« Pourquoi ? » C’est la question qu’Arthur Guérin-Boëri se fait le plus souvent poser depuis qu’il a décidé de battre un record d’apnée sous glace en simple maillot de bain. Après avoir testé les eaux du Québec, il se la pose aussi à lui-même ! Nous avons passé deux jours dans la bulle de l’athlète qui s’apprête à relever, d’un jour à l’autre, le défi d’une vie.

L’an dernier, en Finlande, l’apnéiste originaire de Nice avait établi un nouveau record en parcourant une distance de 120 m en un seul souffle, dans sa combinaison de 2 mm, sans palmes. Le lac Sonnanen gelé était à 3 °C. Cette année, il souhaite ravir le record de 103 m en maillot à Johanna Nordblad et vise 105 m.

Homologués par la Confédération mondiale des activités subaquatiques (CMAS), les records sous glace étaient jusque-là l’affaire du Guinness des records, sans vraiment de règles. Arthur Guérin-Boëri a d’ailleurs participé à l’élaboration du cadre, qui comprend test antidopage, longe de sécurité et protocole de sortie de l’eau impeccable.

Sur la glace (et dans l’eau), lors du record prévu dans les prochains jours, il y aura sept apnéistes de sécurité et leurs deux superviseurs, deux juges, un kinésiologue, une personne responsable de l’antidopage, deux « médics », puis sept employés d’une boîte de production qui réalise un documentaire sur les exploits hivernaux de l’athlète.

Bienvenue au Québec !

Lundi, la première immersion dans la carrière Morrison, à Wakefield, a été un choc pour le champion d’apnée dynamique qui s’était jusqu’à présent entraîné dans des eaux à environ 5 °C. Il faisait 0,5 °C à la surface de sa petite piscine triangulaire. À l’extérieur, le thermomètre indiquait — 20 °C. Bienvenue au Québec ! L’athlète, venu à l’invitation du club Apnée Aventure, n’a pu réprimer quelques jurons.

« Il était un peu découragé, confirme Chloé Tedaldi, son agente. Mais mardi, il a fait un test dive de 40 mètres, et là, les sensations étaient bonnes. Ça lui a redonné confiance. »

Il va sans dire que le mental est aussi important que les capacités physiques, dans une telle épreuve. « Arthur a eu une première phase de doute au moment où les restrictions ont repris au Québec et qu’on s’est demandé si ce serait possible de faire le record, raconte Chloé Tedaldi. S’entraîner, mais pourquoi ? C’était un peu démotivant. Puis il a fait une hypothermie dans la même semaine. Mais après, il a réussi une apnée de 90 m dans une eau à 4 °C dont il est reparti confiant. »

À notre arrivée à la carrière Morrison, mercredi après-midi, toute l’équipe s’affaire sur la glace. Il faut pelleter la neige fraîchement tombée, tracer les ouvertures en triangles et retirer la glace avec des scies, l’une mécanique et l’autre manuelle. Avec deux seules paires de bras pour faire huit trous, ça prendra au moins deux jours. Il y a l’ouverture de départ, puis, en ligne droite — on l’appelle la « track » — des ouvertures à 20, 40, 60, 70, 80, 90, 100 et 105 mètres, pour que l’apnéiste puisse sortir en cas d’urgence.

  • À l’arrivée de La Presse sur le site, mercredi après-midi, toute l’équipe qui accompagne l’apnéiste lors de sa bravade s’affairait sur la glace.

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    À l’arrivée de La Presse sur le site, mercredi après-midi, toute l’équipe qui accompagne l’apnéiste lors de sa bravade s’affairait sur la glace.

  • Afin de préparer convenablement le lieu de la compétition, il faudra pelleter la neige fraîchement tombée, tracer les ouvertures en triangles et retirer la glace avec des scies, l’une mécanique et l’autre manuelle.

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Afin de préparer convenablement le lieu de la compétition, il faudra pelleter la neige fraîchement tombée, tracer les ouvertures en triangles et retirer la glace avec des scies, l’une mécanique et l’autre manuelle.

  • C’est donc dire qu’avec les deux seules paires de bras disponibles — celles d’Yves Charland (au premier plan) et de Marc-André Piché — pour faire huit trous, il faudra au moins deux jours de travail.

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    C’est donc dire qu’avec les deux seules paires de bras disponibles — celles d’Yves Charland (au premier plan) et de Marc-André Piché — pour faire huit trous, il faudra au moins deux jours de travail.

  • Un survol de la carrière permet clairement d’observer ce que l’on appelle la « track », soit des ouvertures à 20, 40, 60, 70, 80, 90, 100 et 105 mètres, pour que l’apnéiste puisse sortir en cas d’urgence.

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Un survol de la carrière permet clairement d’observer ce que l’on appelle la « track », soit des ouvertures à 20, 40, 60, 70, 80, 90, 100 et 105 mètres, pour que l’apnéiste puisse sortir en cas d’urgence.

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L’heure de la mise à l’eau un peu redoutée approche. Il faut bien finir par apprivoiser cette grande flaque un peu hostile avant le jour J. Heureusement, il y a à la disposition de l’athlète une tente chauffée par un petit four à bois, qui fait sauna. C’est là qu’il se prépare, qu’il emmagasine la chaleur, qu’il fait quelques échauffements sous forme d’apnées à sec.

