Suspendue de l'équipe de France et de retour au Québec, la médaillée olympique Marlène Harnois rêve désormais de représenter le Canada. Mais les démarches s'annoncent ardues, alors que les autorités françaises s'opposent à sa libération. Une forme de «prise en otage», selon la principale intéressée.

Après neuf ans en France et une médaille de bronze à Londres, la Québécoise d'origine a regagné la Rive-Sud de Montréal, il y a une quinzaine de jours. Harnois a retrouvé la maison maternelle - «c'est dur pour l'ego, mais c'est un passage nécessaire» - et a repris l'entraînement. Elle espère représenter le Canada à Rio, en 2016.

Le hic, c'est que les règlements internationaux imposent trois ans d'inadmissibilité à tout athlète qui change de pays. En clair, Harnois serait privée de Jeux olympiques. Elle verrait, à 26 ans, sa carrière sportive interrompue et possiblement sacrifiée.

Afin de contourner le règlement, la Fédération française doit libérer son ancienne athlète. Il s'agit normalement d'une formalité. Mais les cicatrices de ce que la presse française a appelé «l'affaire Harnois» sont loin d'être refermées.

En attente d'une réponse

Taekwondo Canada confirme avoir envoyé la semaine dernière une demande de libération à sa cousine française. «On a envoyé une demande au nom de Marlène à la Fédération française pour la libérer. On demande une libération immédiate pour qu'elle n'ait pas à attendre trois ans, précise la directrice de Taekwondo Canada, Eva Havaris. On attend maintenant la réponse.»

En entrevue, Mme Havaris se montre optimiste. Elle cite les bonnes relations qui règnent entre les fédérations sportives. Elle mentionne le cas d'une athlète canadienne de taekwondo, Ivett Gonda, partie en février concourir pour la Hongrie. «La Fédération hongroise nous a envoyé une demande de libération. On y a accédé, évidemment, raconte-t-elle. Pour nous, l'important est de soutenir l'athlète, alors si l'athlète désire changer de pays, on doit le soutenir.»

Elle dit «ne pas voir pourquoi Marlène ne serait pas libérée» et explique «ne pas prévoir d'embûches».

Mais cette confiance de la fédération canadienne pourrait bien être déçue. Dans les journaux, les rares entrevues données par le président de la Fédération française laissent entrevoir une autre issue: celle d'un refus pur et simple.

Le président Roger Piarulli a eu des mots durs dans une entrevue à L'Équipe cette semaine. Il a laissé entendre qu'il «pourrait délivrer la lettre de sortie si l'athlète revenait sur ses accusations». «C'est une championne admirable, mais les médailles n'autorisent pas à avoir des comportements inacceptables ou à tenir des propos mensongers. On laisse la porte ouverte, mais on veut la vérité!»

Demande-t-il des excuses publiques? La Fédération et M. Piarulli n'ont pas répondu aux demandes d'entrevue de La Presse.

Une affaire et une enquête

Ce bras de fer entre Harnois et la Fédération française de taekwondo représente le dernier chapitre d'un long conflit qui a éclaté en mai dernier. Dans une entrevue dans la presse française, l'athlète accusait son entraîneuse de harcèlement moral. Sa sortie suivait d'un mois sa mise à l'écart de l'équipe de France à la suite d'une prise de bec. Elle survenait 10 mois après sa médaille de bronze à Londres, gagnée sous les couleurs de la France.

Les manchettes ont mené à une enquête ministérielle. Celle-ci a conclu qu'Harnois avait «bénéficié d'une prise en charge satisfaisante», ajoutant que son encadrement «n'a pas toujours été au niveau de ce qui est attendu en termes d'accompagnement des athlètes».

Son ancienne entraîneuse, Myriam Baverel, a donc été blanchie. Harnois se voyait suspendue pour deux ans et a décidé de rentrer au Québec, où elle est née et a grandi jusqu'à son départ pour la France, à 18 ans.

Maintenant sa version des faits, elle refuse de commenter les demandes de Piarulli. «Je me range derrière la fédération canadienne, réplique Harnois. Ce n'est pas à moi, en tant qu'individu, à négocier et à me plier ou non au chantage de Roger Piarulli.»

«La France me prend en otage», ajoute-t-elle.

Ce sera donc à la fédération canadienne de dénouer, ou non, un conflit qui semble indénouable. En cas de refus des autorités françaises, Eva Havaris se prépare à demander le secours du Comité olympique canadien.

L'enjeu est important: le Canada n'a compté aucun médaillé en taekwondo à Londres.

Tous sports confondus, seuls quatre Québécois ont remporté une médaille aux derniers Jeux d'été. L'arrivée d'Harnois, une médaillée olympique de seulement 26 ans, donnerait au pays une autre chance de médaille.

Mais selon Harnois, il y a aussi un enjeu pour la Fédération française. «Si [Piarulli] refuse de signer, c'est que quelque part, il reconnaît que je suis encore capable, croit-elle. Il ne veut pas que je batte une Française en finale à Rio.»