Daniel Trépanier, le directeur de la haute performance à Boxe Canada, est accusé ouvertement par plus d’une centaine de signataires « d’entretenir une culture toxique » au sein du programme national. Que fait-il toujours en poste, malgré des résultats très mitigés sur la scène internationale ?

« C’est une bonne question, a indiqué Mary Spencer, qui a participé aux Jeux de Londres, en 2012. Ce serait à Boxe Canada d’y répondre cependant. »

Mercredi, 121 personnes, dont d’anciens athlètes, des entraîneurs, des officiels et des membres des organisations provinciales, ont exigé la démission de Trépanier et le déclenchement d’une enquête indépendante sur la culture et la pratique sécuritaire du sport dans une lettre qui a été envoyée à Sport Canada, à la ministre fédérale des Sports, Pascal St-Onge, à la directrice générale d’À Nous le podium, Anne Merklinger, au bureau des directeurs de Boxe Canada, à AthletesCAN et plusieurs médias.

Ces signataires, qui ont décidé de demeurer anonymes afin d’éviter toutes représailles, affirment que Boxe Canada entretient une culture toxique de peur et de silence à l’interne. Ils ont identifié quatre principales sources de préoccupations : la gouvernance et la transparence, la sécurité, la culture toxique, le harcèlement et le favoritisme. Les faits reprochés à Trépanier et à la fédération nationale remontent jusqu’à 2008.

« Depuis plus d’une décennie, les athlètes et les entraîneurs de Boxe Canada qui ont dénoncé les écarts de conduite et milité pour des réformes ont été expulsés de l’organisation, pouvait-on lire dans le document. Plusieurs athlètes ont l’impression d’avoir subi des violences physiques, psychologiques, et de la négligence de la part de l’organisation, en raison de leur refus de régler ces enjeux. Plusieurs tentatives ont été faites afin de mettre en lumière ces problèmes, et elles ont été ignorées ou carrément rejetées. »

Boxe Canada n’a pas voulu accorder d’entrevue à La Presse Canadienne. Pour seule réponse, le président du conseil d’administration de la fédération, Ryan Savage, a publié un communiqué.

Si la fédération prend connaissance de la lettre ouverte, elle affirme être « fier (sic) de ses valeurs telles que la santé et la sécurité, l’intégrité et la responsabilité » et prendre ces préoccupations « très au sérieux ». Elle assure aussi avoir pris des « mesures rapides au cours des derniers mois pour améliorer la transparence et la gouvernance de l’organisation. »

Malgré tout, Trépanier, même si les performances canadiennes en boxe aux JO sont en chute libre depuis longtemps, conserve son poste.

« Je pense que c’est une personne très habile à monter des rapports, à préparer des documents qui déresponsabilisent totalement le personnel d’entraîneurs et ceux qui prennent les décisions, en plus de culpabiliser unilatéralement les athlètes, laisse tomber l’entraîneur Stéphan Larouche, qui a notamment dirigé Benoît Gaudet aux Jeux d’Athènes, en 2004. Ça fait des années que ça dure. »

Larouche ne comprend pas qu’exclusivement sur ses qualités d’entraîneur, sans parler des autres allégations contre lui, Trépanier n’ait pas déjà perdu son poste.

« J’ai vu tous les combats de Londres et de Rio de Janeiro : j’étais sur place. J’ai aussi analysé tous les combats de Tokyo pour la télévision. J’étais en mesure de voir le travail technique, ou plutôt le manque de polyvalence de nos athlètes. C’est simplement dû à un individu qui isole les athlètes, qui ne les laisse pas s’exprimer et qui les empêche de voir d’autres entraîneurs. Ça donne des athlètes qui régressent, qui manquent d’imagination, qui perdent confiance : c’est ce qu’on voit de plus en plus au sein de l’équipe nationale.

« Je voyais les entraîneurs de l’Angleterre, de l’Australie, des États-Unis, du Brésil : c’était de la stratégie, du rythme, de l’appui positif à l’athlète. Dans le coin canadien, c’était incomparable. C’était digne de ce qu’on entend dans des tournois inférieurs comme les Gants de bronze ou les Gants d’argent. C’était indigne des Jeux olympiques. C’est un gars d’ailleurs qui n’a jamais développé un boxeur. S’il avait nommé un entraîneur national pour lui faire confiance. »

Larouche déplore également le congédiement de Joao Carlos Barros, Brésilien qui a été formé à l’excellente école cubaine, largué à quelques mois des Jeux de Tokyo.

