Après une fin de parcours tumultueuse chez les amateurs, Caroline Veyre redécouvre son amour pour la boxe depuis son passage dans les rangs professionnels.

Caroline Veyre a pris l’habitude de « bloquer » ses futures adversaires de l’accès à ses comptes sur les réseaux sociaux, pour préserver un tant soit peu le mystère l’entourant à l’approche du combat.

« Pas de souci, j’ai vu ce que j’avais à voir, ça ne me fait pas peur, elle n’a rien d’impressionnant », a tranché la Française Emma Gongora, qu’elle affrontera le 12 mai, à la Place Bell de Laval, en sous-carte du duel opposant Kim Clavel à Naomi Arellano Reyes.

Veyre a souri en prenant connaissance de cette remarque prononcée par Gongora dans une vidéo préparée pour une conférence de presse, au début du mois.

« Si elle me sous-estime, c’est vraiment bien pour moi ! a souligné la boxeuse montréalaise quelques minutes plus tard. Je me dis qu’elle ne sait pas à qui elle a affaire. Je m’attends à entendre souvent ça en boxe et ça ne me dérange vraiment pas. »

Quart de finaliste aux Jeux olympiques de Tokyo, à l’été 2021, Veyre se sent comme un poisson dans l’eau dans l’univers de la boxe professionnelle, une avenue à laquelle elle n’avait jamais songé pendant sa carrière de 15 ans chez les amateurs.

« Je n’ai jamais voulu devenir pro », confirme celle qui a fait ses débuts en août dernier à Cornwall. « Ce n’était pas quelque chose qui m’intéressait. Mais j’aimais la boxe et je voulais continuer à boxer. Je ne voulais juste plus être sur l’équipe nationale. Je ne voulais plus rien savoir de ça. »

La médaillée d’or des Jeux panaméricains de Toronto en 2015 a fait partie de la fronde collective qui a mené à la démission forcée du directeur haute performance de Boxe Canada, l’an dernier. Selon les plaignants, Daniel Trépanier aurait instauré un climat toxique au sein de l’organisation.

« L’environnement était tellement malsain. Avec toute cette pression que j’ai vécue juste avant les Jeux, c’était si difficile que j’ai dû arrêter de m’entraîner pendant longtemps. Je n’étais pas capable. »

C’était le moment où plusieurs plaintes se faisaient et moi je faisais partie de ces gens-là. J’avais besoin de passer à travers et de régler ces choses-là.

Caroline Veyre

Le report des Jeux en raison de la pandémie et l’impossibilité de s’entraîner adéquatement au Québec ont également pesé lourd.

« Je suis passée au travers parce que mon seul objectif était de me rendre jusqu’au bout. J’y suis arrivée et c’était vraiment une fierté. Avec toutes ces difficultés, ça s’est bien déroulé. En plus, j’ai gagné un premier combat aux Jeux olympiques. »

PHOTO STEPHEN HOSIER, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Caroline Veyre (en rouge) aux Jeux olympiques de Tokyo, à l’été 2021

En quart de finale, elle s’est inclinée contre l’Italienne Irma Testa, future médaillée de bronze qui a été sacrée championne mondiale le mois dernier.

En marge de l’équipe nationale et fatiguée des voyages aux quatre coins du monde, Caroline Veyre ne se voyait plus poursuivre sa carrière dans la boxe olympique.

Elle a offert ses services au Groupe GYM, une proposition qui a surpris son président Yvon Michel. Aux yeux du promoteur, l’athlète de 34 ans pouvait viser un podium aux Jeux de 2024 à Paris, sa ville natale.

Une nouvelle vie

Veyre a rejoint le groupe de Danielle Bouchard, l’entraîneuse de Clavel. Après trois premiers combats victorieux chez les professionnelles, elle ne regarde plus derrière.

« Ça ne fait même pas un an que je suis avec eux et j’ai déjà vraiment évolué. Ma boxe est complètement différente. Je ne suis pas du tout la même boxeuse. »

Je suis très heureuse de ça parce que je savais que j’avais les capacités pour être une bonne boxeuse de ce niveau-là. Je suis contente de pouvoir le montrer et démontrer mon talent sur la scène professionnelle.

