(Québec) Laurent Dubreuil n’a déçu personne à la Coupe du monde de patinage de vitesse de Québec, remportant la médaille d’argent du 500 m, samedi après-midi.

Seul l’Américain Jordan Stolz, une « légende en devenir » de 19 ans, a empêché le favori local de se hisser sur la plus haute marche du podium, le devançant de huit centièmes de seconde.

« Une victoire, ça aurait été un scénario parfait, mais j’ai fait de mon mieux et je suis fier de ma course », a commenté un Dubreuil rayonnant peu après la cérémonie du podium.

« Se faire battre par un gars qui a sept médailles d’or dans les deux dernières semaines, ce n’est pas gênant. »

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L’Américain Jordan Stolz devant le Japonais Yudai Yamamoto, samedi à Québec

Une cinquantaine de minutes après une première victoire sans appel au 1500 m, intermède durant lequel il a pris le temps de signer des autographes à de jeunes patineurs en extase, Stolz s’est soufflé dans les mains avant de s’envoler vers un chrono éclair de 34,51 s, le plus rapide sur l’anneau Gaétan-Boucher après le record de Dubreuil établi en octobre 2022.

Le ton était donné pour le duel que l’adolescent du Wisconsin avait qualifié, sourire en coin, de « moi contre le Québec » en entrevue avec La Presse quelques jours plus tôt.

Dubreuil fait de son mieux

Envahi par des frissons quand l’annonceur a prononcé son nom et que « ça a rugi dans le stade », deux paires plus tard, Dubreuil a su retrouver son calme en plantant ses lames derrière la ligne de départ, au côté du Japonais Wataru Morishige, qu’il poursuit au sommet du classement cumulatif de la saison.

Les près de 2000 personnes présentes au Centre de glaces Intact Assurance ont retenu leur souffle avant le coup de pistolet, plongeant la blanche enceinte dans un silence total, seulement rompu par le ronronnement des compresseurs.

Dubreuil a réussi une excellente mise en action, mangeant tout rond Morishige sur les 100 premiers mètres, avant de réaliser un tour de piste exemplaire, que seul Stolz était parvenu à surpasser.

Quand il a fusé de l’ultime virage intérieur, tout le public a bondi, comme pour le transporter jusqu’à la ligne. En voyant apparaître son nom sous celui de Stolz au tableau indicateur, l’athlète de Lévis a spontanément levé les bras pour exprimer sa satisfaction.

« J’étais content, je ne voulais pas que ça ait l’air d’une déception, a-t-il expliqué. Je ne pense pas que la foule était déçue non plus. Au final, je fais de mon mieux. »

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Wataru Morishige et Laurent Dubreuil

À partir de là, l’ex-champion mondial a croisé les doigts pour que son chrono de 34,59 s résiste à l’assaut d’au moins un des deux derniers patineurs en lice. Après une excellente ouverture, le Sud-Coréen Kim Jun-ho (8e) et le Japonais Tatsuya Shinhama (19e) ont perdu trop de vigueur dans la boucle pour venir gâcher la fête imaginée par Dubreuil en cette première Coupe du monde en terre québécoise depuis 1992.

« J’en rêvais depuis des années », a rappelé ce fervent de l’histoire de son sport.

Les gens sont venus en force. Ils sont venus partager ma passion pour le sport, pour mon sport. J’ai senti leur soutien. Je voulais bien faire et c’est ce qui fait que j’avais une nervosité additionnelle. C’est positif. Je suis fier d’avoir partagé ce moment avec eux, de leur avoir donné des émotions. Ils m’en ont également donné.

Laurent Dubreuil

Comme Dubreuil l’a lui-même souligné au micro devant les gradins, la présence de Stolz n’a fait que bonifier le spectacle. Quadruple médaillé d’or la semaine dernière à Salt Lake City, avec à la clé un record mondial au 1000 m, l’« homme-caoutchouc » s’est montré à la hauteur de l’engouement suscité par ses succès précoces. Déjà sacré la veille au 1000 m, il a fait tomber deux autres médailles d’or dans son sac banane.

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Laurent Dubreuil, Jordan Stolz et Yuma Murakami sur le podium du 500 m

Au 1500 m, Stolz n’a fait qu’une bouchée de ses adversaires. Même une lutte au coude-à-coude avec Ning Zhongyan dans l’avant-dernière ligne droite ne l’a pas perturbé, si bien qu’il a laissé le Chinois dans la brume, le devançant de 0,78 s sur le fil.

Son chrono de 1 min 44,09 s lui a valu un record de piste, qui appartenait jusque-là à Antoine Gélinas-Beaulieu, 10e en 1 min 46,23 s samedi.

