Avec le départ de Jake Allen, Cayden Primeau est officiellement devenu gardien numéro 2 dans la LNH, un pas de plus dans une carrière qu’il souhaite longue et fructueuse. Qui est donc l’homme derrière le masque, que l’on verra de plus en plus dorénavant ? La Presse l’a rencontré.

(Edmonton, Alberta) Il y a deux Cayden Primeau. Il y a celui devant les caméras, manifestement intimidé par les nombreux micros, qui s’en tient à des réponses courtes, souvent convenues. Les trois quarts de la saison passés à parler du ménage à trois devant le filet n’ont évidemment rien fait pour casser cette version de lui.

Ça donne rarement de la très bonne copie, sauf son fameux « Ça ne fait que commencer » lancé à Marc Denis sur la patinoire du Centre Bell, après son jeu blanc contre Columbus la semaine dernière.

PHOTO DAVID KIROUAC, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Cayden Primeau salue la foule du Centre Bell, le 12 mars, après avoir blanchi les Blue Jackets de Columbus, son premier jeu blanc en carrière dans la LNH.

Et il y a celui pas mal plus détendu que l’on peut attraper à l’écart, dans le vestiaire, et qui baisse la garde. C’est celui qui va parfois saluer en français les francophones qu’il croise. « Passe un bon après-midi », avait-il lancé à l’auteur de ces lignes, un midi plus tôt cette saison. Son classique : le « merci beaucoup » saccadé, prononcé avec un fort accent québécois, comme le ferait votre cousin Kaven à Lachute.

« Il est toujours comme ça. Il demande souvent comment on dit telle ou telle chose », confirme Chantal Machabée. En parlant de Primeau, bien sûr. Pas de Kaven.

Notre homme est arrivé au Québec outillé. « J’ai suivi des cours de français pendant quatre ans au secondaire, au New Jersey. On l’apprenait en lisant des histoires, donc je me débrouille assez bien en lecture, je comprends assez de mots pour saisir le contexte. Mais je ne le parle pas et j’ai du mal à comprendre, car les gens parlent vite ! Mais depuis deux ans à Laval et même ici, il y a beaucoup de francophones, donc tu entends des choses ici et là. Et je suis curieux, je pose des questions. »

Il affirme d’ailleurs qu’il entend suivre des cours de français en ligne, pendant l’été.

Vous aurez compris, à ce point-ci, que c’est la version affable de Primeau qui nous attendait à son casier, après un entraînement plus tôt cette semaine, le visage encore rougi après un effort louable.

Ce jour-là, il avait conclu l’entraînement en s’offrant en chair à canon à Nick Suzuki, Cole Caufield, Juraj Slafkovsky et Mike Matheson, qui souhaitaient s’exercer à tirer sur réception. Ces exercices se font souvent dans un filet désert, mais « Éric [Raymond, l’entraîneur des gardiens] m’a dit d’aller devant le filet ».

« Suzy a peut-être le tir le mieux maîtrisé, analyse-t-il. Cole a le tir le plus puissant, celui de Slaf l’est aussi, mais ça partait dans toutes les directions. Gardien, c’est parfois ingrat ! »

S’il y en a un qui est bien placé pour parler du côté ingrat de son métier, c’est Primeau. Élevé dans l’orbite des Flyers, repêché par le Canadien, il a connu de près les deux marchés qui ont les relations les plus tordues avec les hommes masqués.

Il nomme d’ailleurs plusieurs gardiens de ces deux équipes lorsqu’on lui demande d’énumérer ceux qui l’inspiraient, plus jeune. « Carey, Pekka Rinne, Martin Biron, Sergei Bobrovsky… Jonathan Quick, aussi. J’en regardais beaucoup. J’essayais de prendre des éléments de chacun. »

De Price, il dit admirer le « calme ». Pas une surprise ici ; c’était peut-être la qualité première du numéro 31.

