Quand on lui parle de son statut de légende du hockey, Patrice Bergeron s’agite sur sa chaise. On le sent gêné, presque mal à l’aise. « Quand tu le dis, je ne sais même pas si je me vois comme ça… C’est dur pour moi », lâche-t-il timidement.

Bergeron a toujours préféré parler de ses coéquipiers plutôt que de lui-même. Huit mois après son dernier match dans la Ligue nationale de hockey, les choses n’ont pas changé.

Arrive-t-il à prendre la mesure de l’ampleur de sa carrière ?

« Non, je ne pense pas, répond-il d’emblée. Je ne sais pas. Je ne le vois pas nécessairement comme ça. C’est difficile à décrire, la façon dont moi, je le vois. Moi, comment je le vois, c’est que j’ai tellement été chanceux. »

J’ai eu la chance de jouer avec tellement des bons joueurs, d’être dans de bonnes équipes. Je ne le vois tellement pas comme un travail individuel. Il y a eu ma famille aussi, qui m’a aidé beaucoup. Je vois plus ça comme un travail collectif dont je faisais partie.

Patrice Bergeron

« C’est peut-être le côté auquel j’ai plus de difficulté à répondre, le côté plus individualiste de la carrière. […] Tu m’en parles et, vu de l’extérieur, c’est gros, mais moi, je l’ai vécu au fur et à mesure. »

Quand on lui rappelle qu’il est devenu le visage d’une franchise américaine, une des « six originales » par ailleurs, il persiste : « Quand tu dis ça, je vois déjà d’autres joueurs là-dedans. Je ne vois pas juste moi. »

Ne vous méprenez pas : Bergeron « apprécie beaucoup » les compliments à son égard. « Je suis reconnaissant, mais je suis reconnaissant de l’ensemble de l’œuvre. Même sans les résultats, ou les trophées, je suis juste reconnaissant d’avoir pu réaliser un rêve. Et de l’avoir réalisé au complet. Je l’ai vécu de long en large. Je suis reconnaissant d’avoir pu y mettre un terme moi-même, à mes conditions. »

Vol d’oiseau

On se souviendra de son dernier contrat d’une durée d’un an et 5 millions (dont 2,5 millions en bonis de performance), un salaire considérablement en deçà de ce qu’un joueur de sa trempe aurait alors pu demander.

« Pour moi, c’était un honneur de commencer et terminer ma carrière avec la même organisation, relate-t-il à travers le bruit assourdissant des dizaines de personnes qui discutent dans le café. C’est une organisation qui m’a donné beaucoup. Il y a eu de la loyauté de chaque côté. Je ne me voyais pas [partir ailleurs]. […] Sur le plan de la négociation, ce n’était peut-être pas la meilleure situation pour Phil [Lecavalier, son agent], dit-il en souriant, mais je pense qu’il comprenait que c’était ça ou rien. »

La dernière saison régulière de carrière de Bergeron a été excellente pour les Bruins. Ils ont dominé le circuit avec 65 victoires et seulement 17 défaites. Les choses se sont cependant gâtées en séries, quand ils ont été éliminés au premier tour par l’équipe cendrillon, les Panthers de la Floride. Bergeron admet avoir ressenti une certaine amertume de cette conclusion.

J’ai fini la saison et ç’a été frustrant. J’étais comme : ça ne peut pas finir comme ça. C’était décevant.

Patrice Bergeron

Une fois la tristesse et la frustration de côté, il a été en mesure de faire un « vol d’oiseau » de toute sa carrière, de tout le chemin parcouru en 20 ans. « Je me disais : le hockey m’a tellement donné que je ne peux pas m’en aller en ne pensant qu’à un moment. »

Il a gagné l’or aux Jeux olympiques avec le Canada et, surtout, la Coupe Stanley avec les Bruins en 2011 – qui demeure son plus beau souvenir. « Si tu regardes le plan d’ensemble, c’est quand même cool de l’avoir vécu. Ça fait moins mal. »

PHOTO JONATHAN HAYWARD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La victoire des Bruins en 2011 demeure le plus beau souvenir de Patrice Bergeron.

