Entretien avec l’ancien directeur de l’Académie de l’Impact de Montréal, aujourd’hui expatrié au Sénégal.

« Il est arrivé ce qui devait arriver, raconte Philippe Eullaffroy, de l’autre côté de l’écran. On s’est ensablés. Au milieu de la savane. On voyait le complexe, qui était à 500 mètres à vol d’oiseau. Et nous, on était comme deux idiots, ensablés avec la voiture. »

Eullaffroy est l’ancien directeur de l’Académie de l’Impact de Montréal. Il est aujourd’hui au Sénégal, où il est responsable technique du Dakar Sacré-Cœur.

L’anecdote qu’il raconte à La Presse, dans le cadre de cet entretien en visioconférence de 45 minutes, s’est produite au début du mois. Il est 16 h à Montréal, 21 h à Dakar. Dans son studio du centre-ville, Eullaffroy a les yeux fatigués après une autre longue journée consacrée au foot, mais il a le sourire jusqu’aux oreilles en se lançant dans son récit.

« J’étais avec un recruteur de Chicago. On s’en allait visiter les installations d’une très belle académie, Génération Foot. Elle appartient au FC Metz, en France. »

Le complexe est à 70, 80 kilomètres au sud-est de Dakar, dit-il. Avec la « circulation infernale » de la capitale sénégalaise, « tu mets environ 2 h 30 » pour t’y rendre.

Le directeur de l’académie l’avait averti : « Tu verras, à la fin, la route se transforme en une piste, ne sois pas surpris. »

« On suit le GPS, bêtes et disciplinés », rigole Eullaffroy.

Comme prévu, ils arrivent à ladite « piste ». La route rétrécit, puis rétrécit. Il n’y a finalement de la place que pour « la moitié d’une voiture ».

Le véhicule s’ensable. Pas moyen de joindre le directeur par téléphone. Les deux hommes partent chacun de leur côté pour tenter de trouver de l’aide. Eullaffroy tombe sur un petit groupe de Sénégalais « qui faisaient un peu de culture maraîchère ». « Ils ont de la salade, des trucs comme ça. »

« Asseyez-vous, on va manger ! », lui disent-ils.

« OK, super, leur répond notre homme. Mais pas longtemps parce que j’ai un problème avec ma voiture. »

Après avoir « grignoté un peu », les « six ou sept » Sénégalais acceptent sans hésiter de lui donner un coup de main.

Entre-temps, l’homme de Chicago avait lui aussi trouvé de l’aide. Avec leur « dizaine d’agriculteurs sénégalais », on règle le problème assez vite. Mais ensuite, « il ne fallait pas non plus retourner dans le sable ».

« Alors là, c’était fabuleux. Il y avait 10 amis sénégalais qui nous disaient 10 choses différentes. Avance pendant que l’autre dit recule. Va à gauche pendant que l’autre dit d’aller à droite. Je rentre dans un arbre, je rentre dans un autre truc. C’était folklorique ! »

La morale de cette histoire ?

Ils étaient « d’une gentillesse », s’émeut-il en pesant ses mots. « C’est un truc incroyable. »

PHOTO FOURNIE PAR PHILIPPE EULLAFFROY

Philippe Eullaffroy

« Condamnés à l’excellence »

Le Sénégal est la nation soccer la plus puissante d’Afrique en ce moment. Les Lions sont champions africains chez les séniors, chez les moins de 20 ans et chez les moins de 17 ans. Le pays « a une très, très belle réputation, et c’est justifié », dit Eullaffroy.

Notre interlocuteur s’y trouve depuis le mois d’août. Il a quitté son poste de directeur de la haute performance chez Soccer Québec à ce moment, lui qui œuvrait au sein de la fédération depuis un an.

Les partisans de l’Impact le connaissent surtout pour avoir été le directeur technique de l’Académie du club depuis sa fondation, en 2010. C’est lui qui a été derrière le développement de joueurs comme Mathieu Choinière, Jonathan Sirois et Nathan Saliba, pour ne nommer que quelques membres de l’équipe actuelle. La liste serait trop longue, sinon.

