Personne ne se bat dans les autobus au Québec pour changer le mode de scrutin, affirmait le premier ministre François Legault pendant la dernière campagne électorale.

De la même façon, l’identité du gagnant du combat qui opposera les boxeurs québécois Erik Bazinyan et Shakeel Phinn, jeudi soir, ne provoquera pas d’escarmouches sur la ligne 777, celle qui fait la navette entre la station de métro Jean-Drapeau et le Casino de Montréal, lieu du duel.

Comme le vénérable promoteur Régis Lévesque, paix à son âme, n’est plus de ce monde, l’entraîneur montréalais Ian MacKillop s’est chargé de pimenter un peu cet affrontement local qui en manquait, même si les 600 billets du Cabaret se sont vendus à une vitesse record, paraît-il.

Ainsi, si le face-à-face de 10 rounds mettant en jeu la ceinture NABF des super-moyens a dû être reporté du 11 avril au 2 mai, ce n’est pas parce que son détenteur souffrait d’une sinusite carabinée, tel qu’annoncé par Eye of the Tiger Management (EOTTM) à trois jours d’avis.

Non, non, a affirmé le coach de Phinn, qui assure avoir appris une tout autre histoire : Bazinyan aurait plutôt rencontré « des difficultés et des problèmes à l’entraînement », a-t-il glissé en conférence de presse mardi matin.

« Serais-tu en train d’insinuer que nous avons menti ? », a demandé Camille Estephan, grand patron d’EOTTM, en reprenant le micro.

« Je ne dis pas que quiconque a menti ou a été malhonnête, mais j’ai entendu qu’il a eu des difficultés durant le sparring », a précisé MacKillop, qui en a profité pour en rajouter une couche : « Un de vos entraîneurs est un peu trop bavard. […] Je ne veux pas trop en dire, mais j’ai entendu qu’il [Bazinyan] avait été un peu commotionné pendant une séance de sparring. Et je sais que c’est à peu près factuel. Le gars qui a fait ça n’est pas très expérimenté et Shakeel est très expérimenté. Ça lui a probablement donné une petite pause. »

« Merci de clarifier ta pensée, mais je crois toujours que tu dis qu’on a menti », a répliqué Estephan, l’air plus amusé que choqué.

« Je prends beaucoup de risques »

S’il maîtrise quatre langues, Bazinyan n’est pas un adepte des piques et des provocations. Le Lavallois de 28 ans, invaincu en 32 combats professionnels, ne s’est pas formalisé de cette insinuation de l’entraîneur de son adversaire.

« Les gens aiment bien dire des choses comme ça pour se sentir mieux, a-t-il évacué en mêlée de presse. Je pense que c’est à cause du stress. Ça ne me dérange pas. Je ne fais pas du trash talk. S’il pense que je me suis fait mal en sparring ou quelque chose du genre, il va avoir une surprise. »

Ironiquement, même Phinn a accueilli les insinuations de son entraîneur avec un grain de sel. « Les mots, pour moi, ce n’est rien, a assuré le Brossardois de 33 ans. Il a essayé de faire ça aujourd’hui, c’est correct. Je suis avec mon coach et vous allez voir le 2 mai : ça va être bon. »

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Erik Bazinyan et Shakeel Phinn

Les amateurs de boxe québécois n’en pensent pas moins. Même s’il évolue dans l’ombre de son collègue d’entraînement Christian Mbilli, Bazinyan (32-0, 23 K.-O.) figure parmi les cinq premiers aspirants de tous les principaux organismes de sanction. Le magazine de référence The Ring le situe au sixième rang de son palmarès maison, dominé par le champion incontesté Canelo Álvarez, derrière des vedettes comme David Benavidez, Mbilli, Caleb Plant, David Morrell et Jaime Munguia, tous invaincus eux aussi.

En attendant du mouvement et une occasion dans cette catégorie de poids congestionnée (168 lb), l’Arménien d’origine doit demeurer actif et surtout faire bonne impression, comme il l’a fait à ses dernières confrontations, surtout sa victoire par K.-O. contre Ronald Ellis le 11 octobre. Toute la pression repose sur lui.

« Je prends beaucoup de risques à tous mes combats parce que j’ai 10 ans de travail sur mes épaules, a rappelé Bazinyan. Mais je m’entraîne très fort pour ça. Je reste concentré pour ne pas laisser passer ma chance. Je veux un gars comme ça, un adversaire comme ça. »

Oui, il est fort, mais je suis dans l’élite et je vais vous montrer ça jeudi soir.

Erik Bazinyan

En Phinn (26-3-1, 17 K.-O.), l’élève de Marc Ramsay ne fera pas face à l’inconnu : les deux anciens protégés des frères Otis et Howard Grant ont souvent servi de partenaires d’entraînement l’un pour l’autre dans les 10 dernières années. Ils se sont retrouvés dans le même ring pas plus tard que l’an dernier.

« C’est bien sûr un avantage pour moi parce que je sais ce qu’il peut faire, a souligné Bazinyan. Dans ma tête, je sais ce que je peux faire. […] Oui, c’est un bon boxeur, mais il n’est pas dans ma ligue. »

« Je vais le battre ! »

Cette rencontre avec Bazinyan est l’occasion d’une vie pour Phinn.

Après une défaite à son deuxième combat, cet ancien porteur de ballon vedette des Cougars du Collège Champlain s’est bâti une belle réputation en enchaînant les victoires dans des galas majoritairement organisés par Groupe Yvon Michel. Il a trébuché une deuxième fois en 2017 face à Ramon Aguinaga, un Mexicain invaincu à l’époque, puis à la fin de 2019 en Pologne devant Mateusz Tryc, qui n’est pratiquement jamais sorti de son pays. Pendant un court moment, il a même détenu la ceinture NABF qui appartient à Bazinyan depuis 2021.

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Shakeel Phinn

Après une pause de deux ans et demi qui a coïncidé avec la pandémie, Phinn s’est relancé avec cinq succès de rang, les quatre derniers obtenus en Ontario avec son nouveau promoteur Tyler Buxton (United Boxing Promotions).

« C’est ce que je veux depuis que j’ai commencé la boxe, un gros combat qui me met dans des classements mondiaux avec des noms haut placés comme Canelo et David Benavidez », a mentionné celui qui est surnommé le « Jamaican Juggernaut ». « Je veux être avec ces gars-là. Une victoire sur Erik, c’est ce que ça me donne. »

Naturellement plus pesant que son vis-à-vis, Phinn se considère comme « plus fort, plus fonceur et plus énergique ». « Ça va être dur, a précisé le père de deux enfants. Je ne suis pas en train de dire que ce sera un combat facile parce qu’il est quand même 32-0. Il n’a jamais perdu depuis qu’il a 13 ans ! Mais moi, je pense… je sais que je serai le gars qui va le battre ! »

« Pour l’honneur », annonce l’affiche du gala où s’exécuteront également Avery Martin Duval, Thomas Chabot, John Orobio, Alexandre Gaumont et Moreno Fendero, cinq « tigres » dont la fiche combinée est de 39-0-1. Pour Phinn et encore plus pour Bazinyan, qui a tout à perdre, ça va beaucoup plus loin que ce seul enjeu local. Même Régis serait d’accord.