Caroline Veyre

La pugiliste poids plume (moins de 126 lb) estime avoir franchi un cap à l’occasion de sa victoire par décision unanime après six rounds contre la Française Anaëlle Angerville (5-2-1), le 16 mars, avant la défaite de Jean Pascal contre Michael Eifert à Laval.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Caroline Veyre (à gauche) a remporté une victoire par décision unanime contre la Française Anaëlle Angerville, le 16 mars.

Angerville agissait à titre de remplaçante de dernière minute après le forfait de Gongora sur blessure. « C’était contre une bonne adversaire et j’ai pu pratiquer toutes les choses que j’avais prévu faire contre Gongora », s’est réjouie la Québécoise, qui a percé le top 20 du classement de BoxRec grâce à cette victoire.

Aux yeux de Bouchard, la préparation actuelle n’est qu’une prolongation de celle amorcée à l’origine pour la même rivale.

« On a ajouté de petites choses techniques, on travaille spécifiquement pour [Gongora], a noté l’entraîneuse. Je sais que Caroline a toutes les habiletés nécessaires pour tirer son épingle du jeu dans ce combat. Elle est intelligente, brillante. Elle a une bonne défensive et elle peut également frapper solidement. »

Après deux défaites à ses deux premiers affrontements, Gongora a remporté les six suivants. Comme Angerville, la Marseillaise de 29 ans détient une large expérience en kickboxing et en muay thaï, la boxe thaïlandaise.

À son dernier passage au Québec, en septembre, Gongora a surpris la gauchère Martine Vallières Bisson, l’emportant par décision unanime après lui avoir fracturé le nez.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La boxeuse française Emma Gongora

Veyre s’est surtout attardée à étudier la défaite de sa future opposante devant la Française Estelle Mossely, toujours invaincue et aujourd’hui championne mondiale des légères de l’IBO. Une victoire lui permettrait d’entrer dans le classement du World Boxing Council, où Gongora occupe le 17e rang.

J’accepte le défi et je suis vraiment contente de disputer un premier huit rounds. Je veux affronter des adversaires de qualité et vivre toutes les situations difficiles pour que j’aie acquis tout ce qu’il faut quand j’arrive en combat de championnat du monde.

Caroline Veyre

Veyre a pu mesurer le chemin à parcourir en assistant au sacre de la championne incontestée de sa catégorie, la Portoricaine Amanda Serrano (44-2, 30 K.-O.), le 4 février, au Madison Square Garden de New York.

« Pour arriver à ce niveau, il faut de la difficulté dès le départ. Ce n’est pas en battant des filles que je peux knocker facilement. J’ai déjà une bonne expérience amateur. Il me reste à développer mon style en boxe professionnelle. Je suis prête à faire tout ça. »

Pas comme dans Rocky…

PHOTO MORGANE CHOQUER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Caroline Veyre

Native de Paris, Veyre a immigré à Montréal avec ses parents, son frère et sa sœur quand elle avait 14 ans. L’intégration a été difficile. « Je voulais retourner en France chaque année. J’étais nostalgique. » L’adolescente a pratiqué la danse hip-hop jusqu’à ce qu’une amie abandonne l’activité. Après un essai peu concluant en kickboxing, elle s’est tournée vers la boxe à l’âge de 17 ans. Elle n’y connaissait rien. « Je pensais que c’était comme Rocky. On se frappe jusqu’à ce que l’autre tombe et il y a plein de sang… Je n’avais vu aucun combat de boxe dans ma vie. Puis j’ai compris que ce n’était vraiment pas ça, qu’il y avait une stratégie et qu’il ne fallait pas se faire toucher. Les mouvements me fascinaient et je voulais les apprendre. C’est vraiment devenu une obsession. » Léonard Kwitkowski, un entraîneur d’origine polonaise avec un grand bagage amateur, l’a prise sous son aile et coachée pendant 15 ans. « Il est pratiquement comme un père. » Sa présence à tous ses combats est maintenant incontournable. « Je n’ai pas le droit de perdre devant lui, alors c’est super important qu’il soit là ! »