On pourra dire que le chiffre 13 aura été un porte-bonheur pour Pierre Turgeon en 2023. Lundi prochain, 13 novembre, il sera enfin intronisé au Temple de la renommée du hockey après une attente qui aura duré 13 ans. Une attente que Turgeon semble avoir vécu sereinement, mais qui a intrigué certains de ses compatriotes qui l’ont vu grandir à Rouyn, en Abitibi, devenir le hockeyeur qu’il a été pendant 19 saisons dans la LNH, et aussi la personne qu’il a, en fait, toujours été.

« D’abord, c’est un grand honneur pour nous, les gens impliqués dans l’organisation des Citadelles de Rouyn. Il est le premier joueur (de notre organisation) qui va être élu au Temple de la renommée », a témoigné Laurent Laflamme, un pionnier du hockey à Rouyn et en Abitibi, lors d’une récente entrevue avec La Presse Canadienne.

« Maintenant, il est le cinquième joueur de la région (de l’Abitibi-Témiscamingue) à être intronisé au Temple de la renommée. C’est quelque chose de très, très mérité, a affirmé Laflamme. Pierre, c’était un joueur talentueux, un gars d’équipe, un gros travaillant. C’est un gars qui aimait tellement jouer au hockey. C’était sa vie, le hockey. »

Laflamme était président de cette équipe de l’ancienne Ligue de hockey juvénile du Nord-Ouest lorsque Turgeon a obtenu une permission spéciale pour y jouer à l’âge de 14 ans, avec et contre des joueurs qui étaient âgés entre 16 et 18 ans, en 1983. Dans l’esprit de Laflamme, Turgeon y avait sa place.

« C’était son talent. Il était supérieur à tout le monde. Il mesurait environ six pieds et pesait 170 livres. Il était un excellent patineur, avec un très bon lancer. Il avait le sens du hockey. Un joueur de centre, talentueux. Il était un exceptionnel. Pas pour rien qu’il a été le tout premier choix dans la Ligue nationale de hockey (en 1987) », a-t-il décrit.

Pour pouvoir se joindre à ce groupe sélect et restreint d’Abitibiens au Temple de la renommée du hockey, qui inclut aujourd’hui Serge Savard (1986), Dave Keon (1986), Jacques Laperrière (1987) et Rogatien Vachon (2016), Turgeon attendait depuis 2010.

Pourtant, Turgeon a affiché des statistiques dans la LNH qui ne sèment aucun doute sur sa légitimité à devenir un immortel du hockey. En 1294 matchs entre 1987 et 2007, il a marqué 515 buts et amassé 1327 points, ce qui le place au 34e rang dans l’histoire de la ligue.

Or, ce ne sont pas tous les attaquants membres du Temple de la renommée du hockey qui ont inscrit au moins un point par match en carrière.

Turgeon a aussi connu cinq campagnes avec au moins 94 points, dont deux de plus 100 points. La saison 1992-93 a été celle où il a été le plus prolifique avec 58 buts et 132 points, avec les Islanders de New York. Cette même saison, il avait reçu le trophée Lady-Byng remis au joueur le plus gentilhomme dans la LNH.

Il n’a cependant jamais gagné la Coupe Stanley, à l’instar d’autres légendes comme Marcel Dionne, Gilbert Perreault, Jean Ratelle et Brad Park, qui sont des immortels du hockey depuis de nombreuses années déjà.

« Il n’y a pas beaucoup de joueurs, même au Temple de la renommée, qui ont des statistiques comme Pierre », a noté Laflamme. « Je me suis demandé pourquoi ç’avait été si long. Ç’a pris du temps, mais là, au moins, il va être admis. On va regarder vers le futur. »

« Avec toutes ses statistiques, on se disait un moment donné, quelqu’un va penser à lui. C’est arrivé et je suis bien content », a renchéri André Racicot, le père du gardien du même nom qui a joué avec le Canadien, et qui était l’entraîneur-chef des Citadelles lors du passage de Turgeon, qui n’a duré qu’une seule saison, avec l’équipe de sa ville natale.

« À 14 ans, Pierre dominait la ligue. On savait qu’un jour ou l’autre, s’il n’était pas blessé, il allait probablement jouer dans la Ligue nationale. C’est ce qui s’est produit. Et Pierre, c’est un gentleman », a-t-il ajouté.

« Une récompense qui va sur le dessus de tout »

Malgré cette belle et longue carrière, Turgeon a dû patienter toutes ces années avant de mériter ce que plusieurs hockeyeurs qualifient d’honneur suprême. Or, ça ne faisait pas partie de ses sujets de discussion, a affirmé l’un de ses grands amis d’enfance.

