Pier-Olivier Lestage a joué 17 des 18 parties des Alouettes de Montréal la saison dernière. Même si le dernier match du calendrier régulier n’avait aucune répercussion sur le classement éliminatoire, il l’a quand même disputé. Mais une blessure subie au deuxième quart de ce match sans incidence a mis un terme à sa saison et l’a surtout empêché d’avoir son nom inscrit sur la Coupe Grey.

Le 28 octobre, Montréal affrontait les Tiger-Cats de Hamilton au stade Percival-Molson. Ce duel avait la même importance qu’un match hors concours. Selon le classement, les deux formations devaient déjà se retrouver dans la métropole québécoise la semaine suivante pour le premier match éliminatoire.

Lestage, comme d’autres joueurs partants, a tout de même pris part à la rencontre. Après tout, il est le meilleur joueur de ligne offensive de l’équipe. Cependant, ce qui ne devait pas arriver arriva, au grand dam du principal intéressé.

« C’était un bloc normal, je suis monté au deuxième niveau, c’était une belle course de [William] Stanback. J’ai vu Stanback commencer à courir, je suis monté dans sa direction, mais je n’ai pas pu continuer longtemps. Quelqu’un m’est tombé sur le côté de la jambe », a-t-il illustré pendant une longue entrevue avec La Presse, dans les bureaux des Alouettes au Stade olympique, il y a quelques jours.

Une batterie de tests et une imagerie par résonnance magnétique plus tard, le verdict est tombé : déchirure du ligament collatéral médial de grade 3 au genou droit.

Néanmoins, Lestage était optimiste de pouvoir jouer la semaine suivante et ainsi entamer les éliminatoires avec ses coéquipiers. Le thérapeute du sport en chef de l’équipe, Tristan Castonguay, avait toutefois d’autres nouvelles pour le colosse de 310 livres.

[Le thérapeute] m’a dit que c’était sûr que je ne jouais pas le prochain match, mais qu’il avait quand même espoir pour les matchs d’après.

Pier-Olivier Lestage

Lestage, dans l’ombre, s’entraînait et bûchait comme s’il allait prendre part à toutes les rencontres à venir. Que ce soit la finale de l’Est à Toronto ou la Coupe Grey à Hamilton.

Mais chaque fois, l’état de son genou était trop insatisfaisant. Et il était condamné à être déçu toutes les veilles de match. « Rendu là, j’aurais quasiment aimé mieux me faire dire que ma saison était finie, parce que chaque semaine, je pensais que j’allais jouer. Et chaque fois, je me faisais dire que je ne jouerais pas. »

Une semaine pénible

La semaine de la Coupe Grey a été un véritable calvaire à endurer pour le joueur de 26 ans. Sa condition s’était améliorée. Il avait même voyagé à Hamilton avec les joueurs de l’alignement partant en tout début de semaine pour aller disputer la finale. Un indicateur qui ne ment pas habituellement. Normalement, les joueurs blessés et écartés de la formation arrivent seulement 24 heures avant les matchs.

Lestage était donc emballé à l’idée de pouvoir revenir au jeu après trois semaines d’absence pour disputer sa toute première Coupe Grey.

Son rêve s’est toutefois transformé en cauchemar lors du premier entraînement de l’équipe. « Ça s’est bien passé, je me sentais bien, j’avais juste de la misère sur quelques mouvements. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Pier-Olivier Lestage

Lestage, désireux de faire partie de l’histoire, a tout de même averti Castonguay de son inconfort. Le diagnostic a eu l’effet d’un coup de poing au visage asséné par Mike Tyson. « Tristan m’a dit que si je n’étais pas confiant, lui non plus ne l’était pas pour que je joue. »

Loin des projecteurs, le bloqueur a probablement pris la décision la plus admirable et courageuse de sa jeune carrière pour aider son équipe à triompher. Il a été transparent au sujet de sa réadaptation et a laissé sa place à un coéquipier dont l’état de santé ne laissait aucun doute. Ultimement, ce geste louable lui a coûté une place parmi les immortels.

Lorsqu’on lui souligne combien cette lucidité est à la fois consternante et exemplaire, il paraît mal à l’aise. Probablement parce que les vrais leaders ne sont jamais très doués pour reconnaître la grandeur de leurs actions.

J’étais assez confiant pour jouer, mais c’était une confiance orgueilleuse. Je savais que je n’étais pas à 100 %.

