À combien évaluez-vous les chances que deux petits voisins de Dollard-des-Ormeaux dominent un jour outrageusement les gardiens de la NCAA ? Et qu’ils le fassent au même moment ?

C’est pourtant précisément ce qui s’est produit cette saison. Yaniv Perets et Devon Levi, amis d’enfance devenus rivaux sur la glace, se sont invités dans le livre des records de la première division du circuit universitaire américain.

Le premier, qui défend le filet des Bobcats de Quinnipiac, s’est limité à une moyenne de buts accordés de 1,17, du jamais-vu. Le deuxième, des Huskies de Northeastern, a arrêté 95,2 % des tirs dirigés vers lui, à des poussières du record absolu. Et ce, malgré qu’il ait affronté plus de 30 tirs par match.

Les deux ont fait partie des dix finalistes préliminaires du trophée Hobey-Baker, remis au joueur universitaire par excellence au pays. On a toutefois appris jeudi qu’ils n’étaient pas du top 3 ultime. L’absence de Levi, surtout, a fait sourciller certains observateurs sur les réseaux sociaux, vu l’impact qu’il a eu sur son équipe.

Les Montréalais refusent toutefois de s’en formaliser. À l’unisson – métaphoriquement, car les entrevues ont été faites individuellement –, ils précisent qu’ils auraient préféré transporter leur équipe respective jusqu’au championnat national. Les Huskies se sont inclinés en huitièmes de finale et les Bobcats, en quarts. Aucun des deux ne sera donc du prestigieux Frozen Four.

En fait, c’est à se demander si les deux jeunes hommes ne partagent pas le même cerveau. Leur vision de leur sport et de leur cheminement est rigoureusement identique. Leur calme et leur maturité font rapidement oublier que Levi n’a que 20 ans et Perets, 22. À l’instant où l’on évoque leurs succès individuels, ils donnent le crédit à leurs coéquipiers. Et aucun des deux ne jette le moindre coup d’œil à ses statistiques avant que la saison ne soit terminée.

Perets, qui se tient loin des réseaux sociaux, raconte que même ses parents respectent cette volonté de ne jamais aborder ses performances.

« Si tu veux connaître du succès, toute ta concentration doit être consacrée à ce qui se passe sur la glace, dit-il. Je veux vraiment éliminer toutes les distractions. Quand tu y arrives, c’est assez cool, je crois. »

Une fois la saison terminée, cède-t-il à la tentation ? « Oui, évidemment que c’était une bonne saison. Mais le but ultime demeurait le championnat, et on n’y est pas arrivés. »

Inséparables

Si les deux sont aussi fusionnels, c’est qu’ils passent beaucoup, beaucoup de temps ensemble, et ce, depuis de nombreuses années.

Ils étaient enfants lorsqu’ils ont fait connaissance. Puisqu’un an et demi les sépare, ils jouaient dans la même catégorie au hockey une année sur deux. Ils se sont notamment partagé le filet des Lions du Lac St-Louis aux niveaux pee-wee et bantam.

Au fil du temps, leurs familles se sont rapprochées. Les soupers chez les parents de l’un sont devenus aussi coutumiers que les après-midis à la piscine des parents de l’autre.

Ils passent encore leurs étés ensemble, pas mal plus souvent sur la glace qu’à se faire bronzer, par contre. Depuis quelques années, ils travaillent avec Marco Raimondo, entraîneur des gardiens à l’Université McGill.

Perets décrit Levi comme une personne qui « excelle dans tout ». Étudiant émérite – il étudie en science informatique –, il a totalement dominé la ligue midget AAA à l’adolescence. Et on connaît aujourd’hui ses exploits à Northeastern. « Il se consacre totalement à tout ce qu’il fait, résume l’aîné du duo. C’est une personne formidable et un gardien incroyable. »

Devon ne se laisse pas prier lui non plus pour vanter Yaniv, qui « ne reçoit pas la reconnaissance qu’il mérite », selon lui.

