(Shawinigan) Derrière les portes vitrées qui coupaient de grands vents, Camille Estephan accueillait boxeurs et invités à l’entrée du bâtiment 3B de l’Espace Shawinigan, une grande salle aménagée dans l’ancienne aluminerie de la Cité de l’énergie, qui abritait autrefois le musée du premier ministre Jean Chrétien.

Impeccablement vêtu comme d’habitude, le promoteur bavardait avec Clint Butler, père de Steven Butler (31-3-1, 26 K.-O.), l’une des têtes d’affiche du gala de ce vendredi soir au Centre Gervais Auto.

Estephan espérait attirer jusqu’à 4500 spectateurs pour la carte qui mettra en vedette le poids lourd Arslanbek Makhmudov et la super-mi-moyenne Mary Spencer, qui tentera de passer à sa taille une première ceinture mondiale, celle vacante de l’IBO, à seulement son huitième combat professionnel.

Le forfait du poids lourd local Simon Kean, blessé, l’annonce d’une tempête de neige et peut-être l’inquiétude de se mêler à un large public en cette période propice aux infections en ont peut-être refroidi certains, craint cependant le patron d’Eye of the Tiger.

« Je pense qu’on va être aux alentours de 3500, 4000 si on est chanceux », a calculé Estephan quelques minutes après la fin de la pesée, où les 14 pugilistes ont rempli cette partie du contrat.

« La première compétition est la balance, c’est le premier adversaire », a souligné Spencer, qui avouait une certaine fébrilité avant d’y monter, même si le respect de la limite de 154 lb ne lui donnait aucune appréhension.

Des gens peuvent croire que ce n’est qu’une pesée, mais c’est un pas très important aujourd’hui. C’est trop tôt pour devenir agressive et prête à y aller, mais c’est une première étape pour se dire : “Maintenant, je suis prête.”

Mary Spencer

Quelques minutes plus tard, la Montréalaise de 38 ans a arrêté l’aiguille à 152,6 lb, soit exactement le même poids que sa rivale, la Belge Femke Hermans (13-4, 5 K.-O.). Son husky Ellie a aboyé en signe d’approbation, sous l’œil amusé de Marie-Christine, la femme de Spencer, originaire de l’endroit.

« Un morceau de Mary ! »

À 36 heures de l’affrontement, Spencer et Hermans se sont toisées d’un air stoïque, vaguement menaçant, pour le traditionnel face-à-face.

La Belge concède trois pouces à son opposante canadienne, qui s’attend à devoir boxer les genoux un peu plus pliés.

Peu d’observateurs donnent des chances à Hermans, qui s’est inclinée par K.-O. au troisième round contre la Britannique Savannah Marshall au printemps. Elle a par ailleurs tenu la distance contre la vedette américaine Claressa Shields, en décembre 2018, une défaite par décision sans appel après 10 assauts.

Spencer (7-0, 5 K.-O.) la considère comme son adversaire la plus redoutable : « Peut-être que certaines personnes ne le voient pas ainsi, mais ce n’est certainement pas mon cas ni celui de mon équipe. Je me suis battue de 146 à 154 lb chez les pros. Et même si elle est maintenant à 154 lb, elle s’est battue entre 168 et 184 lb. C’est son combat le plus “léger” et je suis son opposante la plus petite. C’est ma bagarre la plus “pesante” et elle est mon opposante la plus costaude. Il faut le considérer. »

L’expérience d’Hermans contre Marshall et Shields, les deux protagonistes d’un choc mémorable suivi par deux millions de spectateurs en octobre, est un atout que Spencer ne prend pas à la légère.

« Par la façon dont elle se promène ici et la façon dont elle me regarde durant le face-à-face, je peux vous dire que c’est une fille dure qui ne veut rien savoir, vous comprenez ? Qui, en gros, dit : “Ouais, je veux un morceau de Mary Spencer, allons-y !” Je vais me concentrer davantage sur cette partie une fois sortie d’ici après la pesée. »

« Ça pourrait très bien s’arrêter là »

Spencer a arrêté l’entrevue quelques secondes pour saluer un groupe de la communauté kashechewan, au nord de l’Ontario, où elle a vécu et dans laquelle elle est toujours très impliquée. La popularité et le magnétisme de la représentante de la Nation ojibwé sautent aux yeux.

Vendredi, c’est au visage d’Hermans qu’elle voudra sauter. Un knock-out est-il un objectif, un moyen de se rendre encore plus visible sur la scène internationale ?

« Je vais juste me battre, a assuré l’ex-triple championne mondiale amateur. Mais quand je trouverai le coup, ça pourrait très bien s’arrêter là. Et je ne crois pas qu’il faudra 10 rounds pour trouver le coup. Peut-être quelques rounds, mais ça va vraiment dépendre de la façon dont elle peut le prendre. Si elle peut, on boxera 10 rounds. »

Non seulement une victoire procurerait une première couronne mondiale à Spencer, mais elle lui « ouvrirait les portes » sur la scène internationale. Déjà, Shields lui a fait de l’œil dans une publication remarquée sur Twitter en début de semaine.

« Il y a des regards sur la bagarre, a-t-elle résumé. C’est une rivale commune à Claressa Shields et Savannah Marshall. Les gens vont comparer les résultats. Et quand tu commences à comparer, les gens commencent à en parler et les portes s’ouvrent. »

Pour l’heure, avec le vent qui soufflait sous le ciel gris de Shawinigan, il valait mieux les garder fermées.

PHOTO VINCENT ÉTHIER, FOURNIE PAR EYE OF THE TIGER

Arslanbek Makhmudov

Le portier

Parlant de portes, Michael Wallisch (23-5, 16 K.-O.) serait le « portier de la vraie business » pour Arslanbek Makhmudov (15-0, 14 K.-O.), dixit l’entraîneur Marc Ramsay. Le poids lourd montréalais défendra ses ceintures NABA et NABF, vendredi soir.

« [Wallisch] est un gars de niveau international, a assuré Ramsay. Quand il a affronté les véritables prospects, les gars qui se dirigent tout droit vers le championnat du monde, des gens comme Joe Joyce, il a eu tendance à échapper les combats. Tous les autres, il les bat. »

Le coach compare le défi que représente Wallisch à celui du Polonais Mariusz Wach, que Makhmudov avait arrêté au sixième round en février. Au combat suivant, le Lion du Daghestan avait atteint la limite pour la première fois de sa carrière contre le Français Carlos Takam.

« On ne peut pas dire si cet adversaire est le plus dangereux ou pas, a indiqué Makhmudov après s’être caressé la barbe. Chaque combat est dangereux et difficile. Chez les poids lourds, chaque coup de poing peut être le dernier de ta vie. C’est pourquoi il faut être prêt pour tous les vis-à-vis. »

Makhmudov a arrêté le pèse-personne à 265,4 lb, soit exactement 31 lb de plus que le Munichois Wallisch. « Je me prépare pour 10 rounds, a dit Makhmudov. Bien sûr, si j’ai une chance de le finir, je vais le faire, sinon, je vais attendre. C’est de la business, c’est mon travail. Je n’y vais pas pour des coups cute. Mon métier est de détruire des gens. » Méchante job.

L’évènement sera retransmis en direct sur les ondes de PunchingGrace à l’international, et sur le réseau ESPN+ pour les États-Unis.