(Pleasant Grove, Utah) L’entrevue terminée, Ben Cahoon se lève pour une courte séance photo. Il prend un crayon, se place devant son tableau. « C’est cool, j’ai l’air d’un entraîneur au football ! », badine-t-il.

Les noms, les chiffres et les abréviations qu’on y lit ne sont toutefois pas des noms de jeux ni des numéros de joueurs. Ce sont des détaillants d’alimentation.

Des noms connus comme WFM (Whole Foods Market), Trader Joe’s, Wegmans. Des noms moins connus, mais accrocheurs, comme Stinker (« puant », littéralement), « une chaîne ici dans les Rocheuses », avec une moufette comme logo. Que dire de Kum & Go ? « C’est tout un nom », convient-il, prude. Si vous n’avez pas pigé, libre à vous de faire vos recherches. Idéalement pas sur votre ordinateur du travail.

Le joueur le plus populaire de l’histoire récente des Alouettes s’intéresse aux chaînes d’alimentation parce qu’il travaille maintenant chez G2G, une entreprise de barres énergétiques fondée par son beau-frère. « J’ai commencé en 2018. Casey était pas mal tout seul jusque-là. Il avait besoin d’aide et moi, j’avais besoin d’un emploi », résume Cahoon, au cours d’une sympathique rencontre d’une bonne heure avec La Presse.

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Ben Cahoon travaille chez G2G, une entreprise de barres énergétiques.

Un jeune Cahoon a étudié en physiothérapie à Brigham Young University (BYU). Le commerce, il a donc appris sur le tas. Mais « j’ai toujours eu la fibre entrepreneuriale. Je négociais moi-même mes contrats avec Jim Popp. Ça faisait un peu peur, parfois ! »

Alors il s’est investi à fond dans cet emploi. On le sent fier du produit pendant qu’il nous fait visiter l’usine, surtout quand on pénètre dans l’immense entrepôt réfrigéré. « Nos barres sont réfrigérées parce qu’on n’y met pas d’agent de conservation, détaille-t-il. On n’est donc pas en concurrence directe avec Clif, par exemple, parce qu’on est dans des sections différentes des épiceries. »

Il est à son aise, mais ça n’a pas toujours été le cas.

« La vente au détail, c’est une industrie folle, surtout le secteur des produits de consommation emballés, les CPG. C’est comme une langue étrangère. Ça m’a pris un an et demi pour être à mon aise. J’apprends encore des choses. Mais j’aime ça. Tu célèbres des victoires comme dans le sport. »

Fini, le coaching

Parlons-en, du sport. Après 13 glorieuses saisons et trois Coupes Grey avec les Alouettes, Cahoon s’est lancé dans le coaching.

En 2011 et 2012, puis en 2016 et 2017, il a donc agi comme entraîneur des receveurs à BYU. « Mon emploi de rêve », dit-il. Et c’est là que, pour la seule fois de l’entretien, son regard s’assombrit.

« J’ai adoré ça. C’était intense, ça prend le contrôle de ta vie. J’adorais enseigner, bâtir des relations avec les athlètes. Mais je déteste l’industrie du football, car c’est sans pitié. Me faire congédier de mon alma mater, c’était vraiment difficile.

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Ben Cahoon, sa femme et ses filles lors du retrait de son chandail par les Alouettes, en 2016

« Ça arrive si souvent dans le sport. Dans les médias, c’est très factuel, une phrase dans un article. Mais ça change complètement des vies. Les enfants changent d’école. Tu ne sais pas comment tu vas obtenir ton prochain chèque et tu ne sais pas comment tu vas payer les comptes qui s’en viennent. Tu passes des entrevues, c’est stressant. C’est très dérangeant. C’est dur, mais ça vient avec la business. »

À l’entendre parler, on comprend donc que ce n’est pas demain qu’il rejoindra son vieux complice Anthony Calvillo, coordonnateur offensif chez les Alouettes.

J’ai un super emploi et il y a trop d’incertitude au football, même si ce serait très plaisant de coacher à Montréal.

Ben Cahoon

« Ça serait phénoménal, je serais en territoire connu. Les fans seraient formidables, jusqu’à ce qu’on perde trois matchs de suite. Là, il n’y a plus de loyauté, et les Cahooooooon deviennent des booooh ! »

De toute façon, on le sent à fond dans son entreprise, moins dans le football. Il dit parler à Calvillo « quelques fois par année », mais pas depuis la conquête de la Coupe Grey des Alouettes. « C’est une belle amitié. Même si on est longtemps sans se parler, quand on se retrouve, c’est comme si on s’était vus la veille. »

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Ben Cahoon lors de son intronisation au Temple de la renommée du football canadien

Ses autres anciens coéquipiers, il les croise par son travail. Il a revu à Los Angeles le quart substitut Marcus Brady et Marc Trestman, qui travaillent maintenant pour les Chargers. À l’occasion d’un congrès à Indianapolis, il a renoué avec Brian Bratton, lui aussi receveur de passes, accessoirement un type que vous voudriez avoir comme gendre. Bratton est employé des Colts d’Indianapolis.

« J’ai des nouvelles d’Avon Cobourne et d’Anwar Stewart aussi. Et j’ai revu Luke Fritz, sa fille avait une compétition de natation ici. »

Dans ses terres

Lors de notre arrivée chez G2G, Cahoon nous présente son beau-frère, en réunion avec deux hommes qui connaissent visiblement bien l’ancien des Alouettes. Au fil de la discussion, l’un d’eux évoque le match du 11 octobre 2010, quand Cahoon avait capté sa 1007e passe pour devenir le meneur de tous les temps pour les attrapés dans la Ligue canadienne (il a été dépassé depuis). Le match avait carrément été interrompu, et le commissaire de l’époque, Mark Cohon, était venu lui remettre une plaque sur le terrain.

Un épisode folklorique, mais qui rappelle que le football a donné beaucoup à Cahoon. Il est aujourd’hui membre du Temple de la renommée du football canadien et son numéro 86 est retiré par les Alouettes.

Mais ça ne s’est pas fait à coût nul. Pendant l’entrevue, il déplie son genou lentement, non sans grimacer. « J’ai de grosses opérations qui s’en viennent pour me permettre de rester actif », dit-il.

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Anthony Calvillo, Ben Cahoon et Thyron Anderson après une défaite contre les Argonauts de Toronto, en octobre 2005

Un rappel de sa carrière ? « Nomme une articulation, et ça me rappelle le football. Mais je ne regrette rien.

« Je suis devenu un gars de plein air. Je ne chasse pas, je ne suis pas un grand campeur, car mes filles sont trop princesses pour ça ! Mais je fais du vélo de montagne, de la randonnée et de la raquette. Je ne peux pas vraiment courir, parce que j’ai un genou en très mauvais état. »

En sortant devant son lieu de travail, il nous fait le topo de la topographie. « Là-bas, entre les deux montagnes, c’est la station de ski Sundance, où il y a le festival de films, pointe-t-il. Robert Redford habite là. »

Politiquement aussi, la famille est bien ancrée ici. Le père de sa conjointe, Kimberli, est Gary Herbert, gouverneur de l’Utah de 2009 à 2021. Avec elle et ses quatre filles âgées de 17 à 26 ans, il est chez lui.

« Je suis né en Alberta, puis j’ai vécu un an et demi à Beaconsfield, et ma famille est venue ici quand j’avais 8 ans. C’est beau, un super endroit où élever ses enfants. On peut faire du plein air. Le taux de criminalité est faible. La famille de ma femme vient d’ici, donc on revenait en hiver. Ici, c’est ma maison. »