« De toute façon, ce n’est pas ce qu’il recherche, nuance Levi. Il n’a jamais arrêté de travailler fort. Je savais qu’il finirait par attirer l’attention, il est trop un bon gardien et une bonne personne pour être ignoré. Je suis vraiment content pour lui. »

Des parcours différents

Les deux gardiens ont beau se rejoindre sur une multitude de points, leur parcours n’est pas pour autant identique.

C’est à partir des rangs midget que la cassure s’est faite. Levi a passé trois saisons dans la ligue midget AAA. Déterminé à jouer dans la NCAA, il a fait l’impasse sur la LHJMQ et s’est expatrié un an en Ontario afin d’y jouer au niveau junior A, qu’il a dominé sans partage. C’est à ce moment que les regards des recruteurs de la LNH se sont posés sur lui. La Presse lui avait d’ailleurs consacré un portrait après le repêchage de 2020.

Lisez Le « petit » gardien passé sous le radar

Le voilà aujourd’hui dans l’organisation des Sabres de Buffalo, tout près d’un passage chez les professionnels (voir autre texte).

Perets a pris un plus long détour encore. Lui aussi a opté pour le junior A ontarien, mais après une seule année dans le midget AAA québécois. Contrairement à son vieil ami, il n’avait tout simplement pas été repêché par la LHJMQ. Et ce n’était pas plus mal, car lui aussi reluquait la NCAA.

Il s’est ensuite tourné vers les Junior Bruins de Boston, équipe de la NCDC, ligue de développement du Nord-Est américain qui destine ses joueurs aux universités du pays.

Pari gagné : il s’est alors engagé avec Quinnipiac, établissement du Connecticut, mais il devait attendre une autre année avant de jouer. Nouvel exode, cette fois dans la BCHL, circuit junior A de Colombie-Britannique. La pandémie de COVID-19 a accéléré son passage à Quinnipiac, où il n’a disputé que deux matchs l’an dernier avant de se faire confier le filet pour de bon cette saison.

Une longue route, en somme, pour celui qui, à 22 ans, n’est affilié à aucune équipe professionnelle.

Son rêve, depuis toujours, est de jouer dans la LNH. Or, « je n’ai jamais rien fait en précipitant les choses », rappelle-t-il. « J’ai toujours pris le temps nécessaire et je suis passé à l’étape suivante quand j’étais prêt. Il y a encore tellement de choses que je veux améliorer. Je veux encore préciser mon jeu, gagner en force physique… Je sens que de jouer à l’université me donne le temps dont j’ai besoin. »

Du temps, il en a en effet devant lui. Il lui reste trois années d’admissibilité pour jouer au hockey. Pour l’heure, il suit une formation générale en administration, mais n’a pas encore choisi la matière qui constituera sa majeure. Il pense à la psychologie. On verra.

L’attention qu’il reçoit avec ses récents succès lui plaît-elle ? « Oui, c’est cool », dit-il simplement.

Des clubs professionnels ont-ils téléphoné après cette saison rêvée ?

« Aucune idée. Je reste loin de ça, je laisse ça à mon conseiller. »

Car oui, éliminer les distractions, ça va jusque-là.

Deux défaites, deux visions

Après une saison d’exception, Yaniv Perets et Devon Levi ont chacun vécu la déception de perdre en route vers le championnat national de la NCAA. Or, leur perspective par rapport à la défaite est radicalement différente.

Perets est encore hanté par son dernier affrontement contre les puissants Wolverines de l’Université du Michigan. Quatre buts accordés en deux périodes lui ont coûté sa place devant le filet. Marque finale : 7-4.

Au bout du fil, quatre jours plus tard, le gardien avait beau prêcher qu’il prenait du temps pour « décompresser » avant de « passer à autre chose », il ne cachait pas qu’il était encore « fâché d’avoir perdu ».

« Je pensais vraiment qu’on avait l’équipe pour aller jusqu’au bout, dit-il. Juste d’en parler, c’est difficile. Avec ce groupe de gars, on voulait, plus que tout, aller chercher ce championnat. Nous sommes des frères pour la vie. »

PHOTO ROB RASMUSSEN, FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ QUINNIPIAC

Yaniv Perets

Il insiste toutefois pour affirmer qu’il va « apprendre » de cette défaite et « revenir plus fort l’an prochain ». Après avoir décoléré, s’entend.