« Le 1500 m s’est très bien passé à l’ouverture et lors du premier tour, mais j’ai peut-être trop relâché dans le deuxième tour, a évalué Stolz. Je ne crois pas que ça aurait eu une grande incidence si j’avais continué à attaquer. Je me sentais très bien pour le 500 m, mais là, je suis pas mal mort ! »

Rien n’arrête Jordan Stolz

« C’est un athlète phénoménal, s’est émerveillé l’entraîneur de Stolz, Bob Corby. C’est fantastique qu’il puisse patiner de la sorte sur toutes ces distances. »

Le coach ne s’attend pas à ce que son protégé puisse aller beaucoup plus vite au deuxième 500 m. « S’il est plus rapide, ce sera peut-être par un dixième. Ça pourrait être la même chose, ou un dixième de plus. Je veux juste le voir réussir une bonne course. Je m’en fiche s’il se classe quatrième. »

Quatrième à Salt Lake City, Connor Howe s’est classé troisième, un premier podium pour le talentueux Albertain de 23 ans, cinquième aux Jeux olympiques de Pékin. « J’ai peut-être mieux modulé mon effort et mieux patiné sur le plan technique », a évalué celui qui avait terminé 15e la veille sur 1000 m. « J’ai pris mon temps, ce qui m’a permis de finir plus fort. »

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Connor Howe

À deux semaines des Mondiaux de Calgary, Howe ne peut que constater la domination de Stolz : « C’est assez dur de compétitionner contre l’athlète d’une génération… »

Premier patineur à réaliser le triplé 500-1000-1500 aux derniers Mondiaux, Jordan Stolz vient de rééditer l’exploit deux fois en deux semaines en Coupe du monde, du jamais vu là encore.

« Eric Heiden le faisait à la fin des années 1970, mais ce n’était jamais arrivé dans l’ère moderne, a souligné Dubreuil. On aurait probablement dit que c’était impossible avant que lui le fasse. Et il le fait avec une facilité déconcertante ! Il n’y a qu’au 500 qu’on le challenge, que moi je le challenge un peu. »

Dubreuil aura une autre occasion de le mettre au défi dans le cadre du deuxième 500 m, ce dimanche. « J’ai une autre course pour le battre au Mondial. Mais je ne suis pas gêné de finir deuxième derrière lui. »

Pour Gélinas-Beaulieu, lui-même un adepte de la polyvalence sur deux lames, les exploits de Stolz sont une source d’inspiration.

« C’est inimaginable, ce qu’il fait », a-t-il commenté après sa 13place au départ groupé, en fin de séance. « J’ai l’impression que dans 10 ans, on va commencer à analyser et à comprendre ce qu’il faisait de bien. Moi, ça m’inspire beaucoup de voir quelqu’un performer comme ça dans toutes les distances. C’est toujours ce que j’ai voulu faire. »

N’est-ce pas plutôt décourageant de voir un blanc-bec de 19 ans tout bousculer sur son passage ?

« Pantoute, a assuré Gélinas-Beaulieu. Ça me montre que ce qu’on croyait impossible est maintenant possible. Ça nous motive à poursuivre et à dépasser les frontières. C’est ça, le sport. »

Un dernier 500 m ce dimanche

Avec une médaille en poche, la cinquième de suite sur sa distance de prédilection, Dubreuil se dit déjà « mission accomplie » pour la Coupe du monde de Québec. « Je pense que ce sera un peu plus axé sur le plaisir demain [ce dimanche] », a-t-il évalué.

Sa deuxième place, combinée à la huitième de Morishige, lui a permis de retrancher 18 points à l’avance du Japonais en tête du classement cumulatif du 500 m. Accusant maintenant un retard de 19 points, l’athlète de Lévis aura encore besoin d’un alignement des planètes favorable pour cueillir le titre pour la troisième saison de suite à l’occasion du dernier 500 m, ce dimanche.

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Laurent Dubreuil

S’il termine premier, il faudra que Morishige ne puisse faire mieux que cinquième, sans quoi les carottes seront cuites. Avec une deuxième place, le Japonais ne devra alors pas dépasser la huitième position, et ainsi de suite.

« Ce serait incroyable de gagner trois ans en ligne, mais même si je finis deuxième, je serai très fier aussi. Ce n’est pas parce que Morishige a fini septième aujourd’hui qu’il ne mérite pas la première place. Il a quand même quatre victoires et six podiums cette année. Il roulait vraiment avant Noël. Je l’ai rattrapé avec de la constance. »

Dans l’espoir de lui mettre une pression directe, Dubreuil rêvait d’être jumelé au Japonais de nouveau, mais le tirage au sort a voulu qu’il s’aligne dans la dernière paire… avec Stolz. Personne ne niera que c’est encore mieux pour conclure la « bataille de Québec »…