Justine Dufour-Lapointe a changé de trajectoire, mais sa nature reste la même. Des bosses bien sculptées à un environnement plus sauvage, ses skis sont différents, mais son désir de faire les choses à sa manière demeure inchangé. Poussée par une soif de liberté, elle s’est choisie. Et personne ne peut lui en vouloir.

Toute sa vie, Justine Dufour-Lapointe a été admirée, enviée et respectée. Elle a aussi été épiée, jugée et critiquée.

Limitée à l’intérieur d’une structure bien définie depuis qu’elle a l’âge de gagner, la double médaillée olympique a quitté le ski acrobatique pour le ski libre, sur le Freeride World Tour, pour apprendre à nouveau. Pour se sentir vivante à nouveau.

En ski comme dans la vie, sa ligne directrice a évolué, mais son objectif reste d’arriver au bout du trajet avec le sourire.

« Tout est nouveau. Je n’ai pas d’entraîneur, je m’autofinance, il n’y a pas de système d’encadrement. Je suis seule avec moi-même », évoque Dufour-Lapointe au téléphone, en direct de l’Espagne.

Toute cette nouveauté et cette effervescence liée à l’inhabituel, « ça faisait aussi partie du choix de m’en aller dans un sport comme ça et de voler un peu plus de mes propres ailes ».

Le ski libre demeure un sport jugé. Il s’agit néanmoins d’une discipline un peu moins connue, ou comprise. Dufour-Lapointe a skié toute sa carrière sous les feux de la rampe. Au sommet des montagnes européennes, avec son sac à dos, l’attention est un peu moins dirigée vers elle. Elle ressent aussi moins de pression.

« Mon choix de faire ce changement était surtout pour ça, précise-t-elle. D’aller vivre quelque chose de nouveau. De vivre avec plus de liberté. C’est vrai, il y a peut-être moins de pression, même si je m’en mets quand même. Je le fais vraiment pour moi. Je le fais pour me faire plaisir avant tout. »

De retour au sommet

Au moment de s’entretenir avec La Presse, un lundi soir, heure d’Espagne, Dufour-Lapointe avait terminé sixième, plus tôt dans la journée, à Baqueira Beret. Le but de l’entretien était de revenir sur sa première compétition à vie.

« C’est une grosse étape. Je suis juste contente d’avoir repoussé mes limites. » La Québécoise avait été la seule skieuse à tenter un saut périlleux arrière.

« Ce n’est que le début et les possibilités sont infinies », avait-elle lancé.

Dufour-Lapointe est une athlète de parole, ou bien elle partage un bracelet d’amitié avec l’univers, car seulement quatre jours plus tard, elle a décroché sa première victoire, à Ordino Arcalis, en Andorre.

PHOTO JÉRÉMY BERNARD

Justine Dufour-Lapointe (au centre) célèbre sa première victoire sur le Freeride World Tour.

En arrivant au bas de la piste, Dufour-Lapointe était stupéfaite. Elle a été la dernière à s’élancer et son pointage de 74,00 a été suffisant pour lui permettre de soulever le gros trophée triangulaire. Elle était à court de mots. La bouche grande ouverte en fixant le pointage.

« En arrivant en bas, je n’avais aucune idée du résultat, a-t-elle raconté, plus tard en soirée de sa chambre d’hôtel. Je ne réalisais pas à quel point c’était incroyable de gagner aujourd’hui. »

Après deux courses seulement, elle revenait à ce qu’elle savait faire de mieux : gagner. « C’était clairement sur ma liste de souhaits. C’était irréel. C’est un rêve devenu réalité. »

Dans la gueule du loup

Contrairement aux bosses, le ski libre doit se pratiquer avec une parcelle d’improvisation. Les skieuses ne font pas de séances d’entraînement. Elles ont seulement accès à des photos du parcours. Elles font une seule descente de deux minutes. Les conditions de neige sont à l’état pur et les rochers sont monstrueux.

Dufour-Lapointe s’élance toujours sur des spatules, mais comme le ski alpin et le ski de fond, le ski acrobatique et le ski libre sont deux sports complètement distincts.

La clé pour réussir est l’adaptation. C’est ce qui allume Dufour-Lapointe.

« Ce matin, il y a un ouvreur de piste expérimenté qui est parti et qui a déclenché une avalanche. Donc la moitié de la montagne a été lavée par la neige. Il n’y avait plus de neige dans les atterrissages. Il fallait un peu changer de plan », se souvient-elle à propos de sa première course.

Qui dit nouvel environnement dit nouvelles manières de faire. « C’est un processus qui me rend très humble. » À 28 ans, la cadette des sœurs Dufour-Lapointe doit apprivoiser de nouvelles techniques, de nouveaux sauts et de nouveaux éléments de la nature, à l’état brut.

Je suis confrontée à apprendre, mais je réalise que c’est ce que j’aimais le plus dans les dernières années.

Justine Dufour-Lapointe

Lors de nos deux conversations avec l’ancienne championne du monde et gagnante de 49 médailles sur le circuit de la Coupe du monde, le mot « potentiel » a été prononcé plusieurs fois.

Principalement parce qu’elle sait qu’elle a encore beaucoup à offrir. Aussi parce que ce changement de trajectoire n’est pas l’entame d’une finalité. Ce n’est que le début.