Le 24 mai 1999, dans un salon de Marieville, un adolescent de 15 ans du nom de Kevin Steen regarde Raw, le rendez-vous hebdomadaire du lundi de la WWF.

Ce n’est pas un épisode comme les autres. En lieu et place des histoires abracadabrantes de l’époque, l’émission est entièrement consacrée à Owen Hart. La veille, il avait subi un horrible accident et était devenu le premier lutteur – et le seul à ce jour – à mourir pendant un spectacle de la WWF (aujourd’hui la WWE). L’émission était un enchaînement de poignants témoignages de ses confrères, entrecoupés de combats sobres.

Steen s’en souvient très bien.

Je sentais que moi aussi, j’avais perdu un ami… Même si je ne les connaissais pas, les lutteurs et lutteuses étaient comme mes amis, dans ma tête. Je les écoutais parler et je me disais : “Si j’ai un gars, je vais l’appeler Owen.”

Kevin Steen

On avance d’une dizaine d’années. « Quand ma femme est tombée enceinte et qu’on a su que c’était un gars, je lui ai demandé si on pouvait l’appeler Owen, et heureusement elle a dit oui. Mais ensuite, on visitait notre futur appartement, c’était en haut de chez ma belle-mère. On arrive à la chambre du petit gars qui habitait là. Son nom était écrit sur la porte. Et c’était Owen. Donc ça a confirmé qu’on avait notre nom ! »

Ce Kevin Steen a lui-même fait son chemin dans la lutte. Une fois arrivé à la WWE, il devait se trouver un nom d’artiste. C’est là qu’il est devenu Kevin Owens, clin d’œil à son fils, mais aussi, forcément, à Owen Hart.

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Le lutteur Kevin Owens

Le 23 mai marquera le 25e anniversaire de la mort troublante de ce lutteur aimé de tous. Voici son histoire, racontée par les gens d’ici qui l’ont connu.

Le monde de la lutte professionnelle ressemble parfois à un univers parallèle et c’était particulièrement vrai dans les années 1990. Raymond Rougeau, qui travaillait alors comme intervieweur et descripteur, en sait quelque chose.

« Des gars comme Macho Man, comme l’Ultimate Warrior, se sont perdus dans leur personnage. Owen Hart, son personnage, c’était ça : un personnage. Il ne s’est pas perdu. Il y avait le lutteur et il y avait le gars hors du ring. »

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Owen Hart applique une prise de tête à Triple H lors d’une soirée de lutte de la WWF au Fleet Center, à Boston, en mars 1998.

Le lutteur, c’était un rôle fabuleux du petit frère dans l’ombre. Il était le plus jeune des 12 enfants Hart, véritable famille royale de la lutte, établie à Calgary. Son grand frère Bret « Hitman » Hart était la tête d’affiche de la WWF des années 1990.

Lentement, Owen est devenu le frère jaloux, envieux et en manque d’attention. Ce personnage a véritablement décollé en 1994, à WrestleMania X, quand il a battu Bret, au milieu du ring, au Madison Square Garden.

Regardez le combat des frères Hart

« C’est là qu’on a pleinement réalisé le talent d’Owen, estime Pat Laprade, historien de la lutte et descripteur de La lutte WWE Raw à TVA Sports. Avant ça, il avait joué la première incarnation du Blue Blazer, lutté en équipe avec Koko B. Ware, plus récemment il venait de se tourner contre sa famille. Mais après un excellent match avec Bret contre les Quebecers au Royal Rumble de 1994, son match contre son frère est vraiment ce qui l’a sorti de l’ombre. »

Mais hors de l’arène, c’était différent. Denis Gauthier, fils de Joanne Rougeau, qui travaillait comme promotrice pour l’est du Canada pour la WWF, en garde un très vif souvenir. En 1996, la WWF a organisé un tout premier spectacle au Centre Molson. À l’affiche : Owen Hart contre Raymond Rougeau, qui sortait de la retraite pour un soir seulement.

Gauthier, alors fraîchement repêché par les Flames de Calgary, a rencontré Hart lors d’un évènement promotionnel en marge du spectacle.

« Je ne me souviens pas de tout ce qui s’est dit, mais on a jasé 15, 20 minutes de hockey, d’où je venais, c’était quoi mon parcours, se souvient Gauthier. Owen était un gros fan des Flames. C’était court, mais il m’a semblé très humain, aussi intéressé de connaître mon histoire que moi de connaître la sienne, que je connaissais très bien.

Il m’a rendu tellement à l’aise. Dans la lutte, il y a beaucoup d’ego. Lui, c’était tout le contraire.

Denis Gauthier

Et dans le vestiaire ? « Un gars aimable, toujours souriant, se souvient Pierre-Carl Ouellet, ancien partenaire de Jacques Rougeau au sein des Quebecers. C’était un joueur de tours continuel. Il n’y a rien qu’il n’a pas fait ! »

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Owen Hart en janvier 1999 lors d’une performance au Hershey Park Arena de Kansas City

Sur la route aussi, il se distinguait. Joanne Rougeau se rappelle un soir à St. John’s où, en revenant à l’hôtel, elle devait lui faire signer des papiers. « Et il me dit : “Je ne peux pas te parler, il est 8 h, je dois appeler ma femme.” Tous les soirs, il l’appelait à 8 h. J’ai trouvé ça le fun. C’est rare, sur la route. Au contraire, les gars oublient leur femme. »

Hart était aussi très économe, pendant que d’autres lutteurs dépensaient sans compter. « Quand on partait sur la route, je l’embarquais pour lui éviter de louer une auto. J’en louais une de toute façon, poursuit Joanne Rougeau. Les gars n’étaient pas tous faciles. Donc il était là pour me protéger.