Mercredi est une autre journée difficile, où les « bonnes » sensations ne sont pas au rendez-vous. La fatigue du décalage horaire est bien présente. La pression aussi. Arthur parcourt 20 mètres sous la glace, se prête à une séance photo sous-marine éclair avec le jeune vidéaste et athlète de trail (course en sentiers) Colin Oliva et sort illico de l’eau. Le sauna l’attend. C’est officiel : demain sera une journée de repos.

Malgré tout, le stoïque n’a rien laissé paraître de sa souffrance. On pourrait même dire que ça donne presque envie. Et c’est cette « presque envie », mélangée à une part d’appréhension, que ressent Colin Oliva, le lendemain après-midi, lorsqu’il décide de s’immerger à son tour, dans le lac devant le chalet. Un peu plus tôt, un triangle a été ouvert dans ce décor « paradisiaque » de « ma cabane au Canada », pour une séance photo.

L’élève

Oliva retire d’abord ses chaussures, se met debout sur une petite serviette déjà toute trempée d’eau glaciale, puis retire son précieux poncho molletonné. « Tu mets d’abord les pieds et les mollets dans l’eau, lui dicte son coach Guérin-Boëri. Puis tu te mets un peu d’eau dans le visage et sur les bras. C’est important, poursuit-il. Et après, tu t’asperges tout le corps. »

Tout semble plutôt bien aller pour Colin Oliva, jusqu’à ce qu’il s’immerge complètement et que sa respiration se mette à s’emballer follement. Guérin-Boëri l’avait prévenu que ça arriverait, puis insisté sur l’importance de garder une ventilation lente et régulière. Il le rappelle à son élève. Mais c’est plus fort que lui : Oliva hyperventile.

« Si tu réussis à rester jusqu’à deux minutes, dans l’eau tu verras que ça devient plus facile », assure l’apnéiste, bien au chaud au bord du trou. Le « jeune » ne tiendra pas jusqu’à la zone de « confort ». Il se hisse hors de l’eau au bout d’une bonne minute et demie, quand même, et court jusqu’au chalet pieds nus dans la neige !

Revenons au « Pourquoi ? ». Pourquoi se mettre dans un tel état d’inconfort, de stress, de danger même ? Car oui, ces immersions en eau glacée suivies d’apnées longues (les 105 mètres devraient se faire en 2 minutes 45 secondes) impliquent toute une série de réactions physiologiques qui doivent être prises en compte. Arthur Guérin a brièvement répondu à la question dans une récente publication sur Instagram.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Arthur Guérin-Boëri discute avec Yves Charland

Pourquoi gravir l’Everest ? Pourquoi traverser la Manche à la nage ? Pourquoi pédaler, courir ? Le sport n’a aucune fonction de production utile dans une société, si ce n’est de vendre du rêve, de véhiculer des valeurs, et pour les sportifs eux-mêmes, de s’accomplir et se réaliser dans l’effort.

Arthur Guérin-Boëri

« Non, ce n’est pas du masochisme, non, ce n’est pas une quête de reconnaissance. C’est se dépasser, c’est vivre ses rêves, et c’est être pionnier en terre inconnue. C’est aussi s’adapter, à force de travail, avec patience, mais surtout avec humilité, à l’élément aquatique. »

Après une centaine de mètres sans combinaison, le corps est en état de choc pendant au moins 10 minutes. Le refroidissement périphérique causé par la vasoconstriction devient généralisé et tout le corps peut se mettre à trembler. Puis ces phénomènes sont amplifiés par l’apnée, qui elle aussi génère une vasoconstriction et augmente la bradycardie (ralentissement du rythme cardiaque) déjà déclenchée par le froid. Ajoutez à ça l’hypoxie causée par l’absence d’air, et vous avez un portrait bien général du trauma que l’organisme peut subir lors d’une apnée en eau froide.

« L’envie de respirer est sans commune mesure avec ce qu’on connaît en piscine habituellement, déclare aussi Arthur Guérin-Boëri. À titre de comparaison, sur mon personal best en bassin sur la même discipline (221 m en dynamique sans palmes), j’ai envie de respirer vers 60-70 m, alors qu’en lac gelé, l’inconfort arrive dès 20 m. »

On n’est donc pas trop étonné, jeudi matin, si l’athlète se présente au petit-déjeuner sans grande énergie. « Je n’ai pas assez dormi », déclare l’armoire à glace de 6 pi 5 po. Amr Ayouni, responsable de la sécurité, a fait des cauchemars. Le stress de l’organisation lui joue un peu dans la tête. De son côté, Chloé Tedaldi cherche une ambulance pour le jour du record. Celle qu’elle avait réservée a été annulée pour cause de manque de personnel.

Un peu plus tard dans la journée, après la sieste et une assiette de pâtes au poulet, Arthur Guérin-Boëri nous confirme que ce record qu’il tentera dans quelques jours sera son dernier avant longtemps. Il est impératif qu’il retrouve bientôt la composante « plaisir » de son sport. Car au-delà des performances de calibre mondial — et même si cet article peut donner une toute autre impression de la pratique ! —, l’apnée peut être le plus zen des loisirs.

Lisez l’article « À la conquête des eaux glacées » pour en savoir plus sur Arthur Guérin-Boëri et l’apnée