On peut imaginer la délicate position dans laquelle travaillait le DDavid Mulder depuis des années.

D’un côté, en tant que médecin, il sait trop bien quels sont les dangers des coups à la tête. De l’autre, il a travaillé pendant 60 ans pour un club, le Canadien, qui est membre d’une ligue qui refuse de sanctionner sévèrement les bagarres, et qui nie tout lien entre le hockey et l’encéphalopathie traumatique chronique, maladie découverte chez de nombreux anciens joueurs ayant légué leur cerveau à la science.

On célébrait jeudi le DMulder, ancien médecin en chef du Canadien, pour ses 60 ans de service auprès de l’équipe. Le praticien a, sans mauvais jeu de mots, laissé tomber les gants.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Serge Savard, Stéphanie Riddell, PDG de la Fondation de l’Hôpital général de Montréal, le Dr David Mulder et Guy Carbonneau

« Si je compare à 1963, la LNH a fait de grands progrès en matière d’équipement, a noté le DMulder, en point de presse. Les casques sont meilleurs et la ligue est au fait des commotions. On a progressé de ce point de vue. Les tests sont bien meilleurs. […] La ligue a compris qu’il faut traiter les commotions de façon plus sérieuse. Entre médecins, le mot d’ordre, c’est “dans le doute, retirez le joueur du match” [if in doubt, sit them out]. »

On va dans la bonne direction, mais on n’est pas arrivé à destination. J’aimerais que les bagarres soient éliminées. Savez-vous quel est le but d’une bagarre ? C’est de produire une blessure au cerveau, une commotion. J’ai regardé du hockey olympique, il n’y a pas de bagarres. J’aimerais que les bagarres soient abolies, mais ce n’est pas une opinion populaire.

Le DDavid Mulder

La LHJMQ a agi en ce sens le printemps dernier en sanctionnant plus sévèrement les combats à poings nus. Cette décision a suscité une levée de boucliers, un profond scepticisme affiché dans bien des milieux du hockey. La Presse en avait pris la mesure auprès d’espoirs du repêchage en juin dernier.

Dans notre minime échantillon de jeudi, les opinions étaient toutefois partagées. D’un côté, Mike Keane, qui œuvre désormais au développement des joueurs chez les Jets de Winnipeg, dit croire que les bagarres « ont encore leur place, mais [que] si on les élimine, comme cela a été fait au Québec, il n’y a rien de mal à ça ». « Les joueurs vont s’adapter, a ajouté l’ancien capitaine du CH. Le DMulder voit des choses tous les jours, il a des connaissances pour appuyer son point de vue. »

De l’autre côté, Serge Savard, opposant de longue date des bagarres, a rappelé le « mur » infranchissable qui a toujours existé : « les propriétaires d’équipes qui avaient une peur noire que les assistances diminuent si on enlevait ça ». « C’est quelque chose qui peut se régler en 5 minutes et ça fait 60 ans que ce n’est pas réglé », a déploré l’ex-DG du CH.

Guy Carbonneau est allé dans le même sens. « Personnellement, je ferais comme en Europe. Tu ne peux pas les enrayer, tu ne peux pas les empêcher. Mais si tu te bats, tu es dehors, et quand ça en fait une couple, tu es suspendu. Je ne dirais pas que l’intimidation a disparu, ça fait encore partie du jeu, mais je ne vois plus la nécessité [des bagarres] maintenant. »

Une mort évitable ?

L’accident tragique qu’a subi Adam Johnson il y a deux semaines en Angleterre a aussi fait partie des sujets abordés par le DMulder pendant son fascinant point de presse d’une quinzaine de minutes.

Pendant les années de service du médecin, deux évènements de coupure à la gorge ont été marquants : celui du gardien Clint Malarchuk en 1989, et celui de Richard Zednik, alors avec les Panthers, en 2008. Les deux ont non seulement survécu, ils ont continué à jouer. Malarchuk reprenait même l’entraînement quatre jours plus tard.

