« C’est spécial quand ça arrive ici et je vais m’en souvenir toute ma vie. C’est une des meilleures sensations que j’ai eues. »

Juraj Slafkovsky n’a toujours pas de filtre quand il s’adresse aux médias et ce n’est certainement pas après avoir marqué son premier but dans la Ligue nationale, dans une éclatante victoire de 6-2, qu’il allait sortir la langue de bois.

Ce qui est « arrivé », c’est son but, mais aussi une foule pas mal plus en liesse que ce qu’on pouvait attendre d’un p’tit jeudi contre les Coyotes.

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Le Canadien avait le premier choix au repêchage pour la première fois depuis 1980, au moment où l’équipe est en pleine reconstruction. Slafkovsky incarne cette reconstruction, cet espoir de jours meilleurs. Dans une organisation qui a longtemps été conservatrice, les joueurs de 18 ans sont rares ; seulement trois (Mario Tremblay, Jesperi Kotkaniemi et Claude Lemieux, pour les curieux) ont marqué à un plus jeune âge en 11 décennies d’histoire.

« C’est probablement la meilleure foule. Je ne peux pas penser à un meilleur scénario pour un premier but dans la Ligue nationale », a lancé Slafkovsky.

« J’ai regardé Harry [Jordan Harris] et je lui ai dit : “C’est tellement cool que la foule crie pour lui comme ça.” Ça montre le genre de partisans qu’on a », d’ajouter Arber Xhekaj.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Arber Xhekaj

Le temps d’un but, le temps d’une ovation, le temps d’une entrevue sur la glace en tant que première étoile, tous pouvaient oublier l’envers de la médaille de la vie d’un joueur de 18 ans à Montréal : la pression, les débats « Montréal ou Laval », la suranalyse du ruban gommé sur son bâton… Suranalyse qui n’était finalement pas une exagération des médias.

« Ça l’empêchait de marquer, a statué Brendan Gallagher. A-t-il marqué avant d’en rajouter ? Non. A-t-il marqué après ? Oui. »

Le rôle de Xhekaj

Mais au-delà du but, de l’ovation et des statistiques, ce qui a mené à ce but est peut-être l’aspect le plus intéressant pour quiconque souhaite voir cette équipe renaître de ses cendres.

Ce qui a mené au but, c’est une mise en échec des plus audacieuses du nouvel homme fort, Arber Xhekaj, un autre de ces visages du renouveau. Surveillez-le sur la séquence.

En gros, le défenseur Josh Brown frappe Slafkovsky près de la tête en entrée de zone. Xhekaj ne fait alors ni une, ni deux, et se rue sur Brown, même si ce dernier est en fond de son territoire, là où un défenseur adverse ne s’avance pas, en général.

« Il est passé à côté de moi et je me suis dit : “Ch, ça va mal finir !” », a décrit Slafkovsky.

Explication de Xhekaj : « Habituellement, je ne me lance pas comme ça. Je retiens le numéro et j’essaie de le frapper plus tard. Mais je devais me décider rapidement. Je suis un défenseur, je frappe rarement un autre défenseur, surtout lui, qui ne se porte pas beaucoup à l’attaque. Donc j’ai lu le jeu, j’y ai été, j’avais la chance de bien le frapper. »

Évaluation du coach : « J’aime ça quand nos défenseurs “ pinch ”, mais je trouvais que c’était un peu creux pour le “ pinch ” ! Il avait une idée en tête. Il a surpris le défenseur, il ne s’attendait pas à ça. Des fois, comme entraîneur, tu te tournes la tête. »

« Tu te tournes la tête. » C’est la façon diplomate qu’a trouvée St-Louis pour dire que Xhekaj a essentiellement fait tout ce qui est proscrit pour un défenseur, soit quitter sa position pour donner un coup d’épaule. Neuf fois sur 10, l’équipe adverse en soutirera un surnombre. Et on dira que le défenseur en question a manqué de jugement, de discipline.

Mais St-Louis et la nouvelle direction tentent aussi de bâtir une équipe, une culture. Plus tôt dans le match, Xhekaj avait réglé le compte du robuste Zack Kassian dans un combat. Sans faire l’apologie de la violence et des bagarres, il est important de se rappeler du 29 janvier dernier, quand ce même Kassian avait solidement plaqué le gardien Samuel Montembeault derrière son filet.

Dominique Ducharme avait dit qu’il aurait voulu voir « cinq chandails rouges » se porter à la défense de leur gardien. Tout ce qu’on avait vu, c’était un chandail rouge, Jeff Petry, s’approcher de Kassian, peut-être pour lui demander, si possible, de ne pas recommencer. Un autre chandail rouge, Ryan Poehling, constatait les dégâts, impuissant.

Cette fois, dans une situation similaire, Xhekaj s’est porté à la défense de son coéquipier attaqué, Slafkovsky, qui a ensuite marqué. Les deux colosses en ont rajouté en invectivant le pauvre Brown pendant qu’ils célébraient le but de Slafkovsky.

