Samuel Piette est serein. À travers les changements d’entraîneurs, de personnel, de coéquipiers, il est là, fidèle au poste, dans la formation partante, année après année depuis 2017.

Ce n’est pas pour rien qu’il vient d’établir de nouvelles marques témoignant de sa stabilité avec le CF Montréal. Son départ contre le Crew de Columbus, la semaine dernière, a été son 150e avec le CFM en MLS – il en a maintenant 151.

Dans le dernier mois, il a aussi atteint les 13 000 minutes dans le circuit Garber. Il s’agit là de deux records pour un joueur de champ – c’est-à-dire en excluant les gardiens – depuis la montée du CFM dans la première division nord-américaine.

« Oui, je pourrais dire le cliché de la fierté », propose-t-il lorsqu’on l’interroge là-dessus au cours d’une rencontre de près d’une heure avec La Presse au Centre Nutrilait, mardi dernier. Un entretien au cours duquel il a parlé avec la verve et l’honnêteté qu’on lui connaît. Une entrevue qui aurait bien pu s’éterniser encore plus si on n’était pas arrivé au bout, enfin, de nos nombreuses questions.

« Mais ça représente pas mal de trucs, continue-t-il du même souffle. Ça représente la qualité du joueur que je suis. Ça représente la constance. […] Ça veut dire qu’à chaque match ou presque, je livre la marchandise de ce qu’on me demande pour me faire confiance en vue du match suivant. »

PHOTO GEORGE WALKER IV, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Samuel Piette (à droite) en action à Nashville, samedi

Piette parle aussi d’« ouverture d’esprit ». Parce que la vérité, c’est que bien que son statut soit bien connu des partisans et des instances du club, chaque nouvel entraîneur qui arrive – et Dieu sait qu’il y en a eu – soumet ses propres idées, et pourrait très bien l’écarter de ses plans. Patrice Bernier, qui a ainsi subi le règne de Frank Klopas, pourrait nous en parler longtemps.

« C’est un peu toujours la crainte lorsqu’il y a un nouvel entraîneur, concède-t-il. Je suis peut-être important pour le club. Mais sur le terrain, si tu ne colles pas du tout avec son style de jeu, ou si je suis fermé d’esprit et que je dis : “bien moi, coach, ce n’est pas mon style de jeu, désolé, prends ton autre gars après”, là, je ne verrai pas le terrain. Donc pas de matchs. Pas de départs. Pas de records. Ça va avec cette discipline et cette ouverture d’esprit. »

Il se rappelle l’année pandémique « super difficile » sous Thierry Henry. Le Français l’avait fait jouer plus haut, même en tant que latéral droit, se souvient-il. Pas reconnu comme un joueur offensif, il a quand même essayé « d’être propre, de balancer des trucs ». Il se plaît à exécuter des éléments de jeu qui sont parfois « invisibles » pour l’observateur moyen.

« Mais ça, je pense que les entraîneurs le voient. »

Un travailleur de l’ombre, donc, de son propre aveu. Comme son paternel.

Mon père fait ça comme travail. Mon père, c’est un journalier chez Bitumar, dans les raffineries.

Samuel Piette

De la salle de classe de l’Académie dans laquelle il est assis, Piette pointe le doigt vers l’est de Montréal.

« Journalier, dans le sens que c’est un homme à tout faire. Je me vois un peu comme ça dans l’équipe, avec certaines restrictions. On ne me demandera pas d’aller marquer deux buts. Mais je peux dépanner là, sortir de derrière.

« Avec l’âge que j’ai, l’expérience, moi, la tape dans le dos, je n’en ai pas besoin. Si mes boss, Laurent Courtois, son staff, Olivier Renard et tout ça sont contents, moi, c’est la seule chose que je peux contrôler. Ça semble revenir à chaque entraîneur. Ça veut dire que je fais quelque chose de quand même assez bien. »

« C’est du donnant donnant »

Ce n’était pas prévu lorsque l’Impact a fait l’acquisition de Samuel Piette, en 2017, après une Gold Cup réussie avec le Canada. Mais avec la retraite de Patrice Bernier et d’autres leaders de l’équipe cette année-là, il y a comme eu une transmission du témoin.

Après Bernier, Piette est devenu l’image, le porte-parole de l’équipe. Jusqu’à devenir le capitaine indétrônable du club aujourd’hui, prêt à dire le fond de sa pensée lorsque les choses ne tournent pas rond, ou la bouée de sauvetage de l’équipe des communications lorsque le plan A du jour fait défaut.

« Je ne pense pas que c’était voulu, dit-il. Le but du club était de m’amener parce qu’il avait besoin d’un milieu défensif. […] Eux ne me connaissaient pas non plus. J’aurais pu être un gars super gêné, qui est physique sur le terrain, mais qui ne parle pas beaucoup, pas à l’aise avec les médias. »

Oui, il a grandi dans ce rôle. Le Québécois se souvient d’une entrevue d’après-match à Philadelphie, au terme de sa première rencontre dans l’uniforme bleu-blanc-noir, en 2017. Il était tellement sur l’adrénaline qu’il s’est ensuite promis de mieux prendre son temps lorsqu’il serait appelé à s’exprimer.

« Je n’ai jamais eu de cours pour apprendre à parler aux médias. Mais c’est certain qu’avec le temps, tu apprends un peu. Tu gagnes la confiance des journalistes, comme eux la gagnent avec toi. C’est du donnant donnant. »

« Je n’ai pas de superpouvoir »

La discussion tend naturellement vers l’entrevue d’après-match qu’il a donnée à Atlanta, l’an dernier. L’auteur de ces lignes a assisté à la visioconférence après la déconfiture du CFM. Avec ses premières réponses, on avait senti que Piette voulait passer un message. On lui avait donc demandé de dire le fond de sa pensée. Ce qu’il avait fait, poliment, comme toujours, mais avec des mots durs, comme ceux-ci : « Atlanta a été à des années-lumière de nous, tactiquement. »

« C’est sûr que tu l’as dans le coin de la tête, de toujours plaire au club. Tu ne veux pas lui faire mal, tu es son porte-parole, tu es salarié, tu le représentes. Mais quand il y a des trucs à dire qui sont importants, pour faire réagir un peu, que le monde se regarde dans le miroir… c’était le but à Atlanta. »

Ça n’avait pas créé l’électrochoc désiré au chapitre des résultats, mais il avait au moins pu démontrer à ses collègues qu’il « avait leurs backs ». Il voulait aussi faire comprendre « au monde extérieur » qu’une performance ou le résultat d’un match peuvent aussi varier en fonction de circonstances hors du terrain.

Des fois, tu essaies de dire des trucs pour faire comprendre l’humain derrière le joueur, et c’est ce que j’essaie de faire.

Samuel Piette

Sans qu’on le relance, Piette se lance dans une anecdote récente.

« J’ai fait une visite d’école la semaine passée. La secrétaire disait : “Ah, vous êtes tellement gentil, tellement fin !” Mais je suis un humain comme les autres. Moi, quand je sacre mon camp d’ici, je m’en vais chercher mon gars à la garderie. Ma blonde me dit de passer la balayeuse. Je n’ai pas de superpouvoir. C’est ce que j’essaie de démontrer autant avec les entrevues qu’avec mon comportement. »

Lisez « Les décisions de Samuel Piette »