«Si je regarde trop l'argent, je vais perdre mon chemin.»

C'est Eleider Alvarez qui le dit. Son agent Stéphane Lépine explique que son boxeur, qu'il voit désormais plus comme un frère, a traduit l'expression de son espagnol natal pour la faire sienne. Elle prend désormais tout son sens.

Alvarez a longtemps vécu sans beaucoup d'argent. Son style de vie frugal était connu de tous, dans son minuscule appartement de Laval. Il envoyait chaque dollar économisé à sa femme et à sa fille, demeurées en Colombie. Aujourd'hui, Alvarez sait qu'il deviendra millionnaire. Plusieurs fois en plus.

«L'argent ne me changera pas, jure Alvarez. Pas ici, mais c'est très différent en Colombie. Dans mon village, le meilleur exemple est arrivé après mon combat contre Kovalev. Il y avait cinq ou six personnes qui m'attendaient chez moi pour demander de l'argent, ils avaient des problèmes. C'est fatigant.» 

«L'argent ne va pas le changer, mais ça a changé les autres autour de lui», ajoute Lépine.

Il faut dire que tout s'est passé très vite dans la vie du Québécois d'adoption depuis le retentissant coup de poing qui a terrassé Sergey Kovalev et fait de lui le champion WBO des mi-lourds, le 4 août dernier. Alvarez a depuis signé avec Top Rank/ESPN un contrat de 7 combats (ou 24 mois). Le plus lucratif contrat de l'histoire de la boxe au Québec, en dira Yvon Michel, qui reste aux côtés d'Alvarez à titre de «co-promoteur».

Chaque combat lui vaudra désormais au moins 1 million de dollars, plus encore s'il reste champion du monde.

Et voilà d'ailleurs l'ampleur du défi qui l'attend. Devenir champion est une chose, apprendre à vivre millionnaire aussi. Mais garder sa place au sommet, quand chaque boxeur voudra avoir sa chance, est le véritable test. Kovalev sera le premier à essayer, après qu'il a pris la décision de se prévaloir de sa clause revanche.

«Le lendemain du combat contre Kovalev, on a eu un rendez-vous avec son entraîneur Marc Ramsay, a dit Lépine. C'était notre sujet de conversation: le vrai travail commence maintenant. On avait monté d'un cran notre niveau, mais on n'avait pas finalisé notre développement. On voulait monter encore d'un cran. Vous allez voir dans le prochain combat, Eleider est encore plus gros, encore plus fort.»

Kovalev remontera dans le ring contre Alvarez dans quatre jours à Frisco, au Texas, dans le stade qui sert de centre d'entraînement aux Cowboys de Dallas. Kovalev s'est tourné vers un nouvel entraîneur, encore une fois, pour l'amener à la terre promise. Après une rupture acrimonieuse avec John David Jackson, puis une association en demi-teintes avec Arbror Tursunpulatov, le voici maintenant avec Buddy McGirt. 

McGirt est celui qui a prolongé la carrière d'Arturo Gatti de 11 combats, après que tout le monde a cru qu'Oscar De La Hoya l'avait envoyé à la retraite. Il est un apôtre de l'entraînement raisonnable et n'hésite pas à donner des congés à ses poulains fatigués. Kovalev, à 35 ans maintenant, a parfois imputé ses insuccès au surentraînement. C'est du moins l'une des conclusions de sa défaite contre Alvarez. 

Sa promotrice Kathy Duva voit en McGirt celui qui pourra permettre à Kovalev de se réinventer malgré les années qui passent. «Sergey devait tout changer, a dit Duva au site spécialisé Hannibal Boxing. Il a besoin de se battre comme un gars de 35 ans et personne dans son ancienne équipe ne savait le lui dire.»

«Un troisième entraîneur en peu de temps ne va pas changer beaucoup quelqu'un qui n'a jamais beaucoup changé, a répliqué Lépine. Kovalev a la tête dure, ça a fait sa force, ça fait peut-être sa faiblesse maintenant. Ce sera aux gens d'en juger. Je ne vois pas comment Buddy McGirt pourrait changer la personnalité de quelqu'un qui est comme ça depuis toujours.»

Camp brutal

Face au défi à venir, face au (peut-être) nouveau Kovalev, Alvarez n'a pas tourné les coins ronds. Il est retourné chez lui en Colombie juste avant Noël et est revenu le 14 janvier dernier. Il y a vécu trois semaines d'enfer. Il ne s'est permis aucun repos, même pour Noël ou le Nouvel An.

Alvarez se méfie d'autant plus que rien n'est plus dangereux qu'un animal blessé. Or, ce combat est probablement la dernière chance de Kovalev d'avoir sa place au soleil, sans quoi il pourrait fort bien décider d'accrocher ses gants. Une avenue que le boxeur russe avait lui-même explorée au lendemain de sa plus récente défaite.

«Marc m'a dit qu'il ne croit pas que je me sois déjà entraîné si fort depuis que je suis chez les professionnels, a raconté Alvarez. Des fois, je ne le remarquais pas, parce que je me sentais bien, mais d'autres fois, je cherchais à comprendre ce qui m'arrivait.

«Je faisais 10 rounds de sparring avec deux gars différents qui sont dans l'équipe à Bogotá, mais ils étaient déjà habitués à la haute altitude [Bogotá est à 2640 mètres au-dessus du niveau de la mer, Montréal est à 10 mètres seulement]. Chaque fois que je terminais mon round, je n'avais plus du tout de souffle. Je croyais que j'allais mourir. Mais je recommençais l'autre round comme si de rien n'était. Je suis dans une forme exceptionnelle et je suis très content, parce que ma récupération était très rapide.» 

Dans tous les cas, peu importe l'issue du combat, ce sera le dernier duel entre les deux pugilistes. Le prochain combat d'Alvarez, qui se tiendra au Québec s'il l'emporte samedi, sera le premier de sa prochaine entente. 

Sergei Kovalev c. Eleider Alvarez, samedi soir à Frisco, au Texas