La scène en était presque burlesque, mais éminemment sympathique.

Marc Bergevin, vêtu de son veston d’un rouge spectaculaire, attendait ses joueurs à la sortie de la glace, euphorique. Le p’tit nouveau, Cole Caufield, encore plus exubérant, s’est même permis de lui sauter au cou !

l faut remonter à avril 2018 pour mieux comprendre le soulagement du DG du Canadien lundi soir après la victoire de son équipe au deuxième tour.

Le Canadien venait de conclure une affreuse saison, au 28e rang du classement général, avec un club bourré de vétérans dont c’était la deuxième exclusion des séries en trois ans, avec entre les deux une défaite sans équivoque en première ronde contre les Rangers de New York, en 2017.

Marc Bergevin a réussi à convaincre son patron Geoff Molson de lui permettre d’entamer une opération de réinitialisation. Le DG du Canadien avait sans doute un pied dans la porte, mais le propriétaire de l’équipe, un apôtre de la stabilité, a choisi de lui faire confiance.

Une réinitialisation demeure une opération délicate, nettement moins agressive, que la reconstruction. Celle-ci aurait signifié une liquidation totale, incluant Carey Price, Shea Weber, probablement Brendan Gallagher et Jeff Petry.

Une réinitialisation permet de garder intact le noyau dur du club, de non seulement les maintenir au sein du club, mais aussi de convaincre les vétérans auxquels on tient qu’ils n’auront pas à attendre cinq, six ans avant d’espérer gagner à nouveau.

Un tel plan demandait une restructuration au plan du secteur de développement de l’équipe. L’entraîneur-chef du club-école, Sylvain Lefebvre, en poste depuis six ans, a été congédié. On a embauché des hommes de hockey de la nouvelle vague : Joël Bouchard en remplacement de Lefebvre, Dominique Ducharme derrière le banc avec Claude Julien. Les deux venaient de mener le Canada à la médaille d’or au Championnat mondial junior.

Le Canadien avait une lacune au centre depuis de nombreuses années. Montréal a repêché Jesperi Kotkaniemi au troisième rang quelques semaines plus tard. Kotkaniemi était l’un, sinon le plus jeune de sa cuvée. On allait être patient, sa sélection s’inscrivait dans un processus qui allait durer au moins trois ans. Mais le jeune Finlandais a surpris les observateurs en méritant un poste à Montréal dès son premier camp d’entraînement, à 18 ans.

Le capitaine Max Pacioretty a été échangé pour un autre jeune joueur de centre, Nick Suzuki. Une fois de plus, on était prêt à sacrifier le succès à court terme pour s’assurer une éventuelle pérennité.

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Jesperi Kotkaniemi et Nick Suzuki

Il faut être patient, mais surtout très fort, pour maintenir le cap. Surtout quand l’homme derrière la réinitialisation est en poste depuis six ans. Parce que les gens veulent des résultats plus rapidement.

Si un nouveau DG avait réalisé ce plan de réinitialisation, l’exclusion des séries en 2019 et la saison difficile de 2020 (avant d’entrer en séries grâce à la pandémie) auraient été acceptées beaucoup plus facilement; on aurait eu l’impression de vivre les premières années d’un plan de relance.

Mais comme Bergevin était aux commandes de la réinitialisation après quelques saisons difficiles, on pouvait avoir l’impression que le cycle d’insuccès se poursuivait. Or, il n’en était rien, le club progressait lentement, mais sûrement.

Le rôle de Geoff Molson est important dans cette opération. Sa patience a permis à Marc Bergevin d’éviter les raccourcis.

Bergevin a résisté à la tentation d’échanger ses meilleurs espoirs pour calmer la grogne. Il a conservé tous ses choix de première et deuxième ronde. Il a même accumulé des choix. Le CH a repêché 13 fois parmi les trois premières rondes depuis la mise en place de son plan de relance en 2018.

Ses deux jeunes centres, Suzuki et Kotkaniemi, ont acquis une précieuse expérience en séries l’été dernier. Alexander Romanov et Jake Evans ont été intégrés à l’équipe au cours de la même période.

Après trois ans, on a sans doute fait comprendre à Marc Bergevin, ou sans doute l’a-t-il compris lui-même, qu’il fallait des résultats. Une réinitialisation n’est pas une reconstruction, après tout.

Il a entouré ses jeunes de joueurs plus aguerris, sans pour autant sacrifier l’avenir de l’organisation. Jake Allen, Joel Edmundson, Tyler Toffoli, Josh Anderson, Corey Perry, Eric Staal, Erik Gustafsson et Jon Merrill ont coûté Max Domi, deux choix de troisième ronde, trois choix de cinquième ronde, un choix de septième ronde et plusieurs millions.

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Josh Anderson, Tyler Toffoli et Jake Allen

Malgré l’impact de l’arrivée de Allen, Edmundson, Perry, Toffoli et Anderson, le CH a connu une saison en dents de scie. Bergevin a compris qu’il devait présenter des résultats positifs à son patron cette année. Claude Julien, Kirk Muller et Stéphane Waite ont perdu leur poste. Staal, Gustafsson et Merrill sont arrivés en renfort plus tardivement.

Le CH a néanmoins pris des décisions discutables avant le début des séries éliminatoires. Laisser dans les estrades deux des plus beaux joyaux de l’organisation, Kotkaniemi et Caufield, lors des premiers matchs contre les Maple Leafs, a semé l’étonnement et la consternation.

La défense était composée presque exclusivement de joueurs costauds et moins habiles. On a eu le mérite de s’ajuster.

Kotkaniemi et Caufield ont été intégrés en cours de route et ils ont probablement sauvé le poste des membres de la direction. Caufield a préparé le but gagnant de Suzuki en prolongation lors du cinquième match contre Toronto et évité une élimination. Kotkaniemi a marqué en prolongation lors de la rencontre suivante, le troisième de ses quatre buts en séries ce printemps.

Devant le manque d’offensive générée par les défenseurs de l’équipe, on a finalement fait une place permanente à Erik Gustafsson. Celui-ci a trois points en sept matchs depuis le début des séries et il a contribué à relancer l'avantage numérique.

Il faut du cœur, de l’expérience et de la résilience pour gagner en séries éliminatoires. Mais il faut du talent aussi. Le jeu réalisé par Caufield sur le but gagnant de Toffoli lundi soir exige du talent. Un joueur ordinaire n’aurait jamais eu le flair, l’instinct du tueur et la rapidité d’exécution nécessaires pour réaliser un tel jeu.

Et Carey Price, la pièce maîtresse du plan de réinitialisation de Marc Bergevin, fait le reste.

Mine de rien, le Canadien atteint la demi-finale des séries éliminatoires de la Coupe Stanley pour la troisième fois depuis 2010.

Seuls six autres clubs ont réussi l’exploit : le Lightning de Tampa Bay, les Bruins de Boston, les Blackhawks de Chicago, les Kings de Los Angeles, les Penguins de Pittsburgh et les Sharks de San Jose. Les Golden Knights de Vegas pourraient être les prochains s’ils battent l’Avalanche du Colorado.

À lire

1- Allez, soyons francs, qui y croyait ? Simon-Olivier Lorange lance son analyse de la victoire de lundi soir du Canadien par cette question fort pertinente.

2- Le CH part à la conquête de l’Ouest et Alexandre Pratt nous ramène en 1804 ce matin !

3- Les athlètes canadiens ont raison de crier à l’injustice aujourd’hui devant les faveurs accordées aux hockeyeurs de la LNH. Simon Drouin a recueilli les commentaires de certains.