En décembre, quand Georges St-Pierre et ses confrères combattants du UFC ont pris place dans l'octogone du Centre Bell, il y avait 23 152 personnes dans la place. C'était un record. Pour les arts martiaux mixtes, mais aussi pour les sports de combat au Centre Bell.

Le domicile du Canadien accueille un autre gros combat ce soir. Un combat de boxe, cette fois, entre Jean Pascal, le champion des 175 livres du WBC, et le vétéran Bernard Hopkins. Plusieurs parlent déjà du combat de l'année.

«Ils vont attirer quoi, environ 16 000 personnes? C'est bon, mais ce n'est pas comparable avec le UFC», lance Yves Lavigne.

Lavigne, un Montréalais de 49 ans, est arbitre au sein du Ultimate Fighting Championship. Depuis cinq ans, il fait partie de cette organisation qui prend de plus en plus de place, et qui revient à peine d'un spectaculaire triomphe à Toronto, devant 55 000 fans.

Selon lui, la question ne se pose même plus. Les arts martiaux mixtes ont la cote, et la boxe est maintenant loin derrière. «En boxe, ça prend un méga-combat pour attirer du monde. Ça prend Manny Pacquiao, par exemple. Je me souviens, quand j'étais petit, on regardait Mohammed Ali à la télévision, c'était l'homme le plus fort du monde. Aujourd'hui, pour voir l'homme le plus fort, les gens regardent un gala du UFC. Les arts martiaux mixtes, c'est devenu beaucoup plus gros que la boxe.»

Le UFC a le vent en poupe, en effet. Au Centre Bell, ces soirées attirent toujours plus de 20 000 fans. L'organisation, menée par un président incandescent en Dana White, présente régulièrement ses cartes à guichets fermés.

«Avant, les gens avaient de la misère à accepter ce sport-là, poursuit Lavigne. Mais là, c'est différent. Il y a eu un virage à 180 degrés. Et ça ne fait que commencer.»

La boxe est peut-être victime de son glorieux passé. Au fil des ans, ce sport nous a donné des athlètes qui ont transcendé le simple cadre sportif, qui sont devenus des vedettes de la culture populaire, au même titre qu'un acteur ou un chanteur. Pas un hasard si les plus grands films de sport sont aussi des films de boxe.

Aujourd'hui, c'est bien différent. «Bernard Hopkins vient de Philadelphie, mais il ne pourrait pas remplir l'aréna là-bas, estime le promoteur Yvon Michel. Aux États-Unis, les promoteurs ont préféré se concentrer sur les droits de télé, au lieu de travailler à développer des marchés comme on l'a fait au Québec.

«Regardez ce qu'on a fait ici. On a réussi à bâtir une industrie à force de persévérer. Au départ, on organisait des soirées qui étaient déficitaires. Mais on a remarqué que les Québécois s'intéressent aux gagnants...»

Les Américains aussi s'intéressent aux gagnants, et c'est peut-être là le problème; les champions américains se font rares, et dans la catégorie des lourds, la plus prestigieuse, ils sont carrément invisibles. «La boxe, c'est devenu quelque chose de mondial, enchaîne Yvon Michel. Ce n'est plus nécessaire de boxer aux États-Unis pour devenir une grande vedette.»

Ni pour devenir champion. Jean Pascal ne s'est battu qu'une seule fois en terre américaine. Lucian Bute y est allé à trois reprises, en début de carrière.

Pascal et Bute ont tous deux atteint le zénith, mais ils n'ont pas atteint le niveau de popularité de Georges St-Pierre, qui est devenu une vedette internationale suite à ses prestations dans l'octogone.

Pour Kerry Davis, le vice-président de la programmation au réseau américain HBO, la popularité grandissante des combattants du UFC ne veut pas dire que la boxe va un jour disparaître. «Les arts martiaux mixtes ont leurs fans, qui semblent être un peu plus jeunes. Mais les fans de boxe sont toujours là. N'oubliez pas que Wladimir Klitschko et David Haye vont se battre pour le titre des lourds dans un stade de 50 000 personnes en juillet.»

Yves Lavigne pense que la boxe est victime de son propre poids. De sa lourdeur, si on veut. «Regarde le combat revanche entre Pascal et Hopkins. Ça a pris combien de temps avant que ça se fasse? Ils doivent négocier ça avec les promoteurs, les gérants, les réseaux de télé, les différentes associations... Au UFC, j'ai déjà vu Dana White ordonner un combat revanche le soir même!»

Richard Schaefer, le président de Golden Boy Promotions, reconnaît que la structure du UFC représente un avantage de taille.

«Il n'y a qu'un seul champion pour chaque catégorie, alors que nous, on doit composer avec plusieurs champions pour une même catégorie, explique-t-il. Mais il y a de la place pour tout le monde. Les arts martiaux mixtes, c'est bon pour la boxe. Ça nous amène de nouveaux fans, et ça nous oblige à être alertes, à toujours présenter des bonnes cartes.»

L'arrivée du UFC a certes changé la donne. La boxe n'est plus seule sur le terrain du divertissement violent. Ironiquement, la montée des arts martiaux mixtes semble coïncider avec l'âge d'or de la boxe québécoise, qui n'a jamais produit autant de champions en si peu de temps.

Reste à savoir ceci: est-ce que le UFC est une mode? Est-ce que ce sport parti de rien, ou presque, sera encore là dans 10 ans? Ça reste à voir, selon Yvon Michel. «Souvenez-vous de la folie du kick-boxing...»

Oui, le kick-boxing est bel et bien disparu. Mais la boxe est encore là. Au Québec en tout cas, elle ne s'est jamais aussi bien portée.