La mort de Johnson aurait-elle pu être évitée dans la LNH ?

« C’est une bonne question que tous les médecins de la LNH se sont posée, a reconnu d’emblée le DMulder. Mais ce n’était pas une coupure comme celles de Malarchuk ou de Zednik. C’était un coup de pied avec le talon de la lame et ça a tranché son artère principale. »

Le problème, c’est que personne n’était là pour exercer de la pression sur la plaie. À Buffalo, pour Zednik, le Dr [Les] Bisson était là, il l’a étendu sur la glace et a immédiatement exercé de la pression sur la plaie. La pression sur la plaie est la clé. On a maintenu cette pression jusqu’à l’hôpital, et en salle d’opération, on a pu contrôler le saignement.

Le DDavid Mulder

Le problème, selon le DMulder, est qu’il n’y avait « pas de soigneur, pas de médecin. Il s’est littéralement vidé de son sang sur la glace et était peut-être mort avant même d’arriver à l’hôpital. Dans la LNH, on a une équipe médicale complète et un chirurgien traumatologue présents à chaque match. Quand Trent McCleary s’est effondré, on était dans la salle d’opération de l’Hôpital général de Montréal en 17 minutes. Mais pour Johnson, je ne sais pas s’il aurait pu être sauvé, car c’était une blessure très sérieuse [a savage injury] ».

L’évocation de la blessure de McCleary, atteint à la gorge par une rondelle, n’est évidemment pas fortuite. Il s’agit possiblement de la plus grande urgence dont le médecin ait été témoin pendant un match, et elle a été à l’origine de changements.

« À l’époque, les médecins étaient assis dans les gradins. Pierre Boivin [l’ancien président de l’équipe], après coup, a dit que les médecins devraient être directement derrière le banc, à 25 pieds de la clinique. Cette règle est maintenant appliquée partout dans la LNH. »

La mort de Johnson pourrait elle aussi entraîner des changements, principalement quant au port du protège-cou. Brendan Gallagher et Michael Pezzetta l’ont d’ailleurs testé à l’entraînement du Canadien mercredi.

« Pour que ça change, l’équipement doit être obligatoire à tous les niveaux, estime le DMulder. Le hockey est un sport amusant, ça ne devrait pas être associé à la mort. »

En bref

Pourquoi Price ne joue plus

Le DMulder a cité le retour au jeu de Saku Koivu, en 2002, comme le plus beau moment de sa carrière. Le pire ? La défaite du 29 avril 1994, au septième match d’une série de premier tour contre les Bruins, après l’appendicectomie de Patrick Roy. Les blessures à un genou de Carey Price font également partie des moins bons moments de sa carrière. « C’était très frustrant pour nous et ce l’était doublement pour lui. Il avait une blessure au ménisque. Le D[Robert] Marx l’a opéré à New York. Et pendant l’opération, il a noté que le fémur avait perdu tout son cartilage, un morceau de la taille d’une pièce de 50 cents. Ça, c’était une surprise, et c’est ce qui a mis fin à sa carrière. »

Un bilan qui « dérangeait »

Les dernières années du DMulder ont été marquées par un bilan peu enviable du Canadien, qui a conclu les saisons 2021-2022 et 2022-2023 au premier rang de la LNH pour les matchs ratés sur blessures (ou au dernier, c’est selon). Ce bilan a d’ailleurs mené à de nombreux changements dans l’équipe médicale du Tricolore cet été. « Ça dérangeait tout le monde, a convenu le DMulder. Il faut toujours regarder les causes. C’était généralement de vraies blessures. Tu ne peux pas prévenir une fracture sur un tir bloqué ou une épaule disloquée. Ce qu’on s’est demandé, c’est si on avait permis aux joueurs de revenir aussi vite que toute autre équipe. Et on pense que oui. »