« Pendant qu’il a été là, le Canada a commencé à obtenir de bons résultats. Ils l’ont congédié six mois avant les Jeux en sachant pertinemment que leur meilleure chance de médaille, Tammara Thibault, adorait travailler avec lui et qu’elle était en train de s’améliorer. […] Il (Trépanier) a trouvé plein de raisons’niaiseuses’de le mettre à la porte. Mais la vraie raison, c’est qu’il avait une belle relation avec les athlètes et ça achalait Trépanier.

« Barros a mené un boxeur brésilien jusqu’à l’or aux Jeux de Rio. Il a formé de grands champions. Trépanier se sentait incompétent à ses côtés et il s’en est débarrassé. C’est ce qu’il fait chaque fois qu’il a quelqu’un de compétent autour de lui. »

Contre la boxe féminine

Le plus surprenant dans toute cette affaire est que Trépanier serait depuis longtemps et ouvertement contre la boxe féminine, une position pour le moins particulière à titre de directeur de la haute performance et d’entraîneur national.

« Daniel Trépanier aurait dû être congédié depuis bien longtemps ; bien longtemps, insiste Spencer, qui œuvre maintenant chez lez professionnelles, au sein de l’écurie d’Eye of the Tiger Management et qui a admis à La Presse Canadienne faire partie des signataires de la lettre transmise mercredi. Il faut mettre fin à cela. Chaque athlète à sa propre plainte à son sujet. Ce que je peux dire, c’est que c’est un énorme problème quand le directeur haute performance d’une fédération nationale de boxe est ouvertement contre la boxe féminine. Tout le monde le sait : il l’a dit en plusieurs occasions. L’opinion d’un individu ne devrait pas être un obstacle dans votre préparation, mais quand tu travailles avec lui, de la façon dont il traite les femmes, c’est un immense obstacle. »

« Je sais qu’après mon expérience personnelle à Londres, mon premier réflexe a été ne pas pointer personne du doigt, mais plutôt d’assumer ma défaite et d’en prendre la responsabilité. Plus j’y pensais, plus je me rappelais de quelle façon les choses avaient si mal été en route vers ces Jeux, plus je me disais que j’aurais dû dénoncer. Quand j’ai entendu de quelle façon l’équipe avait traitée en vue des Jeux de 2016, je me suis sentie coupable de ne pas avoir dénoncé ce qui s’était passé. »

Spencer, aux yeux d’À Nous le podium, représentait une chance de médaille suffisamment importante pour les Jeux de Londres pour que l’organisme lui octroie une bourse de 140 000 $ pour parfaire son entraînement.

« Daniel m’a plutôt envoyé en compagnie de deux boxeurs masculins dans un camp d’entraînement en Irlande, où il n’y avait pas une seule boxeuse qui y participait. Je n’avais pas de partenaire d’entraînement. Ça a paru dans mes performances. Quand j’ai su que quelques mois plus tard, l’un de ces deux boxeurs était passé chez les professionnels et qu’il était son entraîneur, j’étais fâchée.

« Mon entraîneur à l’époque avait écrit une lettre à la direction pour raconter la situation et exprimer notre grande déception. Je n’ai jamais eu de réponse. »

Crise

Dans la lettre publiée mercredi, les 121 cosignataires soulignent que l’an dernier, un recueil des expériences vécues par de nombreux boxeurs a été soumis au bureau des directeurs de Boxe Canada, mais aucune enquête n’a été déclenchée afin d’analyser ces allégations.

Cette missive des boxeurs canadiens a été publiée alors que la ministre St-Onge a admis l’existence d’une « crise » dans le sport canadien. Elle a ajouté avoir appris l’existence d’accusations de maltraitance, d’agressions sexuelles et de détournement de fonds au sein d’au moins huit organisations sportives nationales au cours de ses cinq premiers mois en poste.

Les bobeurs et spécialistes du skeleton canadiens ont rédigé une lettre semblable en mars pour exiger la démission du président et de directeur haute performance de leur programme. Ils ont déjà indiqué qu’ils ne participeraient pas à un processus de médiation, puisqu’il s’agirait selon eux « d’un pansement sur une blessure sérieuse ». Et un groupe d’environ 70 gymnastes — qui a grimpé à plus de 400 depuis ce temps — a écrit à Sport Canada pour demander qu’une enquête indépendante fasse la lumière sur la culture de maltraitance dans leur sport.

La journaliste de La Presse Canadienne Lori Ewing, à Toronto, a participé à cet article.