« C’était un gars simple. On a des jeans troués, on ne les jette pas. Lui non plus. Il était très reconnaissant. Et sa façon de me repayer, c’était de me dépanner quand un gars ne se pointait pas à une entrevue. Il disait : “C’est correct, je vais y aller pour toi.” »

Une chute fatale de 78 pieds

En 1999, la WWF était en pleine « Attitude Era », où tout était fait pour choquer : le langage ordurier, les chaises, la bière, les femmes hypersexualisées. Rappelons que parmi les personnages de l’époque, on retrouvait un acteur porno et un proxénète.

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Owen Hart est soigné par des ambulanciers paramédicaux après une chute du plafond de l’aréna. Il est mort quelques minutes plus tard.

Owen Hart ne se retrouvait guère dans cet univers. La WWF lui a donc offert de ressusciter son personnage du Blue Blazer, un superhéros masqué qu’il avait joué à ses débuts avec l’entreprise, une décennie plus tôt.

Comme il était un superhéros, on lui demandait parfois de faire son entrée à partir du plafond de l’aréna, ce qu’il devait faire le 23 mai 1999. Sauf que le mécanisme qui le retenait a cédé. A suivi une chute fatale de 78 pieds, dans l’arène.

« Les gens sur place ont raconté que dans sa chute, il a crié : “Attention !” Le gars plonge vers sa mort, il sait que c’est fini, et la dernière chose à laquelle il pense, c’est : attention, je ne veux pas vous faire mal », raconte Jim Cornette, ancien promoteur de lutte, dans un documentaire de la série Dark Side of the Ring consacré à cette tragédie.

Voyez l’épisode complet : saison 2, épisode 10 (abonnement à Crave requis)

Seuls les gens réunis au Kemper Arena ont été témoins de sa mort. Le spectacle était présenté à la télévision à la carte, mais l’accident est survenu pendant la diffusion d’un montage vidéo.

Pierre-Carl Ouellet luttait alors dans un « club-école » de la WWF à Memphis. Il était réuni avec quelques lutteurs, dont le futur champion Kurt Angle, pour regarder le spectacle à la télévision. « On travaillait du jeudi au samedi, on avait congé ensuite. Donc on écoutait les shows du dimanche ensemble. On capotait. Il n’y avait pas de textos dans ce temps-là. On s’arrangeait pour voir les nouvelles sur le web. »

Ils n’ont finalement pas eu à attendre bien longtemps. Quelques minutes plus tard, le commentateur Jim Ross annonçait en direct la mort d’Owen Hart.

L’affaire a constitué un énorme œil au beurre noir pour la WWF.

La veuve d’Owen Hart, Martha, a poursuivi l’entreprise pour négligence. La décision de Vince McMahon de continuer le spectacle après l’accident a également été vertement critiquée.

PHOTO JESSICA HILL, THE ASSOCIATED PRESS

Vince McMahon – que l’on aperçoit avec sa femme Linda McMahon – a permis que le spectacle se poursuive après la mort d’Owen Hart dans l’arène.

« C’était dur de regarder le reste du show. On l’a regardé, mais on avait vraiment décroché », se souvient Kevin Steen.

L’accident était aussi un rappel des risques de cette folle industrie. Le danger vient généralement des cascades dans l’arène. L’accident d’Owen Hart était différent en ce sens, mais un fil conducteur demeure : des athlètes courent des risques afin de donner un spectacle.

Pour moi, c’était comme le téléphérique à La Ronde. Tu peux faire 500 voyages et une fois, ça lâche. La shot était faite avec des professionnels. Moi, je l’aurais fait. Si mon heure est arrivée, mon heure est arrivée.

Pierre-Carl Ouellet, lutteur

Cela dit, la WWF n’avait pas pris toutes les précautions nécessaires. Dans le documentaire de Dark Side of the Ring, Martha Hart montre le mécanisme, qui n’avait besoin que de 6 lb de pression pour s’ouvrir. « Vince ne voulait pas qu’Owen prenne du temps pour se détacher une fois sur le ring, comme Sting le faisait à la WCW, explique Pat Laprade. Il y avait donc un dispositif de libération rapide et c’est à cause de ce dispositif que Hart est mort. »

Les proches d’Owen Hart ont été déchirés. Dans ledit documentaire, sa veuve raconte que la famille Hart lui a mis des bâtons dans les roues dans le cadre de sa poursuite. Elle refuse également que son défunt mari soit intronisé au Temple de la renommée de la WWE, un autre enjeu qui divise la famille.

Nous voici à l’accueil du cimetière Queens Park, à Calgary.

« Bonjour, pouvez-vous me donner les indications pour une pierre tombale ?

– Bien sûr. Quel est le nom de la personne ?

— Owen Hart.

— Oh, c’est facile, celui-là ! »

PHOTO GUILLAUME LEFRANÇOIS, LA PRESSE

La pierre tombale d’Owen Hart au cimetière Queens Park, à Calgary

Ils sont visiblement nombreux à venir rendre hommage à l’ancienne vedette.

Le terrain est particulièrement vaseux en ce vendredi de mars inhabituellement chaud. Mais nous voici devant le monument, une pierre tombale plus grosse que la normale.

« Oje loves dad » du côté gauche. « Athena loves dad » du côté droit. Entre les messages de ses enfants, une note de sa veuve. « Martha and Owen forever », dans un cœur.

« Sa mort était venue me chercher, admet Pierre-Carl Ouellet. Je trouvais ça de valeur, il faisait plein d’efforts pour mettre son argent de côté, il ne buvait pas vraiment, il avait une jeune famille, mais il n’a jamais pu en profiter. »