Plus tard dans le match, Slafkovsky était de retour devant Brown. Plutôt que de craindre de se faire assommer, il a tenté une feinte en pivotant. Le jeu n’a pas fonctionné, mais le simple fait qu’il ait tenté sa chance en disait long. « Je savais qu’Arber était sur la glace, donc si [Brown] essayait de me faire quelque chose, je savais qu’il allait me défendre. Il me l’a dit. »

« On a la mentalité d’une meute de loups, a souligné Martin St-Louis. On essaie de se défendre. J’aime ça. » Au-delà d’une victoire contre un adversaire démuni en termes de talent, c’est peut-être la conclusion la plus porteuse de cette soirée.

En hausse

Brendan Gallagher

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Brendan Gallagher déjoue Connor Ingram.

Après un bon camp, il a mis du temps à briser la glace, mais c’est maintenant fait. Il a aussi provoqué une pénalité.

En baisse

Nick Ritchie

PHOTO PAUL CHIASSON, LA PRESSE CANADIENNE

Arber Xhekaj retient le baton de Nick Ritchie alors qu’il tombe sur le but de Jake Allen.

Allons-y d’une entorse au protocole et choisissons un joueur des adversaires du Canadien. Ritchie a joué mollement en zone neutre sur le premier but du match et a fini sa soirée avec un -4 bien mérité.

Le chiffre du match

5,99

C’est le prix d’une livre de beurre de marque Compliments chez IGA. Jonathan Drouin est tombé pile-poil sur le bon montant lors d’un jeu présenté pendant une pause publicitaire et ça mérite d’être souligné dans nos pages.

Dans le détail

Tourigny l’avait dit

Après Derek Lalonde, des Red Wings, vendredi, c’était au tour d’André Tourigny de souligner, avant le match, les succès du Canadien en relance et en surnombre. L’entraîneur-chef des Coyotes affirmait en effet que selon les données que la firme Sportlogiq leur fournit, le CH est 1er dans la LNH avec huit surnombres par match. « Ils vont chercher les espaces libres, ils font flipper des rondelles pour sprinter dans les espaces libres. C’est important de ne pas trop être concentré sur la rondelle, parce qu’ils vont chercher à la mettre derrière les défenseurs », avait prévu Tourigny avant le match. Or, le but de Brendan Gallagher a été marqué exactement de cette façon, grâce à un lobe de David Savard.

Jake Allen, dans l’ombre

Statistiquement, Jake Allen n’a pas connu une soirée hors de l’ordinaire avec 25 arrêts sur 27 tirs. Mais il a réussi sa part d’arrêts importants et pas évidents, notamment face à Clayton Keller, un des rares Coyotes à avoir été menaçant. Peu occupé en début de soirée-les Coyotes ont mis 12 minutes avant de réussir un premier tir — Allen a été de plus en plus sollicité au fil du match, et a réellement dû s’imposer après que les visiteurs eurent porté la marque à 5-2, avec huit minutes à jouer. Discrètement, les gardiens du Tricolore connaissent un début de saison inespéré. Allen affiche un taux d’efficacité de,938 après trois matchs, une cadence évidemment impossible à maintenir, mais meilleure que son ,885 de l’an passé après trois départs.

Vejmelka sera occupé

Le confrère Simon-Olivier Lorange nous apprenait mercredi que Karel Vejmelka était « le gardien le plus malmené de la LNH ». Si on se fie à la performance de son adjoint, Connor Ingram, Vejmelka pourrait aussi être le plus occupé cette saison. Ingram disputait seulement son quatrième départ dans la LNH et il n’a pas offert le genre de performance qui inspirera confiance à ses entraîneurs. Personne ne lui en voudra d’avoir mordu devant la majestueuse feinte de Nick Suzuki, mais des buts comme celui de Cole Caufield, où la rondelle passe « à travers » son corps, n’aideront pas sa cause. C’est sans oublier ses nombreuses passes ratées ou trop faibles à ses coéquipiers. Le gardien de 25 ans, choix de 3e tour du Lightning en 2016, a encore du travail à faire.

Ils ont dit

À 3-0, ça n’a pas fait pout pout ben ben plus.

André Tourigny, au sujet de la bataille entre Zack Kassian et Arber Xhekaj

C’est la vie ! As-tu toujours de bonnes journées au bureau ? Parfois, on a de bonnes journées et le lendemain, c’est plus difficile. Ce n’est pas être mauvais, c’est juste le fait d’être un être humain. On a eu une bonne journée à Toronto et aujourd’hui, on est tombé à plat. C’est aussi la beauté du sport, on ne sait jamais qui va gagner.

André Tourigny

Il a endormi le gardien avec cette feinte. C’était juste vicieux. Jake [Evans] et moi en parlions au banc, on savait qu’il allait faire cette feinte.

Juraj Slafkovsky, au sujet du but de Nick Suzuki en tir de pénalité

J’essaie de me faire un nom, de montrer que je vais défendre mes coéquipiers et ils vont peut-être y penser deux fois avant de me défier.

Arber Xhekaj

J’ai eu la discussion assez tôt avec Arber pour lui dire de ne pas penser que s’il se bat, ça va le mener à la LNH. Il faut qu’il joue au hockey et il le fait. Il amène de la robustesse, il est capable de se battre, ça fait partie de la game.

Martin St-Louis

Propos recueillis par Nicholas Richard et Guillaume Lefrançois, La Presse