Il a été licencié en 2020, au début de la pandémie, alors que le club était en difficulté financière. Nous y reviendrons dans le deuxième texte de ce dossier.

Aujourd’hui, chez le Dakar Sacré-Cœur (DSC), Philippe Eullaffroy s’occupe de « mettre en place une identité de jeu qui était très peu affirmée par le club » jusque-là. Il s’agit « de mettre en valeur leur progression, leur travail, et la manière dont ils se comportent sur le terrain ».

C’est que le DSC a deux piliers dans son plan d’affaires. Le premier concerne le « soccer loisir », soit la location de terrain, l’événementiel. Le second, c’est la « vente » de joueurs. Et « pour vendre des joueurs, il faut les exposer », souligne Eullaffroy.

Le DSC est « très jeune ». « Près de 60 % de l’effectif a moins de 21 ans. »

Oui, cette stratégie s’apparente à celle du CF Montréal. Mais chez le Bleu-blanc-noir, on prétend quand même aspirer aux grands honneurs.

Chez le Sacré-Cœur, qui a un partenariat avec l’Olympique lyonnais, « la seule grosse pression, c’est le maintien » en première division. Sinon, sportivement, le but est « de bien performer, de jouer du beau soccer, et d’avoir des joueurs qui s’expriment bien ».

« Comme dirait Martin Matte, on est condamnés à l’excellence ! », lance le Québécois d’adoption.

On est obligés de bien jouer, parce que si on veut donner envie aux recruteurs de venir chercher nos joueurs, il faut qu’ils jouent bien et que l’équipe joue bien. Mon rôle, c’est de garantir ça.

Philippe Eullaffroy

Du reste, le club est très reconnu à l’international, dit-il, ayant reçu la visite de clubs de partout dans le monde – de Chicago, de Nashville, de Vienne, d’Ajaccio.

« Ça n’arrête pas de défiler. »

PHOTO FOURNIE PAR PHILIPPE EULLAFFROY

Philippe Eullaffroy (au centre)

Seul, au loin

Le caractère loufoque de l’anecdote racontée en entame ne laissait présager aucun doute : « Ma vie, actuellement, c’est une aventure », estime Eullaffroy.

« J’arrive dans un pays que je ne connais pas du tout, avec une culture que je ne connais pas du tout. Ça demande beaucoup de concentration au départ pour s’adapter à ce nouvel environnement, et s’enrichir en même temps. »

Il dit être entouré de gens « extraordinaires, qui représentent bien les Sénégalais de la teranga ». La teranga, c’est la notion de respect, d’hospitalité et d’accueil qui fait la notoriété du Sénégal. « Je confirme que [c’est mérité] », dit Eullaffroy.

Son seul regret, c’est qu’il est là-bas sans sa femme et son fils, restés à Montréal pour le travail et l’école.

« Quand je reviens à la maison, je suis tout seul. Donc je me remets au travail assez rapidement. Globalement, c’est six à sept jours de soccer par semaine. »

La distance qui le sépare de ses proches, c’est aussi l’essence de « la grosse question » qu’il se pose, maintenant. Il a un contrat d’un an avec le DSC, une entente qui prévoit deux années d’option. Bien qu’il trouve son projet « passionnant », il aura une discussion à ce sujet avec le propriétaire au printemps.

À l’échelle de l’Afrique, Dakar est une ville très intéressante. Maintenant, pour y vivre sans travail, ce n’est pas forcément l’idéal. C’est une décision que j’aurai à prendre en famille.

Philippe Eullaffroy

Pour l’instant, Philippe Eullaffroy se plaît bien dans sa nouvelle vie sénégalaise, même s’il ne peut la partager avec sa famille. Avec la « liberté » qu’il a sur le plan professionnel, il découvre la ville au fil de ses activités avec le club.

Et au volant de sa « petite voiture », qui a « survécu » à son aventure dans le banc de sable.

« Je pense qu’elle a survécu plus facilement à ça qu’à la circulation du centre-ville de Dakar ! »

Lisez « Philippe Eullaffroy : Pas d’“amertume” envers le CF Montréal »