« On est bien »

Patrice Bergeron aura passé la totalité de sa carrière à Boston, à quelques heures de route de L’Ancienne-Lorette, sa ville natale. Au fil des années, sa relation avec la ville « a grandi ». « [Après tout], quand tu fais vraiment l’examen, j’ai passé plus de la moitié de mon temps à Boston maintenant », note-t-il. Un sentiment d’appartenance s’est créé, d’autant plus que ses enfants y sont tous nés.

À la retraite de Patrice, la famille a débattu : rester à Boston ou retourner au Québec ? « Pour l’instant, on prend ça comme ça vient », explique-t-il.

« C’est sûr qu’il y a la demande du doctorat de ma conjointe. Si ça se concrétise, évidemment, on va être ici pour encore quatre ou cinq ans. Mais la porte n’est pas fermée du tout encore au fait de revenir. »

Le petit troupeau est venu au Québec à trois reprises dans les cinq derniers mois. Et les parents tiennent à ce que leurs enfants connaissent grands-parents, tantes, oncles, cousins et cousines. « Quand j’ai pris ma retraite, les enfants étaient déjà inscrits à l’école ici. On s’est dit : on va vivre l’année ici et on va voir comment ça se passe. […] Mais on aime vraiment ça [à Boston]. On est bien. »

Pas de plan

Patrice Bergeron n’a encore assisté qu’à un seul match des Bruins cette saison, vu l’heure des matchs et le fait qu’il a un poupon à la maison, mais il prévoit y aller prochainement. « Mon plus vieux, ça fait plusieurs fois qu’il me le dit. Il faudrait que j’y aille, là », lâche-t-il.

Il passe néanmoins souvent à l’aréna d’entraînement pour saluer ses anciens coéquipiers, et il garde un contact plus étroit avec ceux qu’il connaît depuis longtemps. Brad Marchand, entre autres.

En matière de projets, les plans de Bergeron sont les mêmes qu’il y a quelques mois, c’est-à-dire… « pas de plan ». « Je ne veux pas non plus m’engager dans quelque chose de vraiment prenant qui va un peu défaire le but d’avoir pris cette décision-là sur le plan familial. Je vais voir dans les prochaines années. »

Un rôle chez les Bruins, peut-être ?

« Avec l’organisation, c’est sûr que la porte est ouverte. Je suis intéressé. La question, c’est plus : est-ce que c’est l’année prochaine ou dans… ? C’est ça que je ne sais pas. Il y a plein de choses à regarder. C’est une organisation qui est importante pour moi. J’ai joué à une place seulement. Il y a eu de la loyauté de chaque côté, du respect mutuel. »

De rester là, donc, « ça irait de soi un petit peu ».

En rafale

Le coéquipier dont tu as été le plus proche. « Sûrement Brad [Marchand]. C’est sûr que de gagner ensemble, ç’a déjà créé un gros lien. À la Coupe du monde de 2016, on s’est beaucoup rapprochés parce que nos familles étaient là. On était toujours ensemble. »

L’adversaire que tu as le plus détesté affronter. « Oh my god. Les plus beaux défis, c’étaient toujours les meilleurs. Crosby, ce serait mon plus gros défi. Mais pas à haïr. C’était le contraire. Je jouais à mon meilleur. Tu te lèves et tu sais que ça va être une grosse game. C’était la même chose contre Montréal. »

Justement, quel est l’adversaire qui a été le plus gros défi chez le Canadien ? « Webs [Shea Weber], ce n’était jamais le fun de jouer contre lui. C’était dur. Mais encore une fois, il y avait beaucoup de respect. Je ne le haïssais pas. C’était : je vais souffrir ce soir, il va me frapper chaque fois qu’il va pouvoir, il va me crosschecker, tu le sais que ça s’en vient. »