Chaque semaine, deux journalistes de la section des sports s’affrontent dans une joute rhétorique parfois sérieuse, souvent moins. Cette semaine, Frédérick Duchesneau et Guillaume Lefrançois débattent à savoir si la lutte professionnelle est un sport ou non.

Guillaume

Salut Fred, premièrement, permets-moi de t’exprimer ma déception de te savoir parmi ceux qui clament que la lutte professionnelle n’est pas un sport. Je te pensais du bon côté du débat, avec tous les liens qui t’unissent à ce merveilleux monde. Pensons à Duke « The Dumpster » Droese, ce personnage d’éboueur à l’époque où à peu près chaque métier était représenté à la WWF. Si mon nom de famille était Duchesneau, je m’identifierais à un Duke. Et si je m’appelais Fred, j’aurais aussi une place dans mon cœur pour Fred Ottman, un gars qui luttait en costume de matelot quand il incarnait Tugboat. C’est sans compter que je te soupçonne d’être un cousin de la fesse gauche de Chris Jericho, en raison de vos ressemblances quand il avait les cheveux courts. Alors malgré tout ça, tu vas planter une dague dans le cœur des amateurs de lutte en nous disant que la lutte n’est pas un sport ?

Frédérick

Bien joué, Guillaume. Très habile. M’assommer dès le début des hostilités avec des noms que j’avais moins de chances de connaître que les lauréats de prix d’interprétation d’un festival de films néo-zélandais en 1962. Pendant un instant, j’ai même cru que tu voulais m’insulter. Mais c’était pour le show, non ? Comme absolument tout ce qui se passe dans ce divertissement que certains osent appeler un sport. Je fais une pause ici pour préciser ma pensée. Je n’ai pas envie de devoir reconduire mes enfants à l’école et au CPE sous escorte policière demain matin. Les lutteurs de la WWE et autres organisations du genre sont des athlètes. Des vrais. Ce qu’ils accomplissent, à leur poids de surcroît, est ahurissant. Mais un sport ? Par définition, on ne peut qualifier de sport un évènement dont le résultat est connu d’avance. Ça s’appelle du spectacle. Du théâtre, si tu préfères. Mais, de grâce, évacuons le mot « sport ». Je me demandais, tu as mis ton suit en lycra aux fins de cette discussion ?

Guillaume

Duchesneau, le 11 décembre au Centre Georges-Vézina, le 12 décembre à l’aréna Robert-Guertin puis le 13 décembre au Centre Marcel-Dionne, tu vas le regretter ! Bon, je m’emporte… Bien sûr que la lutte est un spectacle. Bien sûr que les résultats sont connus à l’avance. Mais les performances athlétiques sont tout de même valorisées. Prends l’exemple de l’Undertaker. Tu le connais ?

Frédérick

Si je connais l’Undertaker… Demande-moi si je connais Hulk Hogan, tant qu’à y être. Évidemment que je connais l’Undertaker. En plus, tu as pondu un excellent opus sur lui dimanche dernier.

Guillaume

Bon. Alors des gars de 6 pi 10 po et 300 lb comme lui, les promoteurs les voient dans leur soupe. Il n’y a pas que Marc Bergevin qui les aime gros ! Bref, l’Undertaker faisait des trucs franchement impressionnants pour sa taille et il a fini par lutter plus de 30 ans. Or, en 1993, un géant encore plus géant est arrivé à la WWF. Mais le Giant Gonzalez, du haut de ses 7 pi 7, était incapable de bouger. Résultat : il avait zéro crédibilité auprès des amateurs ou des autres lutteurs. Même si Vince McMahon souhaitait nous l’enfoncer dans la gorge, le bon Jorge était parti après neuf mois. Sa fiche : 11 victoires, 37 défaites. Es-tu toujours convaincu que ce n’est pas un sport ?

Frédérick

Sérieusement. Compiler les fiches alors que leurs détenteurs n’ont aucun pouvoir sur les résultats… Mais, passons. Parce que là, j’essaie de te suivre. Récapitulons, OK ? Donc, on dit tous les deux que les gars sont des athlètes incroyables, right ?

