’accomplissement est plus important que le bonheur. »

L’UFC, pour Jourdain, est une sorte de représentation moderne des anciennes arènes de gladiateurs. Deux guerriers sont livrés à eux-mêmes, au centre d’une cage entourée d’une foule assoiffée. L’arbitre est comme l’empereur qui a le pouvoir de s’interposer.

« J’ai eu un moment de réalisation. J’ai perdu une fois dans ma carrière par soumission [contre l’Américain Julian Erosa, en septembre 2021], par choke. Je me suis dit : “Wow, sans arbitre, j’étais mort.” »

Tu es comme un petit poisson dans un grand océan. Tu t’adaptes, tu deviens meilleur ou tu te fais sortir.

Charles Jourdain

Charles Jourdain est entré dans l’UFC en 2019, à l’âge de 23 ans. Avec 12 combats d’expérience dans la cour des grands, il est à la fois le plus jeune Canadien à y détenir un contrat et celui qui s’y est battu le plus souvent – un savant mélange de jeunesse et d’expérience.

Avec ses prestations, et grâce au vrai visage qu’il s’efforce de présenter sur les réseaux sociaux, il a bâti un bassin de partisans inspirés.

« En juin, à un évènement de l’UFC à Vancouver, GSP m’avait dit : “Ça va être intense, tu vas voir.” J’ai passé des heures et des heures à rencontrer des milliers de gens. Il y avait des restaurants pleins juste pour me rencontrer », se rappelle-t-il, quelque peu dépassé par l’ampleur de la chose.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE CHARLES JOURDAIN

Charles Jourdain

Au Québec, c’est moins le cas. Les sports de combat ne sont pas exactement une priorité dans les médias de la province. À un certain moment, on lui donnait même une plus grande tribune en France ou dans le reste du Canada.

« J’ai lâché prise sur ma volonté d’être plus couvert ici. Je ne suis pas en train de détester le Québec, c’est lui que je représente. Et je suis vraiment, vraiment fier d’être Québécois. Je suis contre la couverture médiatique, par exemple qu’on va parler du miniputt mais pas de moi qui finis un combat à l’UFC. »

De manière réaliste, Jourdain se voit encore se battre professionnellement jusqu’à ses 30 ans. Le championnat des poids plumes n’est pas une nécessité. Il ne veut pas atteindre le point où il aurait l’impression d’avoir fait « le fight de trop ».

« Ce sont les moments difficiles qui vont faire de moi un meilleur homme. La ceinture comme objet ne m’intéresse pas. Mais le concept de partager la cage avec les meilleurs au monde, ce serait un honneur », évoque-t-il.

« Je ne suis pas prêt à vendre mes années en tant que père et grand-père pour atteindre mes objectifs de combat. Je ne suis pas prêt à ça. Je veux être capable de courir avec mon fils et ma fille. Ma santé est primordiale. Après ma carrière, je veux partir avec mon bateau rempli de trésors. »

Parole d’un gladiateur stoïque.