Laurence St-Germain n’était jamais montée sur un podium à ce niveau.

Pendant que Mikaela Shiffrin dévalait la pente, elle a donc demandé à Lena Dürr, qui la suivait au classement, de quel côté elle devait s’installer pour la cérémonie protocolaire…

« Attends un peu, Mikaela perd du temps… », l’a prévenue l’Allemande en pointant vers la piste du Roc de Fer.

De son propre aveu, la Québécoise n’avait pas vraiment regardé la descente de l’Américaine, hyper favorite de ce slalom des Championnats du monde de ski alpin de Méribel, samedi.

Quadruple championne mondiale de la spécialité, skieuse la plus victorieuse de l’histoire en Coupe du monde, déjà triple médaillée à ces Mondiaux, meneuse après la première manche, Shiffrin ne pouvait pas échapper cet autre titre qui lui tendait les bras dans sa discipline fétiche…

Mais l’athlète de Vail s’est mise à commettre des fautes inhabituelles, lâchant des dixièmes à gauche et à droite. Le coussin de 0,61 seconde qu’elle détenait sur la Canadienne commençait à s’effilocher.

  • Laurence St-Germain a remporté son titre par 0,57 seconde.

    PHOTO FABRICE COFFRINI, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Laurence St-Germain a remporté son titre par 0,57 seconde.

  • La Québécoise affichait un immense sourire sur le podium.

    PHOTO LIONEL BONAVENTURE, AGENCE FRANCE-PRESSE

    La Québécoise affichait un immense sourire sur le podium.

  • Tous les membres de l’équipe canadienne ont célébré avec Laurence St-Germain sur le podium.

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    Tous les membres de l’équipe canadienne ont célébré avec Laurence St-Germain sur le podium.

  • Laurence St-Germain ne semblait pas croire à sa première place en regardant son chrono au bas de la piste.

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    Laurence St-Germain ne semblait pas croire à sa première place en regardant son chrono au bas de la piste.

  • Mikaela Shiffrin a félicité Laurence St-Germain sous le regard de Lena Dürr.

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    Mikaela Shiffrin a félicité Laurence St-Germain sous le regard de Lena Dürr.

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À quelques portes de la ligne, le voyant vert est soudainement passé au rouge. Quand Shiffrin s’est projetée vers le fil, il était déjà évident qu’elle ne parviendrait pas à déloger St-Germain de la tête de la course.

Sa question à Dürr, médaillée de bronze, est donc devenue caduque…

« Je n’avais qu’à me tenir au milieu, ça m’a rendu la tâche plus facile ! », a lâché St-Germain en conférence de presse avant d’émettre son rire caractéristique qui trahit un mélange de modestie et de réserve.

« C’est un peu bizarre, a franchement réagi la vainqueure au micro de la FIS un peu plus tôt. Évidemment, je ne m’attendais pas à ça. C’est incroyable ! »

Un village de champions

À 28 ans, Laurence St-Germain est ainsi devenue la première Canadienne à gagner l’or aux Mondiaux depuis Mélanie Turgeon en 2003. À l’époque, elle faisait dédicacer son casque de compétition chaque année à la championne mondiale de descente, issue comme elle du Mont-Sainte-Anne.

« Avec l’équipe régionale Skibec, on s’entraînait toujours dans la piste Mélanie-Turgeon. C’est vraiment spécial d’être la première championne du monde après elle, 20 ans plus tard. Ça me rend très fière de suivre mon idole comme ça. »

Le nom de son village, Saint-Ferréol-les-Neiges, a intrigué les journalistes européens, qui avaient néanmoins entendu parler de Pierre et Alex Harvey.

Après Alex en ski de fond, en 2011 et 2017, St-Germain est donc la deuxième championne du monde originaire de Saint-Ferréol, qui a un ensemble résidentiel baptisé « Faubourg olympique »…

« C’est un petit village de 1000, 2000 personnes, mais on est athlétiques et on aime jouer dehors… même si les montagnes ne sont pas aussi grosses qu’ici ! », a expliqué St-Germain.