Guillaume

Exact.

Frédérick

Et, évidemment, que c’est du spectacle, à la différence que, contrairement à moi, tu prétends que c’est du sport malgré tout ? C’est bien ça ?

Guillaume

Mets-en.

Frédérick

Alors, notre définition du mot « sport » est peut-être tout simplement irréconciliable, mon ami ! La lutte gréco-romaine, c’est du sport. Oui, tu as bien lu, la lutte gréco-romaine, sans doute la moins glamour des disciplines olympiques. Suivie de près par la marche rapide. Si tu veux me faire plaisir à mon prochain anniversaire post-COVID-19 – le 30 janvier, je te le dis, au cas où – et que tu tiens à diffuser ton amour de la lutte, tu nous trouves des billets pour une compétition de lutte gréco-romaine. Si ça se trouve. Je ne veux rien savoir d’être pogné au Centre Bell parmi des milliers de personnes et des centaines de pancartes poches. J’aurais l’impression d’être à un rassemblement de Trump. Mais à regarder deux gars bronzés en canne se semi-taper dessus, plutôt qu’à en écouter un seul débiter des âneries.

Guillaume

Pancartes poches ??? À une certaine époque, l’Undertaker, encore lui, semblait moins en forme. Un partisan assis à la première rangée lui avait brandi en plein visage une belle pancarte disant « L’Undertaker est enceinte ». Ledit Undertaker avait déchiré ladite pancarte et semblait légitimement fâché. La pancarte était tout sauf poche. Parlons lutte olympique, maintenant. Savais-tu que deux des plus grands de l’histoire provenaient de ce milieu ? On parle ici de Kurt Angle, médaillé d’or à Atlanta en 1996, et d’un certain Maurice « Mad Dog » Vachon, fier représentant canadien aux Jeux de Londres de 1948. Je sais bien qu’ils ne sont pas devenus de grands champions en immobilisant leurs adversaires au tapis. Mais leurs qualités athlétiques leur conféraient une crédibilité instantanée auprès du public. Bien sûr que si je devais faire une hiérarchie des sports, je placerais la lutte olympique devant la lutte dite professionnelle. Mais l’équation entre les succès et les performances athlétiques en fait, à mes yeux, un sport, même si le lien n’est pas aussi direct que dans les autres sports. Je t’invite même – à mon tour – à une soirée de lutte quand on sera vaccinés, pour te prouver mon point. Ta pancarte a intérêt à être bonne !

Frédérick

Wow, quelle anecdote ! Et je dois admettre que je suis ébahi par ta culture dans le domaine. La mienne se limite aux Jake « The Snake » Roberts, Shawn Michaels – lutteur de ces dames – et au 1-2-3 Kid. Sans doute l’un des noms les plus nuls de l’histoire, mais on aimait bien les karatékas dans le temps. Et ne me demande pas ce qu’ils faisaient avant de lutter ! Mais, voilà, je suis démasqué. Oui, j’en ai écouté un peu à cette époque. C’était plutôt comme une séance d’hypnose, par contre, dans mon cas. Un plaisir coupable davantage qu’un réel intérêt. Et, pour en revenir à la question, malgré toute ton éloquence, non, je ne change pas d’avis. Ce n’est pas du sport. Cela dit, je fais un pas vers toi, en guise de bonne foi. Bien que ça n’en soit pas, au moins, eux ne font pas honte au mot « sport ». Contrairement aux Lance Armstrong de ce monde. Ou à tous ceux impliqués dans les nombreux scandales de matchs truqués au soccer, par exemple. Alors, j’accepte ton offre. On ira voir un show de lutte ensemble. Mais sans pancarte pour ma part. Avec ce que j’y écrirais, je me ferais lyncher. Et après ce festival de claques sur le chest, je t’invite à souper à la maison. Je sortirai les chaises pliantes.

Guillaume

Invitation acceptée ! Bien heureux de ce dénouement, parce qu’après tout, comme Hulk Hogan et Macho Man, nous sommes meilleurs unis que séparés. Ooooohhh yeaaahhh !