Tout gagner n’est pas toujours de tout repos. Mikaël Kingsbury a dû résoudre un petit casse-tête logistique pour rapporter ses trois globes de cristal au Canada ces derniers jours.

À l’aéroport d’Almaty, un représentant de la compagnie aérienne a refusé de le laisser monter à bord avec la valise contenant le grand globe remporté à titre de champion du classement général de la saison de Coupe du monde de bosses qui s’est terminée samedi au Kazakhstan. Il a donc glissé l’objet dans son sac à dos.

Il restait les deux plus petites valises renfermant les globes des épreuves de simple et de parallèle. L’athlète de Deux-Montagnes en a conservé un et a confié l’autre à un entraîneur. Ses bottes sont parties dans la soute à bagages, une fois n’est pas coutume.

Le skieur de 30 ans doit maintenant caser les 24 globes remportés depuis 2012. La majorité est encore à la résidence familiale de Deux-Montagnes. Six autres sont à sa nouvelle maison de Saint-Joseph-du-Lac, où il s’est établi avec sa copine il y a quelque temps.

« Éventuellement, ils vont tous s’en venir ici. La question classique qui revient est : “Où vas-tu mettre tout ça ? Tu n’auras plus de place…” C’est vrai que je devrai trouver un nouveau meuble ou m’en faire faire un parce que celui que j’ai est plein. Je n’ai pas encore pris le temps d’y penser. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Les trophées sont nombreux chez les parents de Mikaël Kingsbury !

Il devra être prévoyant parce qu’il n’a pas l’intention de s’arrêter. « Le monde pense peut-être que je vais ralentir, mais au contraire, j’ai l’impression que je continue à être meilleur », a-t-il avancé en entrevue téléphonique mardi après-midi.

Kingsbury en veut pour preuve les 1002 points accumulés au fil de la campagne de Coupe du monde, la quatrième fois qu’il atteint ce plateau. Évidemment, il est le seul à avoir réussi pareil exploit dans son sport.

« Pour nous, c’est comme une saison de 200 points au hockey », s’est-il amusé à comparer, sachant sans doute que l’illustre Wayne Gretzky y est parvenu lui aussi à quatre reprises.

Mathématiquement, il a déjà fait un peu mieux – 1180 points avec un départ de plus en 2012 –, mais il est prêt à convenir que ce fut probablement la meilleure saison de sa carrière en tenant compte de ses deux médailles d’or aux Championnats du monde en Géorgie.

« Chaque fois, je pense que c’est ma meilleure parce que je trouve que je suis un meilleur skieur. Le calibre est encore plus fort. Plus de gars pouvaient rivaliser à toutes les courses. Pour gagner, c’est plus difficile. J’ai été constant. J’ai continué à dominer et à gagner les globes sans équivoque. »

Une seule anomalie

En plus de son troisième doublé consécutif aux Mondiaux, il a signé six victoires en Coupe du monde et terminé cinq fois deuxième…

La seule anomalie est une 29e place à l’épreuve en parallèle de l’Alpe d’Huez, en décembre, son pire résultat depuis 2011. En ronde des 32, il a fait une chute à l’approche du deuxième saut.

« J’ai perdu le souffle, mais je me suis relevé et j’étais correct. J’étais déçu sur le coup, mais mentalement, ça ne m’a pas affecté du tout. Si ça se trouve, ça m’a motivé. C’était peut-être une bonne chose parce que ça m’a donné l’élan qu’il fallait pour poursuivre l’année. »

Le bosseur a revu sa débarque sur la tablette des coachs, mais a bien pris soin de l’effacer…

Parmi ses principaux rivaux qui l’ont chauffé, il cite l’incontournable Japonais Ikuma Horishima (2e à 660 points), l’ami australien Matt Graham, le jeune Américain Nick Page, l’explosif Français Benjamin Cavet et, bien sûr, le Suédois Walter Wallberg, qui l’a privé d’une deuxième médaille d’or olympique à Pékin. « Juste faire la super finale, tu dois être solide et tu dois le faire d’un week-end à l’autre. C’est ce qui est difficile. »

La compétition est forte, mais je me sens progresser, même à 30 ans. C’est sûr que c’est encourageant.

Mikaël Kingsbury

En raison du couac de l’Alpe d’Huez, le grand Wallberg l’a chauffé toute la saison en duel. À Val-Saint-Côme, le Québécois a voulu « le sortir de la piste » en finale, ce qui a causé sa propre perte. Il s’est vengé à Deer Valley et aux Mondiaux de Bakouriani.

« Aux championnats du monde, c’était un peu la petite revanche des Olympiques. Celle-là m’a fait le plus plaisir. Le reste, c’était un gars que je devais battre comme les autres. J’apprécie Walter. Je m’entends super bien avec lui. »

Encore meilleur ?

Kingsbury pense donc pouvoir être meilleur la saison prochaine. D’abord en raison de son expérience : « J’ai vécu pas mal tous les scénarios possibles. C’est rare que je me retrouve devant l’inconnu. »

Ensuite parce qu’il estime s’améliorer sur le plan technique, comme l’atterrissage de ses 1080 dans les pistes moins pentues. « Il y a plein d’autres affaires comme la position de mes hanches, mais je préfère ne pas entrer dans les détails parce que je ne veux pas que le monde sache exactement ce que je vais faire. »

Pour l’honneur, Kingsbury prendra part aux championnats canadiens cette fin de semaine à Val-Saint-Côme.

Le premier entraînement est prévu jeudi, mais le double champion mondial ne sait pas encore s’il pourra être de la partie : ses skis, ses bottes et ses valises se sont perdus pendant une correspondance à Istanbul…

À reculons

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Mikaël Kingsbury en action à Park City, en Utah

Mikaël Kingsbury pèse ses mots, mais il ne cache pas que la motivation est inexistante pour les championnats canadiens, qu’il a ratés l’an dernier en raison d’une infection à la COVID-19. L’absence de bourses contribue à cette apathie au moment où ses coéquipiers et lui tentent de se remettre du décalage horaire de 10 heures avec le Kazakhstan, d’où il est revenu dimanche.

« C’est dommage un peu parce que les gars sont en fin de saison, surtout moi, a-t-il expliqué. J’ai tout donné durant l’hiver et là j’arrive aux championnats canadiens. C’est le fun de skier avec les jeunes, ça me tient à cœur. Je connais le feeling de skier avec les meilleurs Canadiens, tes idoles. Mais s’il n’y a pas de bourses, j’ai plus à perdre que gagner. Si je ne gagne pas, c’est poche un peu. Je dois quand même me concentrer et je ne peux pas prendre ça à la légère. Mes coéquipiers sont d’excellents skieurs. »

Le triple médaillé olympique propose de décaler l’évènement d’une semaine ou deux et d’ajouter un incitatif financier. « Je pourrais simplement conduire quatre heures et aller à Waterville Valley [dans le New Hampshire] et gagner pas mal d’argent, a-t-il noté. Partout ailleurs dans le monde, il y a des bourses. »

En lieu et place, Kingsbury se contentera d’une « tape dans le dos » en cas de victoires samedi (simple) et dimanche (parallèle).

Simon Drouin, La Presse