L’autobus des Marquis de Jonquière arrive devant le vieux Colisée de Laval à l’heure prévue, deux heures avant le match. Dans le stationnement, des dizaines de partisans sont déjà là, cannette de bière à la main, dans l’attente du grand retour : celui de Donald Brashear.

Il arrive avec les autres et il débarque du bus en traînant son équipement jusqu’au vestiaire, tout en prenant bien soin de baisser la tête pour éviter les poutres trop basses. Pour un joueur qui a déjà connu les grandes ligues, ce petit vendredi soir à Laval sera autrement plus modeste : il n’y a pas de sauna ni de spa dans ce vestiaire d’une autre époque, et l’état des douches ne donne pas le goût de prendre une douche.

Le Colisée affiche presque complet, et il y a une ambiance des grands soirs dans la place ; une vague odeur de calmars frits enveloppe l’entrée, et les petits shooters vendus derrière les comptoirs sont très populaires, signe indéniable qu’il pourrait se passer quelque chose.

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Donald Brashear à son arrivée au Colisée de Laval

Mais Donald Brashear est juste venu pour jouer au hockey.

Il y a de bons joueurs dans la ligue maintenant. Il y a des gars qui ont du talent. J’ai joué ici l’année du lock-out dans la LNH il y a 20 ans, c’était bien pire que ça. C’est sûr que des fois, dans les gradins, c’est pas chic, le langage est ordinaire. Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

Donald Brashear

Ce retour, il a choisi de le faire dans cette ligue, la Ligue nord-américaine de hockey. En 2004, le temps de garder la forme, Brashear avait disputé 47 matchs dans ce circuit, récoltant 260 minutes de punition au passage.

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Donald Brashear (à droite) dans la Ligue nord-américaine de hockey en 2004

Mais ça, c’était avant, et le Brashear de maintenant n’est plus le Brashear de jadis, dit-il avec insistance.

« Quand les Marquis m’ont appelé l’été dernier, ç’a été ma première question : est-ce que vous m’appelez pour que j’aille me battre ? Je leur ai dit de laisser faire si c’était ça. J’irai pas là pour me battre, j’ai fait ça toute ma vie. »

Depuis le début de la présente saison, il a engagé le combat à seulement deux reprises. « Quand ça arrive, c’est parce que c’est moi qui décide. Dans le feu de l’action, des fois, le naturel revient assez vite… »

Donald Brashear n’est pas le premier joueur à tenter un retour au jeu. Mais son retour à lui est quand même un peu différent.

Son histoire, à peu près tout le monde la connaît. Pour commencer, il y a eu un début de carrière plutôt mémorable avec le Canadien, en partie grâce à une altercation avec l’entraîneur Mario Tremblay lors d’un entraînement en 1996. Ensuite, il y a eu un passage chez les Canucks à Vancouver, puis une forme de consécration chez les Flyers à Philadelphie, là où son style de jeu a fait de lui un favori de la foule. Il a conclu sa carrière dans la LNH après des arrêts chez les Capitals de Washington et les Rangers de New York, avec un total de 1025 matchs disputés, et 2634 minutes de punition. À ce jour, il est au 15e rang des joueurs les plus punis de l’histoire de la ligue.

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Mario Tremblay et Donald Brashear avec le Canadien, en 1996

Mais tout ça ne l’intéresse plus. À 52 ans, il affirme ne plus avoir le goût des tapes sur la gueule.

Avant de dire oui aux Marquis, il y a d’autres équipes de la ligue qui m’ont appelé, mais c’était toujours la même affaire : on aimerait ça que tu te pognes… Mais je ne suis plus là-dedans. Dans la LNH, j’étais payé pour faire ça, et même dans ce temps-là, j’aimais pas ça.

