Le judoka Antoine Valois-Fortier et d’autres athlètes canadiens déplorent de ne pas profiter de la même exemption de quarantaine accordée à la LNH par le gouvernement fédéral.

Léandre Bouchard est arrivé dimanche en Autriche en prévision d’une Coupe du monde de vélo de montagne qui commencera vendredi. Le cycliste de 28 ans n’a pas eu à s’isoler. Et pas nécessairement parce qu’il est complètement vacciné pour la COVID-19.

La preuve d’une première dose de vaccin, 22 jours après l’injection, aurait été suffisante. Ou un test PCR passé dans les 72 heures avant son arrivée. Ou une attestation d’une infection au SARS-CoV-2 dans les six mois précédents.

Pour son retour au Canada, cela s’annonce plus compliqué. Pour l’heure, il devra se plier à une quarantaine complète de deux semaines, contrairement aux joueurs de la Ligue nationale de hockey, qui bénéficieront d’une exemption sous conditions à partir de la demi-finale et de la finale des séries éliminatoires.

Le gouvernement fédéral l’a confirmé dimanche, citant l’« intérêt national ».

« Tant mieux pour eux, mais ça me fâche qu’aucun accommodement ne soit fait pour les athlètes amateurs, a asséné Bouchard lundi. On ne demande pas le ciel. Ce que je déplore le plus, c’est que les mesures actuelles sont désuètes. Quatorze jours [d’isolement], c’est quand on ne connaissait rien au virus et qu’on pensait que ça pouvait aller jusque-là. »

« Très reconnaissant » d’avoir reçu deux doses de vaccin, l’athlète d’Alma marche sur des œufs avant d’en parler. L’Institut national du sport du Québec, qui a intercédé pour lui compte tenu de son potentiel de se qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo, « demandait presque de cacher qu’on avait reçu ce traitement de faveur ».

Malgré tout, Bouchard a dû observer une quarantaine de deux semaines à son retour dans son patelin le mois dernier. Techniquement, il ne pouvait même pas aller rouler seul « sur des routes peu achalandées » ou des sentiers. L’a-t-il fait ? « Je ne me prononcerai pas là-dessus », a-t-il prudemment répondu.

Aux Coupes du monde d’Albstadt (Allemagne) et de Nove Mesto (République tchèque), le coureur de Pivot-Cycles-OTE a été de loin le meilleur Canadien, terminant respectivement 14e et 19e.

« J’en suis très fier parce que j’ai eu des conditions beaucoup plus difficiles que mes adversaires européens. Les athlètes sont délaissés au Canada. C’est vraiment dommage. On fait des pieds et des mains pour bien s’entraîner, mais c’est beaucoup plus compliqué. »

On veut tellement, on y met beaucoup d’énergie, mais on nous met des bâtons dans les roues, c’est le cas de le dire.

Léandre Bouchard

Au début de juillet, Bouchard participera à une Coupe du monde aux Gets, en France, au lendemain de laquelle il décidera de la suite des choses. S’il est sélectionné pour ses deuxièmes Jeux, il aimerait rentrer au pays, retrouver les siens et terminer sa préparation en s’alignant à deux épreuves du circuit Coupe Canada dans sa cour arrière, à Saint-Félicien et à Sherbrooke. Mais dans l’état actuel des choses, il ne serait pas autorisé à y prendre part.

Rappel à la réalité

Antoine Valois-Fortier, lui, avait déjà fait son lit en décidant de ne pas aller aux Championnats du monde qui se tiennent cette semaine à Budapest. La quarantaine obligatoire a été un facteur déterminant dans le choix du judoka.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le judoka Antoine Valois-Fortier

« Ça me donnait un autre deux semaines dans mon sous-sol, avec la possibilité d’un combat éliminatoire en sortie de quarantaine », a expliqué le médaillé olympique, qui renonçait aussi à améliorer son sort en vue du tirage du tournoi olympique.

La permission accordée aux hockeyeurs de la LNH est un rappel à la réalité.

