(Val Saint-Côme) D’un bout du monde à l’autre, l’inspiration n’a pas de frontière. Quelque part entre Montréal et Tokyo, deux destins se sont croisés. On pourrait même parler d’une passation des pouvoirs entre Justine Dufour-Lapointe et Anri Kawamura.

La Japonaise Anri Kawamura venait de prendre des dizaines de photos au bas de la piste après son deuxième triomphe en autant de jours à la Coupe du monde de ski acrobatique de Val Saint-Côme.

Vêtue de son dossard jaune de meneuse, de son habit de neige rouge et blanc aux couleurs du Japon et de son casque Red Bull, la skieuse de 18 ans est remontée jusque dans l’aire réservée aux médias en bordure de la pente pour s’entretenir avec La Presse.

Ses gants accrochés à ses manches se balançaient dans le vide comme ceux d’un enfant dans une cour d’école. Elle s’approchait avec le sourire. L’arrivée de cette skieuse toute menue à la voix douce et aux pommettes rouges de froid sur la scène internationale représente un vent de fraîcheur.

La foule québécoise l’a fait se sentir comme à la maison. En vérité, sa relation avec la Belle Province ne date pas d’hier. Elle fait partie d’une agence québécoise depuis peu, mais elle a aussi été inspirée par un talent local. Sans Justine Dufour-Lapointe, Kawamura ne serait pas là où elle est aujourd’hui.

« Quand j’avais environ 5 ans, je l’ai vue à la télévision japonaise. Et je me suis dit : “Oh, mon Dieu, elle est tellement jolie et tellement bonne. Je veux devenir comme elle.” Elle a été mon idole », se souvient la Japonaise. Le parcours historique de la Québécoise aux Jeux olympiques de Sotchi en 2014, où elle a gagné l’or, a été un autre déclic pour Kawamura.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Justine Dufour-Lapointe a remporté la médaille d’or aux Jeux olympiques de Sotchi en 2014.

Les deux athlètes ont eu la chance de se côtoyer pendant près de deux ans sur le circuit de la Coupe du monde.

Jointe en Espagne, Dufour-Lapointe se souvient très bien de ses premiers rapports avec la jeune skieuse.

Quand je l’ai rencontrée, au début, elle était tellement gênée ! Elle ne me parlait presque pas. Elle m’évitait quasiment du regard. Mais en même temps, quand j’allais la voir, elle était vraiment super excitée.

Justine Dufour-Lapointe

Lorsqu’elle est devenue plus à l’aise, Kawamura lui a avoué tout l’amour qu’elle lui portait. « Là je me suis dit : “OK, mon Dieu, je suis vieille” », se remémore la championne olympique en riant.

L’élève a même copié le maître jusque dans son style. Deux skieuses fluides à la technique exemplaire. Deux athlètes épousant à merveille chaque bosse et se démarquant par leur agilité, leurs prouesses techniques, leur souplesse et leur manière de gambader avec légèreté au-dessus de chaque obstacle.

« Penser qu’il y a une partie de mon histoire qui a à voir avec une partie de son histoire, ça fait chaud au cœur, poursuit Dufour-Lapointe. On a un pouvoir et une responsabilité de penser aux générations futures. Donc, voir que c’est un peu mission accomplie, ça me rend heureuse. »

À son avis, la Japonaise est là pour de bon. « Elle est forte, brillante et elle est une incroyable skieuse. »

L’heure de briller

Les deux athlètes s’écrivent encore à l’occasion. Kawamura n’hésite jamais à envoyer un texto à son mentor dans les moments plus difficiles.

Le dernier message doit donc remonter à quelques mois, puisque Kawamura est en train de tout casser sur le circuit de la Coupe du monde. La Japonaise laisse son empreinte sur la saison 2023. En huit compétitions, elle est montée sur le podium à six occasions. Trois des quatre dernières fois, elle s’est assurée de grimper sur la plus haute marche. Elle occupe présentement le deuxième rang au classement général de sa discipline.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Anri Kawamura

J’aime tellement skier que c’est tout ce qui compte. Mais c’est aussi agréable de gagner et je chéris chaque victoire.

Anri Kawamura

Même si tout se passe bien pour le moment, elle est consciente du chemin à parcourir d’ici à l’atteinte de son véritable objectif : « Je veux être la reine des bosses. »

« [Entre-temps] il y a encore plein de choses que je peux améliorer, mais je sais que mon plafond est très élevé. »

Dufour-Lapointe est du même avis : « C’est naturel chez elle. Des talents purs comme ça, on les voit tout de suite. Ça arrive une fois tous les 10 ans. Je suis persuadée que ce n’est que le début pour elle. »

L’idole d’une génération

Le ski acrobatique est immense au Japon. D’autant plus que, toutes proportions gardées, les Japonais sont parmi les partisans les plus fanatiques au monde.

Il y a un an, Kawamura a pris le cinquième rang à ses premiers Jeux olympiques, à Pékin. Si elle garde la même trajectoire, elle pourrait devenir une icône nationale.

« Beaucoup de gens me connaissent, surtout depuis les Jeux olympiques, lance-t-elle, les yeux pétillants. Je pense que j’ai la capacité d’inspirer beaucoup de gens là-bas. »

Dufour-Lapointe peine à imaginer le sort réservé à la Japonaise à son retour au pays.

Oh mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu. Nous-mêmes, on était presque des mégastars au Japon et on y allait une fois par année. Pour elle, dans son propre pays, en tant que future grande championne, c’est clair qu’elle sera vénérée.

Justine Dufour-Lapointe

À 15 fuseaux horaires de la maison, Kawamura doit gérer beaucoup de pression, seule. À 18 ans, ce n’est pas donné à tous de négocier avec le fait de quitter sa patrie dans l’objectif d’y revenir en héros. Le meilleur moyen d’y survivre ? Le faire pour les bonnes raisons.

« Parfois, oui, je ressens de la pression, mais pas tant que ça. Je veux juste éprouver du plaisir à pratiquer mon sport. »