Northeastern s’est pour sa part inclinée 2-1 devant Western Michigan.

Levi en parle avec philosophie, même si c’est une bourde qu’il a lui-même commise qui a mené au but gagnant en prolongation. Sa tentative de dégagement depuis l’arrière du filet a été interceptée par un adversaire. Ce dernier a contourné le but et tiré, mais le Québécois, grâce à un plongeon désespéré, a semblé faire l’arrêt. À la reprise, on a toutefois constaté que la rondelle avait traversé la ligne rouge.

« C’était du bon hockey, très amusant, résume-t-il. Je suis fier des gars. On a donné tout ce qu’on avait, mais à la fin, un mauvais bond nous a coûté le match. C’est une question de 1 cm. C’est dommage, car quand on regarde la saison au complet, on doit être fiers de ce qu’on a accompli. »

Il n’y avait pas beaucoup d’attentes à notre endroit, mais je pense qu’on a fait tourner bien des têtes.

Devon Levi

Northeastern, de fait, a terminé au premier rang de la division Hockey East, après avoir connu une saison 2020-2021 mitigée. Ce succès est attribuable, évidemment, aux exploits de Devon Levi, mais également à la contribution du capitaine Jordan Harris, général en défense qui vient de signer son premier contrat professionnel avec le Canadien de Montréal.

Invité à dire quelques mots sur celui qui est désormais son ancien coéquipier, Levi s’exclame spontanément : « J’adore ce gars ! »

« C’est un de mes meilleurs amis dans l’équipe, ajoute-t-il. C’est encore une meilleure personne qu’un joueur de hockey, ça en dit long sur lui. Il était un capitaine incroyable, il avait toutes les qualités dont on s’attend pour ça. Le Canadien est chanceux de compter sur lui. »

Devon Levi pourrait faire le saut chez les pros

Les portes de la LNH pourraient s’ouvrir pour Devon Levi bien plus tôt qu’il l’aurait imaginé.

Après avoir eu une « bonne conversation » avec la direction des Sabres de Buffalo, jeudi dernier, le jeune homme est actuellement en « réflexion » : il doit choisir entre poursuivre son parcours universitaire pour au moins une autre année, ou encore faire immédiatement le saut chez les professionnels.

Le revirement de situation est spectaculaire pour lui. Lorsque les Panthers de la Floride l’ont sélectionné très tard au repêchage de 2020, il était méconnu. Même au Québec, son nom circulait peu, alors qu’il n’avait pas joué dans la LHJMQ.

PHOTO JIM PIERCE, FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ NORTHEASTERN

Devon Levi

Un Championnat du monde junior, une transaction qui l’a fait passer des Panthers aux Sabres, une invitation aux Jeux olympiques et une saison du tonnerre plus tard, on peut dire sans se tromper qu’il est complètement sorti de l’ombre.

En entrevue avec La Presse, à la fin du mois de février, le directeur général des Sabres, Kevyn Adams, n’avait pas caché son enthousiasme à l’égard du gardien montréalais.

« Ce qu’il accomplit en ce moment est remarquable, et on croit qu’il a un brillant avenir avec nous », avait dit le DG. Même si Levi était passé « sous le radar » au repêchage de 2020, Adams se félicitait d’avoir pu l’obtenir dans l’échange qui a envoyé Sam Reinhart en Floride, en juillet 2021.

À Buffalo, on ne souhaitait néanmoins « rien précipiter » avec le gardien de 20 ans. Après tout, il pourrait encore disputer deux saisons complètes dans la NCAA avant de s’engager avec un club de la LNH. Ses performances, possiblement jumelées aux besoins criants des Sabres devant le filet, ont accéléré le processus.

« Ils m’ont dit des choses qu’ils voulaient que je sache sur l’organisation, on a eu une bonne conversation », confirme Levi.

Aucune offre formelle de contrat n’a été déposée, mais selon lui, la décision de retourner à Northeastern ou de s’engager avec les Sabres est actuellement entre ses mains. Il se donne quelques jours pour y réfléchir et en discuter avec sa famille.

Yaniv Perets, lui, a déjà confirmé qu’il retournait à Quinnipiac.