« On a un peu l’impression de se faire dire qu’on est de petits joueurs, qu’on n’est pas importants alors qu’on est très investis dans ce qu’on fait, a plaidé Valois-Fortier au sortir d’un entraînement. C’est sûr que ça ne nous aide pas du tout dans notre préparation. Quand j’ai vu la nouvelle, j’ai ressenti un peu de frustration. Je ne comprends pas trop pourquoi on n’a pas droit au même traitement. »

Jérémy Chartier a vécu la même incompréhension. De retour d’Italie dimanche, où il a consolidé sa place dans le classement pour Tokyo, le trampoliniste de 20 ans attendait son résultat à un test de dépistage de la COVID-19 dans un hôtel jouxtant l’aéroport Montréal-Trudeau.

« C’est frustrant, a-t-il convenu lundi. C’est sûr qu’on n’est pas dans le même monde que le sport professionnel. C’est du sport amateur, mais il reste que c’est notre vie. […] Ce n’est pas équitable, disons. »

Après avoir reçu son résultat, Chartier se dirigera vers le chalet familial de Chertsey pour poursuivre sa quarantaine. Dans un monde idéal, elle ne durerait qu’une semaine. Il espère en effet obtenir une autorisation pour créer une bulle d’entraînement à l’INS Québec au complexe du Parc olympique. Il s’installerait alors dans un hôtel à proximité.

« La décision ne relève pas de nous, mais bien de l’Agence de la santé publique du Canada, de qui nous attendons une approbation comme tout le reste de la communauté du sport de haut niveau », a précisé dans un courriel le directeur, communication et marketing, de l’INS Québec, Jean Gosselin. L’agence fédérale À nous le podium piloterait ce dossier, et les douaniers pourraient exercer « un certain pouvoir discrétionnaire », a-t-il ajouté.

Chartier n’a pas eu cette chance dimanche : « Je manque une semaine d’entraînement, il se peut que [cette semaine] soit quand même très utile si je vais aux Jeux. Les Jeux sont dans 48 jours. Une affaire de 14 jours sur 48, c’est énorme. »

« Ouvrir la conversation »

Pour Joëlle Békhazi, il est déjà trop tard, d’une certaine façon. Avec ses coéquipières de l’équipe canadienne de water-polo, elle est partie de Montréal pour Los Angeles le 10 mai. Elles ne reviendront pas avant la fin des Jeux olympiques.

« Nos 92 jours pour l’été sont déjà commencés et ça va quand même très bien », a-t-elle noté de Rome, où elle poursuit son entraînement par des matchs avec l’équipe italienne.

« On fait ça précisément parce qu’on ne voulait pas faire la quarantaine. On ne pouvait pas se permettre d’être hors de l’eau pour deux semaines avec le temps qu’il nous restait pour les Jeux. »

Békhazi, 34 ans, fait déjà des sacrifices depuis la fin de janvier. Pour reprendre l’entraînement avec contacts dans l’eau à l’INS Québec, elle a quitté son mari pour s’installer dans une résidence de location et créer une bulle pendant des périodes de quatre semaines. Une demi-douzaine de coéquipières ont fait la même chose. Des joueurs de l’équipe nationale masculine et des clubs de CAMO, DDO et Laval se sont soumis au même régime pour les aider à se préparer.

Dans les circonstances, Békhazi ne s’imagine pas s’isoler deux autres semaines à son retour de Tokyo, où ses proches ne pourront l’accompagner comme prévu. Elle souhaite que la permission accordée à la LNH « ouvre la conversation » pour les autres sports.

Les Jeux, je les attends depuis 20 ans. S’il faut s’isoler deux semaines à notre retour, ça va être extrêmement difficile pour moi.

Joëlle Békhazi

L’accès aux entraîneurs est également compromis par la quarantaine. Alex Sereno, entraîneur de la triathlonienne Amélie Kretz, n’a pas vu sa protégée depuis janvier, au moment où elle est partie pour l’Arizona et ensuite le Colorado.

« On a été chanceux de lui trouver un bon groupe et un coach compréhensif à Boulder, mais le plus gros impact pour nous a été que je n’ai pas pu aller faire des blocs d’entraînement avec elle. »

Impressionné par la sixième place de Kretz à la Coupe du monde de Lisbonne, le 23 mai, Sereno admire la résilience des athlètes canadiens.

« Ils sont bons, meilleurs que les autres. Ils ne l’ont pas eu facile. Si des athlètes méritent d’aller aux JO, c’est eux. »