Donald Brashear

« Avec le temps, frapper un gars et ensuite voir la tête aller d’un bord pis de l’autre, voir le sang, ça devient moins drôle. Dans la LNH, à un moment donné, tu entres dans le moule, parce que c’est ça qu’on te demande de faire. Mais pour moi, jouer au hockey, c’était pas ça. Quand j’étais jeune, jouer au hockey, c’était marquer des buts, faire des passes, jouer de manière physique, oui, mais jamais pour se battre. Une bataille, ça vaut pas un but ou une passe, ça met pas des points au tableau. »

La discussion tourne sur le sujet des disparus, ceux qui ont fait le même travail que lui et qui ont dû en payer le prix : les Derek Boogaard, Bob Probert et autres Rick Rypien… Brashear ne peut chiffrer le nombre de commotions cérébrales qu’il a pu subir, mais il se dit chanceux, affirmant que toutes ces bagarres en 16 ans de vie dans la LNH ne l’ont pas affligé de séquelles importantes.

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Donald Brashear (à gauche) lors d’un combat contre Colton Orr en 2009

« Je joue encore, alors on peut dire que j’ai été épargné… Dans le temps, on n’était pas trop au courant des dangers. Les gars comme moi, on vivait avec cette pression-là, la pression de toujours devoir lutter pour un poste la saison suivante. La plupart des gars signaient des contrats à court terme, alors c’était assez stressant. »

En plus du retour au hockey, Donald Brashear veut un retour à une vie plus normale. Quand il a fait parler de lui au cours des dernières années, souvent, ce n’était pas pour les bonnes raisons. Ses ennuis, autant sur le plan juridique que sur le plan financier, sont bien documentés.

Selon le site spécialisé CapFriendly, il aurait accumulé des gains de quelque 17 millions de dollars lors de sa carrière dans la LNH. Mais alors, que fait-il ici, dans cet aréna vétuste et dans cet autobus ?

Bob Desjardins, entraîneur et directeur général des Marquis, croit avoir la réponse. « Il est ici parce qu’il veut être ici, lance-t-il. En moyenne, les gars font 500 $ par semaine. J’ai des avocats dans le club, un actuaire, des plombiers, des profs d’école, des gars aux études. On a Alex Picard, qui a été le huitième choix l’année du repêchage d’Ovechkin (2004). Les gars sont là parce qu’ils veulent jouer au hockey et Donald, à 52 ans, il a pas l’air fou. Il connaît la game. »

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Bob Desjardins, entraîneur et directeur général des Marquis de Jonquière

Brashear, lui, affirme qu’il n’aime pas parler d’argent, mais il affirme aussi qu’il n’est pas ici pour ça.

« Je participe à des évènements à Philadelphie, J’ai ma pension d’ancien avec la LNH, et je travaille 10 heures par semaine dans une école de hockey à Québec… Si j’étais mal pris financièrement, je travaillerais pas mal plus que ça. Tout le monde me pose cette question-là et la réponse, c’est que j’aime jouer au hockey. J’aime la compétition. C’est pour ça que je joue encore. Je parle jamais de mes états financiers parce que c’est pas ça qui est important dans la vie. L’important, c’est d’être bien. »

Au moment de la première mise en jeu, le Colisée se met à chauffer. Il ne reste plus un seul banc vide, et les retardataires doivent aller se masser debout, tout en haut, le long des rampes en métal.

En tout, 3029 spectateurs sont ici en ce vendredi soir, la plus grosse foule de la saison pour un match des Pétroliers à Laval. La saison passée, le club attirait à peine 1000 spectateurs par partie en moyenne.

Bob Desjardins n’est pas surpris.

C’est pas mal de même partout où on passe… Quand j’ai appelé Donald l’été dernier pour qu’il se joigne à nous, il y a du monde dans la ligue qui me demandait où je m’en allais avec ça. Là, chaque fois qu’on joue sur la route, il y a des gens qui m’appellent pour savoir si Donald va être là.

Bob Desjardins

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Donald Brashear

Et il va être là pendant combien de temps, au juste ? La question provoque un petit silence, parce que le principal intéressé n’est pas sûr de la réponse. « Tant que je vais être capable… si c’était pas le fun, je serais pas ici. »

En fin de soirée, vers 23 h, l’autobus des Marquis quitte le stationnement de l’aréna. Selon les prévisions les plus optimistes, il sera autour de 4 h 30 au moment du retour à la maison.

Il faut aimer ça, et Donald Brashear répète qu’il aime ça, tout en sachant qu’un jour, « la fin va finir par arriver ». Mais en attendant cette fin, il y aura d’autres moments comme celui-ci où, le temps d’un soir, il sera celui qu’il a toujours voulu être.