Élevée dans une famille de skieurs, la slalomeuse n’a cependant pas grandi avec des affiches de Jeux olympiques ou de skieuses sur les murs de sa chambre.

« Mais j’ai toujours adoré le ski, toujours voulu compétitionner en ski. C’est vraiment plus tard que le rêve olympique, le rêve d’être championne a commencé. »

« Impossible ! »

St-Germain a construit sa victoire dès la première manche, où elle ne s’élançait que 18e en raison d’une saison de Coupe du monde en dents de scie jusqu’à maintenant.

Comme elle se l’était promis, elle a attaqué le parcours avec engagement, s’assurant de ne rien laisser entre les piquets pour éviter les regrets.

« Quoi ?!? Holy sh… ! », a-t-elle réagi en réalisant qu’elle était troisième, à 0,61 seconde de Shiffrin et à 0,42 seconde de la Suissesse Wendy Holdener.

Elle profitait d’une avance de trois dixièmes sur Dürr (4e) et la Slovaque Petra Vlhová (5e), championne olympique en titre.

« Je voulais vraiment essayer d’avoir une bonne deuxième manche et j’espérais garder ma troisième position. Mais j’aurais été contente aussi avec le top 10 ou le top 5. »

De quoi jouer sur ses nerfs durant les longues heures d’attente avant la seconde descente, où elle ne s’est pas permis de regarder des vidéos.

Il y avait beaucoup de stress, je sentais la pression, mais mon but était de rester calme. J’ai su utiliser la pression pour la transformer en adrénaline et vraiment attaquer la deuxième manche.

Laurence St-Germain

Installée dans cette position avantageuse pour la première fois de sa carrière, St-Germain a très bien composé avec la situation, même si elle se disait un peu « nauséeuse » dans le portillon.

Le feu s’est allumé après une légère erreur dans le haut du tracé. « J’ai utilisé mon stress pour attaquer encore plus. Je savais que si je ne donnais pas mon 110 %, j’allais être déçue. »

Brillante dans le mur et sur le plat final, elle a réussi à déloger Dürr (+ 0,69 s) de la position de tête. « Impossible ! », a-t-elle lancé, avec un grand sourire, en voyant le « 1 » apparaître à côté de son nom sur le tableau indicateur… qu’elle a mis du temps à repérer.

« J’ai un peu figé. Je voulais être sûre que c’était vrai ! Juste d’avoir un podium, j’étais amplement satisfaite. »

Assurée d’une médaille presque inespérée, St-Germain n’avait plus qu’à attendre pour en connaître la couleur.

Elle célébrait déjà avec ses coéquipières Ali Nullmeyer (12e) et Amelia Smart (24e) quand celles-ci lui ont fait remarquer qu’Holdener, deuxième au classement de la discipline et en route vers la première place, venait d’enfourcher…

Il ne restait plus que Shiffrin, meilleure slalomeuse de l’histoire et probablement meilleure skieuse tout court aussi.

Déjà double médaillée à Méribel (argent en super-G, or en slalom géant), l’Américaine de 27 ans a commis quelques fautes inhabituelles, ce qui a fait fondre son avance.

Shiffrin a trouvé les ressources pour conserver l’argent, terminant à 0,57 seconde de St-Germain, qu’elle a chaleureusement félicitée dans l’aire d’arrivée.

« J’ai tout laissé sur la piste, a exposé Shiffrin en conférence de presse. Les manchettes seront probablement : “Elle a perdu l’or.” Mais non. À mes yeux, j’ai gagné l’argent et l’équipe canadienne et Laurence ont gagné l’or. J’espère que tout le monde pourra lui donner l’attention qu’elle mérite. C’est son propre titre. C’est ce qui arrive à des Championnats du monde. C’est tellement une performance incroyable. Ils le méritent. »

PHOTO DENIS BALIBOUSE, REUTERS

Mikaela Shiffrin et Laurence St-Germain sur le podium

En plein milieu des championnats, Shiffrin a dû négocier avec le départ orageux de son entraîneur de longue date, Mike Day, qui a claqué la porte après avoir appris qu’il serait congédié à la fin de l’hiver.