« En dedans de lui, peut-être qu’il l’espérait, probablement, mais il ne m’en parlait pas. On se confie beaucoup de choses, lui et moi, mais ça, il ne m’en a jamais parlé. C’est moi, souvent, qui l’amenais sur le sujet », a raconté Martin Bureau, qui a formé un trio surnommé Les Trois Mousquetaires à Rouyn avec Turgeon et Stéphane Matteau, l’ancien des Rangers de New York, tellement ils étaient inséparables lorsqu’ils étaient jeunes.

« Je suis allé en vacances chez lui cette année, vers la fin de février ou le début de mars. Je lui ai dit : “On espère bientôt parce que si ton nom sort, c’est sûr que je vais être là” », a relaté Bureau, en faisant allusion à la cérémonie d’intronisation, à Toronto.

« (Son nom) est sorti cet été. On était bien content », a ajouté Bureau, qui fait partie d’une liste d’une vingtaine d’invités qui seront sur place – des membres de la famille de Turgeon, de très proches amis, comme Matteau, et quelques anciens coéquipiers – pour partager ce moment spécial lundi soir.

Lorsqu’on le questionne sur cette longue attente, Turgeon la place dans une perspective bien précise.

« J’ai joué au hockey dans ma vie. Je me sens déjà privilégié d’avoir fait quelque chose que j’aime. Juste ça, c’est gros. Après ça, tu espères que ça va arriver. Si ça arrive, c’est bien ; si ça n’arrive pas, je me dis que j’ai joué au hockey, j’ai eu du plaisir et j’ai gagné ma vie », a confié Turgeon.

« Après ça, a-t-il enchaîné, quand ça arrive, c’est une récompense pour tout le travail que tu as fait dans ta vie, le temps que tu as consacré, la discipline de bien manger, de bien s’entraîner. C’est une récompense qui va sur le dessus de tout. »

Turgeon a reçu l’appel tant espéré le 21 juin dernier. Ce coup de fil était le cinquième que les dirigeants du Temple de la renommée faisaient durant la journée pour lui faire part de la grande nouvelle.

« J’avais reçu deux appels avec le code régional 416, identifié à Toronto, durant la journée pendant que je m’entraînais. J’en ai reçu un autre dans l’ascenseur. Puis un autre un peu plus tard. Au cinquième, je me suis dit que ce serait peut-être le temps de répondre. Quand j’ai entendu “c’est Lanny McDonald au bout du fil”, je faisais des pirouettes ! », a-t-il illustré.

« Je n’y pensais pas. Ça faisait tant d’années. C’est quand tu n’y penses pas que ça arrive. C’est une belle surprise. C’est plaisant d’avoir un appel comme ça, c’est sûr », a avoué Turgeon.

Une pensée pour Lacroix

Turgeon a bien sûr dû préparer un discours d’intronisation. Sa première ébauche durait environ 15 minutes, a-t-il confié, alors qu’on lui demandait de rester dans une fenêtre de cinq à 10 minutes. Il a admis que l’exercice n’a pas été facile, car il veut être sûr de remercier tous ceux qui l’ont aidé à cheminer dans sa carrière et dans sa vie et n’oublier personne.

L’un d’eux est Pierre Lacroix, qui a été son agent négociateur, et qui sera également intronisé lundi soir, mais à titre posthume dans la catégorie des bâtisseurs.

« Je n’ai jamais vu une personne négocier comme il le faisait », a mentionné Turgeon au sujet de Lacroix. « Il avait un talent, il avait une belle personnalité, une personnalité convaincante. Quand il parlait, il y croyait. Il le faisait d’une belle façon aussi. Ce n’était pas méchant. C’était impressionnant de le voir aller. »

Et on peut aussi imaginer que toutes sortes d’images circuleront dans la tête de Turgeon, aucune plus significative, peut-être, que celles de deux soirées de mars 1996.

Le 11 mars, à titre de capitaine du Canadien, c’est Turgeon qui avait reçu le flambeau symbolique des mains de Guy Carbonneau lors de l’émouvante cérémonie de fermeture du Forum. Puis cinq jours plus tard, il avait en quelque sorte inauguré le Centre Molson en déposant doucement la flamme symbolique sur le logo du Canadien au centre de la nouvelle demeure de l’équipe.

« D’avoir été là comme capitaine du Canadien lors de la fermeture du Forum et l’ouverture du Centre Molson, ça fait partie des grands moments de ma carrière, c’est sûr. J’ai été à la bonne place, au bon moment. Quel évènement ! C’est incroyable quand tu penses à ça », a-t-il évoqué.

Le lendemain de son intronisation, Turgeon bouclera la boucle alors que le Canadien ajoutera son nom à l’Anneau d’honneur du Centre Bell.