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Cayden Primeau

Biron et Bobrovsky ont quant à eux porté le chandail des Flyers, même s’ils ont été plus marquants ailleurs. Mais dans son jeune temps, Primeau a été témoin de tous ces gardiens qui ont fini bouffés tout rond par un marché impitoyable. Depuis la fin tragique de Pelle Lindbergh, en fait.

« Les gens disent qu’il y a une malédiction des gardiens à Philadelphie, rappelle-t-il. [Ilya] Bryzgalov a été critiqué, même Bobrovsky l’a été. Steve Mason jouait très bien à Columbus. À Philadelphie, je le trouvais encore bon, mais plusieurs n’étaient pas d’accord avec moi ! Donc il a été critiqué. Je voyais ça et je me sentais mal pour eux. »

Sachant cela, il y a donc lieu de croire que le jeune homme est bien équipé pour composer avec le mélodrame qui vient avec le poste de gardien à Montréal.

Rien ne peut pleinement te préparer à gérer le bruit extérieur.

Cayden Primeau

« Ce qui m’aide le plus, c’est que mon père [Keith] a joué pro, même si c’était comme attaquant, estime Primeau. Ça m’a permis de baigner dans l’entourage du hockey à un jeune âge, d’être exposé à cet environnement tôt dans ma vie. Quand tu as vécu dans cet environnement, tu comprends un peu plus ce qu’il en est. »

Primeau s’en tire plutôt bien jusqu’ici face au marché montréalais, mais il faut préciser qu’il a droit à une version édulcorée. Le calibrage des attentes en temps de reconstruction permet aux gardiens et à Martin St-Louis de bénéficier d’une clémence qui rendrait jaloux leurs prédécesseurs.

À 24 ans, Primeau débarque dans la LNH à temps plein à un âge tout à fait normal. La présente saison a permis à d’autres gardiens nés en 1999 de s’établir comme permanents dans le circuit : Samuel Ersson à Philadelphie, Pyotr Kochetkov en Caroline, Ukko-Pekka Luukkonen à Buffalo, Arvid Soderblom à Chicago.

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Cayden Primeau lors d’un match contre les Golden Knights de Vegas, au Centre Bell, le 16 novembre 2023

Sauf que Primeau joue maintenant chez les professionnels depuis cinq ans, presque jour pour jour. Et ses premiers pas laissaient croire qu’il allait devancer l’échéancier, particulièrement pour un gardien repêché tardivement (199e au total) en 2017. Pour rappel :

2017-2018 : gardien de l’année dans la division Hockey East de la NCAA ;

2018-2019 : gagnant du prix Mike Richter, remis au meilleur gardien de la NCAA ;

2019-2020 : élu au sein de l’équipe d’étoiles des recrues de la Ligue américaine.

Primeau assure toutefois qu’il n’a pas laissé ces récompenses lui monter à la tête. « Au collège, le coach Madigan [Jim Madigan, entraîneur-chef de Northeastern à l’époque] disait que les honneurs individuels étaient le reflet du jeu de l’équipe. Je n’aurais pas pu réussir ça sans mes coéquipiers. »

Ce qui m’a le plus aidé, c’est de ne pas penser à accélérer le processus, de ne pas regarder trop loin, de ne pas vouloir être quelque part juste parce que c’est cool d’y être, sans nécessairement être prêt.

Cayden Primeau

Primeau rappelle aussi que la pandémie l’a freiné dans son élan. « Les gyms étaient fermés et j’arrivais à un point où je devais devenir plus fort. Les options étaient limitées. L’année suivante, le calendrier était différent, on a commencé plus tard, le Canadien s’est rendu en finale, donc cet été-là a aussi été court en termes d’entraînement. Ce ne sont pas des excuses et je ne veux pas que ça sorte comme ça ! Mais ce sont des éléments qui étaient indépendants de ma volonté. »

Primeau n’entend pas s’arrêter en si bon chemin. « Toute l’année, j’ai voulu faire mes preuves et je vais continuer à le faire. Rien ne change. Le but est de devenir partant dans la LNH. Ça ne sera pas parfait, ça ne sera pas toujours beau, mais je vais tout donner. »