Pour cette dernière course, l’Américaine a dû puiser au fond de ses réserves pour devenir la première chez les skieurs, hommes et femmes confondus, à remporter six médailles dans la même épreuve.

La rapidité du slalom en fait pour moi la discipline la plus exigeante. C’est tellement rapide que tu ne peux pas te remettre d’une erreur. […] Ça peut être difficile à croire pour certaines personnes, mais dans ma tête, je skiais pour l’or. Ça n’a pas été parfait du haut jusqu’en bas, mais c’est aussi parce que Laurence a réussi une performance fantastique. L’une des différences est peut-être qu’elle a été spectaculaire et que je n’ai pas été assez bonne à ce moment-là.

Mikaela Shiffrin

Ces compliments feront probablement rougir la médaillée d’or. « Honnêtement, je n’aurais jamais pensé la battre ! a-t-elle admis. Si je la devançais, c’est parce qu’elle n’avait pas fini ou qu’elle avait remonté une porte… »

Mise à l’écart

En soirée, St-Germain a laissé paraître ses émotions pour la première fois durant la cérémonie de remise des médailles. Ses yeux brillaient pendant l’hymne national…

« C’est un peu un brouillard depuis que j’ai croisé la ligne d’arrivée », a-t-elle soufflé en se présentant virtuellement devant les médias québécois, deux heures plus tard. « Je pense que c’est la première fois que je m’assois depuis la course… Je n’ai toujours pas mangé, je cours un peu partout, mais non, je commence à le réaliser. Ça aide d’avoir ma médaille. »

PHOTO ALESSANDRO TROVATI, ASSOCIATED PRESS

Laurence St-Germain lors de la cérémonie de remise des médailles

Mise à l’écart de l’équipe nationale de développement en 2014 après une saison « médiocre », la Québécoise s’est relancée à l’Université du Vermont, où elle a décroché un diplôme en sciences informatiques et deux titres de la NCAA en 2019. Ses performances sur le circuit Nor-Am lui ont permis de faire ses débuts en Coupe du monde l’hiver suivant.

À ses premiers Mondiaux en 2019, la technicienne s’était classée sixième à Åre, en Suède. Elle avait fini 17e à Cortina, il y a deux ans, soit le même classement qu’aux Jeux olympiques de Pékin l’hiver dernier.

Elle n’avait jamais fait mieux que sixième en Coupe du monde, à Levi, en Finlande, au début de la saison 2020-2021.

Après un début d’hiver inconstant, elle a pris la septième place à son dernier départ à Špindlerův Mlýn, en Tchéquie, de quoi la mettre en confiance pour ses troisièmes Mondiaux, où elle ne souhaitait que penser à son exécution, se réservant « la surprise » quant au résultat…

PHOTO JEFF PACHOUD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Mikaela Shiffrin, Laurence St-Germain et Lena Dürr sur le podium au bas de la piste des Championnats du monde de slalom, à Méribel

Une mauvaise nuit la veille était presque un bon indicateur de la journée qu’elle connaîtrait.

« J’avais quand même confiance à la suite de mes bonnes journées d’entraînement ces dernières semaines. Ce bon ski m’a donné beaucoup de stress dans les derniers jours parce que je savais justement que j’étais au sommet de ma forme en ce moment. En général, dans ma carrière, j’ai bien performé avec cette petite pression là… »

St-Germain se doute qu’elle sera beaucoup plus attendue pour les deux dernières Coupes du monde, le mois prochain. Mais à jamais, elle sera une championne du monde. « C’est vraiment énorme et c’est sûr que ça me motive. »