Pier-Olivier Lestage

« Je voulais jouer, mais il fallait aussi que je me demande si j’allais être capable d’aider l’équipe. Est-ce que je nuis à l’équipe plus qu’autre chose en jouant et en étant un peu égoïste ? J’aurais pu mentir et dire que j’étais à 100 %, mais est-ce que ça aurait été la meilleure décision pour l’équipe ? Je ne pense pas. »

Toute la semaine à Hamilton, sachant que son nom serait absent de la feuille de match, regarder ses coéquipiers se préparer pour la finale à laquelle il ne participerait pas a été une torture.

« C’était dur de voir mes chums pratiquer. Vivre l’expérience de la Coupe Grey. Je l’ai vécue aussi, mais j’étais un petit peu plus dans ma tête, c’est normal », se souvient-il en jouant avec les cordons de son coton ouaté aux couleurs de l’équipe pour laquelle il rêve de jouer depuis l’enfance.

Célébrer dans l’ombre

Lorsque Cody Fajardo a lancé une passe de touché à Tyson Philpot dans les dernières secondes du match ultime pour offrir un premier titre en 13 ans aux Alouettes, Lestage se tenait sur les lignes de côté. Les confettis flottaient au-dessus de sa tête pendant qu’il regardait la fresque sur laquelle étaient peints ses coéquipiers en train de célébrer. Il était incapable de ressentir la même euphorie.

« Quand les gars sont montés sur la scène, je suis resté un peu en arrière et je n’étais pas trop festif. […] Cette soirée-là, je n’ai pas touché la coupe. Ça ne me tentait pas, je ne voulais pas la toucher. J’étais un peu trop dans ma tête », précise-t-il, les yeux humides.

Avec le recul, il s’en veut de ne pas avoir célébré davantage. Le sentiment d’imposteur l’a envahi et l’a empêché d’embrasser complètement le rêve qu’il chérit depuis la première fois où il a enfilé des épaulettes dans son Saint-Eustache natal.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Pier-Olivier Lestage

Maintenant j’y repense et je me dis que j’aurais dû vivre ça, j’aurais dû être plus content, mais à ce moment-là, je n’étais pas capable. J’étais un peu trop orgueilleux.

Pier-Olivier Lestage

« Je regrette un peu comment j’ai agi. Je pense que personne ne l’a remarqué, mais envers moi-même, j’aurais aimé plus en profiter. »

Lestage aura droit à une bague de championnat. Mais comme il n’a pas disputé le match de la Coupe Grey, son nom ne sera pas gravé sur le trophée. C’est pourquoi, encore à ce jour, il n’a jamais levé la récompense argentée à bout de bras.

« J’ai eu des moments avec la coupe, mais c’était vraiment plus pour mes parents, pour que tout le monde la voie. Mais moi, je me sentais un peu comme un imposteur, parce qu’il y avait un sentiment en moi qui me rappelait que je n’avais pas fait grand-chose pour gagner cette coupe. Donc je l’ai eue juste pour la montrer à mon monde. »

Un vrai champion

Lestage parle avec nostalgie de cette expérience à la fois formatrice et quelque peu regrettable.

Le camp d’entraînement de l’équipe s’ouvrira dans quelques semaines. La poussière est presque complètement retombée. Il a pris sur lui et à travers un travail d’introspection soutenu, il arrive aujourd’hui à la conclusion qu’il est un gagnant au même titre que ses coéquipiers.

Pendant longtemps, tu te demandes à quel point tu as été utile. C’est dur de te sentir comme un champion sur le moment, mais tu sais ce que tu as fait pendant l’année. Maintenant, je suis capable de dire que je suis un champion et que j’y ai contribué.

Pier-Olivier Lestage

Lestage est complètement remis de sa blessure. Et il est impatient de fouler le terrain de nouveau. Évidemment, trouver un joueur aussi motivé et affamé dans le vestiaire des Alouettes serait une tâche complexe.

« Je ne te mentirai pas que j’utilise ça comme motivation. C’est sûr que je veux qu’on en gagne une autre et celle-là, je veux la jouer. Oui, on en a gagné une, mais moi, je n’ai pas l’impression d’avoir vraiment gagné une Coupe Grey. »

Après tout, si ses coéquipiers carburent à l’idée de triompher deux années de suite, Lestage est le seul ayant la chance de revivre une autre première fois. Cette fois-ci, avec le sentiment réel du devoir accompli.